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rience, les condamnations que prononcent souvent les tribunaux, prouvent assez que le vol à l'américaine s'est pratiqué et se pratique encore avec succès.

Les charrieurs avaient pour tapis francs dans la capitale un marchand de vin ayant pour enseigne : Au lapin blanc, un autre marchand de vin de la rue Bourbon-Villeneuve, puis dans la banlieue, à la barrière des Trois-Couronnes, un établissement d'ordre plus que secondaire, ayant pour enseigne : Au petit sale; puis, à Charonne, un cabaret borgne, et enfin, à la barrière du Roule, une auberge.

Les charrieurs, contrairement à plusieurs classes de voleurs, logent dans leurs meubles; si la police vient à découvrir leur adresse, ils déménagent immédiatement, quelle que soit l'époque du terme, et vont loger dans un quartier éloigné du point où ils demeuraient précédemment.

La ville de Lyon fournit aussi à la capitale son contingent de charrieurs, mais ceux-ci s'empressent de regagner leurs pénates aussitôt qu'ils ont fait leur moisson.

La quatrième catégorie est formée des cambrioleurs ou voleurs dans les chambres et appartements, soit à l'aide de fausses clefs, d'effraction, d'escalade, soit à l'aide d'assassinat.

Cette classe est nombreuse, et le chiffre n'en pourrait être fixé que très approximativement, car non seulement lorsque ces malfaiteurs se livrent à leurs opérations il est rare qu'ils soient aperçus et pris en flagrant délit, mais encore nombre de voleurs, sor

tant de prison ou libérés des bagnes, viennent dans la capitale, quoique le séjour leur en soit interdit, pour y exercer de nouveau leur ancien métier. Cependant j'ai basé mon estimation numérique sur la remarque suivante : dans le cours de l'année 1851, j'ai placé sous la main de la justice 128 inculpés de vols qualifiés, et 94 ont été reconnus coupables et condamnés; or, d'après les déclarations de vols qui m'ont été remises, j'ai calculé qu'il pouvait y avoir, en sus du chiffre énoncé plus haut, une trentaine de cambrioleurs qui avaient échappé aux actives recherches de la police; le chiffre pour 1851 aurait donc ainsi été porté à 158 ou 160.

Les cambrioleurs se subdivisent en six fractions distinctes la première se compose de carroubleurs (voleurs avec fausses clefs). De même que le voleur de la haute pègre, le carroubleur n'entreprend jamais un vol sans l'avoir sérieusement mûri; empreintes de serrures, connaissance des localités, expérience des habitudes des personnes, telles sont les premières données sur lesquelles il opère. Le plus souvent il guette lui-même le départ de sa victime et ne met ses desseins à exécution que lorsqu'il est certain de l'absence de celui qu'il veut dévaliser.

La deuxième fraction prend le nom de carroubleurs à la flan ou à l'esbrouffe. S'introduisant au hasard dans une maison, sans indication, sans renseignement aucun, ils vont frapper à la première porte venue; si l'on ne répond pas, ils ouvrent la porte à l'aide de fausses clefs dont ils sont munis, et s'em

parent de tout ce qui leur tombe sous la main. La troisième subdivision se compose des voleurs au fric-frac; ceux-ci marchent comme les carroubleurs à la flan, mais, changeant leur moyen d'exécution, ils font sauter gâches et serrures par une pesée pratiquée avec une espèce de pied de biche en fer qu'ils appellent cadet, monseigneur ou plume.

La quatrième subdivision comprend les boucarniers ou dévaliseurs de boutiques, la nuit, à l'aide d'effraction. Quelquefois, pour éviter l'effraction, ils se servent du concours du pégriot ou apprenti voleur, qui, au moment de la fermeture d'une boutique, s'y introduit à quatre pattes et se cache dans un coin obscur ou sous un comptoir; puis, lorsque vers deux ou trois heures du matin, le boucarnier donne le signal convenu, le pégriot ouvre la porte sans bruit et aide le voleur à enlever tout ce qu'il trouve à sa con

venance.

La cinquième se compose des vanterniens; ces voleurs nocturnes s'introduisent par les fenêtres, au moyen de crochets ou d'échelles de corde.

Enfin la sixième et dernière fraction est celle des escarpes à la cambriole, qui ne reculent pas devant un assassinat pour assurer le succès de leur entreprise. Ces dangereux malfaiteurs s'introduisent dans un domicile, assassinent les habitants et font ensuite le barbot, c'est-à-dire fouillent, dévalisent et s'emparent de tout ce qui a de la valeur.

De 1833 à 1852, beaucoup de ces hommes, aussi coupables qu'intelligents, sont venus s'asseoir sur les

bancs de la cour d'assises, et plusieurs ont porté leur tête sur l'échafaud, notamment Lemoine, Poulmann, Jadin, Lacenaire, et Avril, puis d'autres encore, qui ont acquis une triste célébrité dans le monde des voleurs Verner, Tabouret, Flachat, Chapon, Dagory, Puteaux, Levielle, Lether, Renaud, Godmus, etc. Pour ceux-ci, les débats n'ont été qu'une occasion de faire remarquer la ruse, la persévérance, l'audace et l'énergie qu'ils savaient apporter dans la perpétration d'un crime.

Les cambrioleurs avaient pour tapis-francs : 1° l'estaminet des Quatre-Billards rue de Bondy, établissement des plus mal famés et dont le chef était, à cette époque, un forçat liberé; 2o la boutique d'un liquoriste à l'entrée du faubourg du Temple, tenue également par un ancien repris de justice; enfin, une foule de garnis de bas étage, dits garnis à voleurs, dont les hôtes étaient presque tous francs pour la pègre, par intérêt, par nature ou par insouciance.

Sûr de la protection de son logeur, un voleur pouvait largement combiner, mûrir et arrêter son plan; personne ne le dérangeait. La police, cette curieuse perpétuelle, venait-elle s'informer d'un malfaiteur dans ce garni, le logeur prévenait son locataire le soir quand il rentrait; alors celui-ci changeait aussitôt de garni ou se faisait tout simplement inscrire sous un nouveau nom.

Il existait à Paris une vingtaine de garnis de ce genre, véritables repaires de bandits, d'où chaque jour s'élançait sur la société une troupe de malfai

teurs altérés de meurtres et de rapines. Quant à la banlieue, il en existait un nombre bien plus considérable, et les logeurs non seulement changeaient volontiers le nom de leurs locataires, si la circonstance le réclamait, mais encore, le plus souvent, ne se donnaient même pas cette peine, et, négligeant complètement de remplir cette formalité, n'inscrivaient point les noms des coucheurs sur leurs livres de police.

La cinquième catégorie se compose des rouliers ou rouletiers, lesquels, ainsi que le mot l'ndique assez, s'attaquent aux camions des entrepreneurs de roulage. Vêtus le plus ordinairement d'une blouse, quelquefois d'une veste, coiffés d'une casquette ou d'un képi, ayant les manières, ou pour mieux dire le chic des camionneurs, ils suivent de loin une charrette, un camion dont le conducteur est seul, et aussitôt que celui-ci descend de son siège, entre dans une maison pour prendre une expédition ou livrer un colis, ils s'approchent de la voiture, enlèvent un paquet, une caisse, une malle, même un colis de 200 et de 300 kilog. au moyen d'une petite charrette à bras qu'ils chargent vivement, et ils s'esquivent lestement, l'un d'eux traînant et son complice poussant derrière. Leur similitude de costumes avec les roulagistes empêche tout soupçon de la part des personnes qui peuvent les apercevoir et leur assure l'impunité.

Le rouletier ne prémédite jamais une affaire; le pourrait-il, d'ailleurs? Pour lui tout est hasardeux.

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