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fois hors de l'établissement il se laissa de nouveau tomber à terre, et deux de mes inspecteurs furent obligés de le prendre par la tête et les pieds.

Plus de deux cents individus nous entouraient depuis deux heures. Je réfléchis alors que dans cette foule qui se pressait, ou pour mieux dire se ruait tumultueuse et colère sur nous, il pourrait parfaitement se trouver quelques malfaiteurs qui profitassent de la circonstance pour se débarrasser de l'un de nous à coups de couteaux. A peine avais-je fait cette réflexion que l'inspecteur Daré reçut un coup d'un instrument tranchant qui fort heureusement ne fit que traverser la manche de son paletot; je m'emparai aussitôt d'un bâton que portait un des indicateurs; un de mes agents, nommé Moisson, homme d'une force herculéenne, fit comme moi. Nous nous mîmes tous deux en arrière-garde, et, au moyen d'un moulinet continuel, nous parvînmes, non sans peine, à maintenir à distance la plus grande partie de la foule agressive.

Dans la bagarre, mon chapeau fut perdu; je reçus sur le dos un coup de crochet de chiffonnier qui déchira ma redingote; mes agents furent plus ou moins contusionnés et leurs vêtements mis en lambeaux.

Nonobstant la résistance de Desjardins, dont la rage avait redoublé parce qu'il avait reçu sur la figure un coup de manche à balai et une pierre destinés aux agents, nous n'en arrivâmes pas moins au corps de garde de la barrière de Belleville.

J'étais occupé à écrire un ordre de consigne, lors

que le brigadier Vannier, qui était chargé de la surveillance du marché du Temple, arriva pour me prévenir qu'il avait arrêté un nommé Roch Blard, soldat au 22e de ligne, au moment où il cherchait à vendre pour un prix bien au-dessous de leur valeur des objets d'habillement d'une taille beaucoup plus élevée que la sienne. Interrogé sur la possession de ces vêtements, Blard avait répondu qu'ils lui appartenaient; ensuite comprenant l'invraisemblance de son assertion il avait prétendu qu'un nommé Auguste qu'il ne connaissait pas les lui avait confiés pour les vendre. Vannier, ayant trouvé dans la poche d'une redingote une facture au nom de Babois, chapelier, impasse Pecquet, s'était rendu au domicile indiqué, pour y prendre des renseignements. Là, il avait appris par les voisins que Babois, qui n'avait pas été vu de la journée, avait son atelier dans la cour, mais que la porte en était fermée.

Je fis conduire Desjardins à la préfecture de police et je me rendis avec Vannier chez Babois. La porte de l'atelier était encore fermée; je montai sur une chaise et j'aperçus, à travers les vitres, l'infortuné chapelier étendu par terre, devant son fourneau, la tête fendue par un coup de hache.

Blard nia constamment être l'auteur de ce crime; puis, devant la cour d'assises, il entra dans un système d'absurdités qui n'eurent pour résultat que de prouver sa culpabilité. Il prétendit qu'il avait été témoin du crime, que les assasins étaient des agents de police qui, pour l'engager à garder le silence, lui

avaient donné les vêtements cause première de son arrestation, et que le chef de la police de sûreté lui avait proposé de faire partie d'une bande d'assassins.

Ces assertions ridicules furent loin de lui être favorables, car la cour le condamna à la peine de mort. Le soir même de cette condamnation, le chef du service et moi, nous nous rendîmes dans le cachot de Blard, pièce voûtée, sous terre et très humide. Le prisonnier était couché et revêtu de la camisole de force, il demandait à chaque instant à son gardien de le changer de lit, prétendant être dévoré par les punaises; or, cette pièce était extrêmement froide; force araignées pouvaient s'y trouver, mais pas une seule punaise.

Les douleurs dont il se plaignait étaient produites par une violente éruption de sang, causée par l'excessive émotion qu'il avait éprouvée en entendant prononcer son arrêt.

Blard était âgé de vingt-cinq ans et petit de taille ; il monta sur l'échafaud avec une apparente résignation, qui ne pouvait être a ttribuée qu'à la stupidité dont il avait fait preuve pendant les débats. Après avoir vécu en brute, il mourut en brute, sans manifester le moindre repentir ni le moindre regret.

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XXXVII

VOLS AU THÉATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN

Vers 1833 ou 1834, M. Harel, l'habile directeur du théâtre de la Porte-Saint-Martin, vint au bureau de la police de sûreté déclarer que chaque jour, depuis un mois, un voleur s'introduisait dans son cabinet et lui dérobait de petites sommes d'argent dans son secrétaire, et qu'il craignait qu'il ne prît fantaisie à ce malfaiteur de faire main basse sur la totalité des valeurs renfermées dans son tiroir; puis il ajouta qu'il soupçonnait d'autant moins l'auteur de ces soustractions, que les clefs de la porte de son cabinet et de son secrétaire ne le quittaient jamais, que le jour elles étaient dans sa poche et la nuit sous son oreiller.

Il pria M. Allard de vouloir bien intervenir dans cette affaire pour le retirer de la perplexité dans laquelle il se trouvait à l'égard de son personnel. Le chef de service me fit appeler, me raconta ce que M. Harel venait de lui dire et me chargea, comme c'était son habitude, d'aller visiter les lieux où les

larcins avaient été commis et de prendre les mesures nécessaires pour arriver à l'arrestation du coupable.

Je me transportai avec M. Harel au théâtre, où je pris, mais sans résultat, des informations sur toutes. les personnes qui, par leurs fonctions, pouvaient, sans éveiller de soupçons, approcher du cabinet en question; je fis démonter les serrures de la porte et du secrétaire, j'examinai avec attention la partie où le panneton de la clef tourne pour faire jouer le pène, mais je n'y remarquai aucune des traces d'éraflures qu'y laissent les fausses clefs, et qui souvent sont invisibles à l'œil nu.

J'envoyai chercher une loupe, et ma conviction s'affermit dans mon esprit. Jugeant alors qu'on n'avait point pris l'empreinte de la serrure et qu'on n'avait pas pu faire faire de doubles clefs, attendu que les véritables ne quittaient jamais M. Harel, je pensai que le larron n'avait pu s'introduire que par la cheminée. J'en étais là de mes réflexions, lorsque j'aperçus un placard dissimulé par des costumes de théâtre; il était large mais peu profond. L'idée me vint que deux hommes de faible corpulence pourraient y passer la nuit en se tenant debout, et que le voleur se ferait prendre à ce piège.

Je communiquai mon dessein à M. Harel, qui se mit à rire en me disant : Comment diable voulez-vous que deux hommes puissent passer une nuit dans cette étroite niche sans étouffer et sans tomber de fatigue?

Soyez tranquille, répondis-je, faites seulement placer deux bouteilles de vin, un peu de pain et

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