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AVERTISSEMENT.

IL Seroit auffi mal-&-propos de faire un long difcours fur l'utilité des Dictionnaires en général, que fur celle des fondemens par rapport à un Edifice. Tout le monde convient de l'une comme de l'autre. Les Dictionnaires font les pièces fondamentales des Bibliothèques. Il n'y en a point, pour peu qu'elles foient confidérables, dans lesquelles ils ne tiennent la premiére place. Cependant, malgré cette préférence apparente, & les occafions continuelles où l'on eft obligé d'avoir recours à eux, je ne vois pas qu'on en falle un cas effectif. On les regarde ordinairement comme l'Ouvrage du Pédantisme & la refource des Ignorans. On les achette, on les étale par mode & par oftentation, & on dédaigne d'en faire usage par crainte & par présomption. Ils font remplis de leçons directes & abfolues; & les hommes font devenus fi vains & fi entêtés d'eux-mêmes, qu'on ne leur fait plus goûter les préceptes qu'en les leur préfentant d'une manière détournée, enforte que ceux qu'ils inftruisent puiffent s'en attribuer tout l'honneur. Peut-on concevoir un orgueil plus mal entendu? Les vieillards ont-ils honte de porter la canne qui foutient le poids de leur vieilleffe, & affure leurs pas chancelans? Ne fommes - nous pas tous des vicillards expofés à faire autant de chutes que de pas dans nos études, dans nos lectures, ou même dans nos entretiens familiers, fi nous négligeons le fecours des Diction

naires?

Mais trève à la morale. Ce n'eft pas mon métier de dogmatifer; & cependant je m'y trouve fi difpofé aujourd'hui, que je ne fuis pas furpris de voir tant de gens faire les Cenfeurs & tort & à travers. C'eft une manie qui fubjugue, qui entraîne la volonté. Apparemment parce qu'on s'imagine paller pour vertueux dans l'efprit de ceux qui nous entendent parler morale, & que par cette efpéce de rafinement on s'étourdit & on

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je

Je dérobe aux reproches de la confcience: mais ne voilà - t - il pas encore de la morale? plus d'écart, ni de verbiages. Fe reviens à mon dessein.

Ce que j'ai dit de l'utilité des Dictionnaires en général, convient fans-contredit à celui-ci, dont je ne fuis que PEditeur. Les Dictionnaires de Sciences & d'Arts ne font guéres que pour les Savans & que pour les Artiftes. Mais ceux de Langues font faits pour tout le monde qui les parle. Parmi ces derniers même, combien ne doit-on pas préférer ceux qui ne s'en tiennent pas à définir fimplement les mots, mais qui donnent encore un recueil de toutes les façons de parler, de toutes les phrafes qui font en ufage ou qui y ont été ? C'est l'avantage que le Dictionnaire Comique, Burlefque, Satyrique, Libre, Critique & Proverbial, a fur tous les autres. On y trouve un amas de tout ce qui s'eft dit de mieux dans chacun de ces genres. On y voit ce que le Comique a de plus fin & de plus rifible; ce que le Burlefque a de plus boufon & de plus plaifant; ce que le Satyrique a de plus piquant & de plus enjoué. Des remarques critiques fur des fujets choifis y font éparfes çà & là: enfin on y rapporte ces expreffions heureufes qui ont paffé en proverbes; & ces proverbes qui fous un langage familier, & quelquefois même populaire, renferment des vérités frappantes, & le plus grand fens: pareils à ces Héros, qui fous des dehors fimples partent fur leurs fronts les caractéres de leur courage & de leur grandeur d'ame. On ne doit pas craindre que ces beautés foient affoiblies pour être féparées de leurs circonstances. L'Auteur a tourné fes explications de manière qu'elles y fuppléent, & qu'elles imitent fous le même point de vue & la valeur des termes, & ce qui a occafionné d'en faire ufage.

On voit par ce court expofé que le Dictionnaire Comique contient ce qu'il y a de plus curieux & de plus intéressant dans les Belles-Lettres. Il y a pour les Jeunes-gens qui ont tant de peine à fe défaire du ftile pefant & emphatique, qu'ils ont puifé dans les Ecoles, où on ne leur apprend qu'à produire ce qu'on appelle des phrafes, des tournures fimples, des modéles d'élégance, de pureté & de naturel, fans lefquels il n'y a point de beau ftile. C'est un flambeau qui éclaire ceux qui font piqués de l'heureufe curiofité de lire ces Auteurs qui ont

paru

paru dans le renouvellement des Lettres comme des phénoménes furprenans, & qui, malgré l'ignorance & la barbarie de ces fiècles, nous ont tranfmis dans leurs Ouvrages des marques du plus grand génie, & de l'efprit le plus brillant. Qui pourrroit lire les Oeuvres de Rabelais, de Marot, &c. fans être arrêté à chaque page. Ceux de Ronfard, de Théophi le, de Scarron, n'ont-ils pas befoin d'être expliqués? Combien de termes qu'on n'y entendroit pas fans cela? Vous jeunes Plumes qui écrivez pour le Théatre, ouvrez le Dictionnaire Comique, en le lifant vous pourrez vous former une idée des expreffions vraiement comiques. On s'eft attaché furtout à n'en point oublier. C'est pour vous une fource de bonnes plaifanteries, qui vous épargnera la peine de les chercher dans les Originaux, qu'il n'eft pas toujours poffible d'avoir en pro pre, ou fous la main.

Il ya auffi une longue lifte de termes populaires, qui n'eft pas à dédaigner, comme elle pourroit le paroître d'abord. Com. bien de perfonnes diftinguées qui ne font jamais forties de la Cour ou du Grand-monde, & qui fe trouvant quelquefois obligées de defcendre dans certains détails avec des gens du peu ple, ne comprennent rien à ce qu'ils leur difent! Que ces perfonnes lifent le Dictionnaire Comique, elles feront bientôt au fait de ce langage. En un mot, il y a peu de gens a qui ce Dictionnaire ne foit auffi utile qu'agréable. Car on n'y remarquera point cette féchereffe, cette uniformité, qu'ont tous les autres. La matiére y est égayée par des exemples en Epigrammes, en Rondeaux, en Epitaphes pleins de fel & d'agrément, ce qui en fait comme un extrait des Ouvrages les plus enjoués, & les plus recreatifs en ce genre: ce point feul juftifieroit l'éloge que j'en fais.

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Je pourrois ajouter, pour plus grande preuve, le nombre des Editions: s'il n'eft pas toujours un témoignage affuré de la perfection des Ouvrages, il en eft au moins un de leur bonté à quelques égards.

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Tout ce que j'ai dit jufqu'-préfent, ne regarde que la bonté intrinféque (il faut bien qu'on me pardonne quelques termes de l'Art du Dictionnaire Comique. Parlons de fa beauté extérieure, ou du-moins des foins que j'ai pris pour lui en donner. F'ai choifi le papier & le caractére; c'eft-là d'où dé

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pend

pend la meilleure partie du fuccès. La couleur, les veines, les inégalités d'un papier, fuffifent fouvent pour rendre défectueufe une impreffion, d'ailleurs bien faite & bien exécutée. Fai réformé plufieurs endroits dont le ftile étoit trop négligé &fi j'en ai laiffe plufieurs autres, c'est parce que leurs défauts font fupportables, ou parce que les termes qu'il auroit falluy fubftituer, auroient été moins énergiques & moins expreffifs. J'ai corrigé un affez grand nombre de fautes d'impreffion, qui rendoient les phrafes inintelligibles, ou qui y caufoient des contrefens, & je me flatte qu'on n'en trouvera point de cette nature dans cette Edition, S'il s'y en eft gliffe quelqu'une, elle n'eft pas d'une grande importance. F'ai de-même rétabli plufieurs citations fauffes, qui n'auroient pas manqué de chagriner.certains Lecteurs, qui aiment à confronter les endroits cités aux Originaux. En un mot, fans rien retrancher, j'ai fait tout mon poffible pour que le Public foit content à tous égards.

Je trouvai chez moi il y a quelques jours un paquet, fans que j'aye pu découvrir de quelle part il venoit. Il contenoit un petit Manufcrit & une Lettre, dans laquelle on m'avertiffoit de profiter pour la nouvelle Edition du Dictionnaire Comique, &c. de la critique qu'on m'envoyoit. Le papier en étoit fale & enfumé. Je conjecturai que ces remarques avoient été autrefois adreffées à l'Auteur, qui n'avoit pas jugé à propos de les publier, & que je ne les tenois que de quelques-uns de Jes héritiers. Quoi qu'il en foit, elles m'ont paru très-fenfées. Et n'ayant pu en faire ufage, attendu que l'Edition étoit prefque finie, j'ai cru devoir les donner au Public, & les placer après cet Avertissement. Une bonne critique fait bonneur à un Livre. Celle-ci d'ailleurs achèvera de donner une idée parfaite du Dictionnaire Comique. J'espère que lo Lecteur nous en faura quelque gré à moi, & à celui qui me l'a procuré. F'en ai feulement retranché les exemples que l'Auteur avait mis au bas fous des chiffres qui étoient répétés dans les remarques. On les trouvera aifément dans le Dictionnaire, pour peu qu'on veuille y faire attention.

CRI

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