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de Chimenti. » Sir David Brewster n'est pas de cet avis: il considère ces dessins comme une preuve convainquante que la stéréoscopie était connue au XVIIe siècle. D'abord, se demande-t-il, le professeur Emerson a-t-il, lui, exécuté une double esquisse telle qu'il la dit, et l'a-t-il essayée avec succès dans le stéréoscope? ou bien a-t-il jamais fait une copie exacte des dessins de Chimenti? Mais sir D. Brewster ne s'est pas contenté d'émettre des doutes sur l'opinion de M. Emerson : il est allé à l'Ecole des beaux-arts d'Edimbourg, et s'y est adressé à un des professeurs, en le priant de faire exécuter par ses élèves quelques copies des dessins du maître italien. Des six copies ainsi obtenues, pas une n'a donné le relief dans le stéréoscope. Il est donc difficile d'admettre que les élèves de Chimenti aient copié les croquis de leur maître à côté des originaux; et le savant opticien défie le professeur américain d'obtenir un résultat satisfaisant sur cent copies de croquis faites par des personnes différentes, car de cette façon, selon lui, on n'aura jamais que des à peu près, mais pas des reliefs aussi exacts de tout point que ceux obtenus par les dessins de Chimenti. Maintenant, pourquoi un artiste de la valeur de Chimenti se serait-il amusé à faire une figure aussi peu intéressante que celle d'un homme assis, un compas dans une main et une ficelle dans l'autre ; et pourquoi l'aurait-il répétée à côté sans y faire le moindre changement, s'il n'avait pas eu d'autre objet en vue que de faire un simple croquis? Enfin, notre auteur cite un fait important: c'est que le professeur Archer, directeur du muséum industriel d'Ecosse, a vu tout récemment, au musée de Liverpool, un instrument ayant l'apparence d'un stéréoscope, portant la date 1670, et supposé d'origine italienne. Ce fait, joint à la circonstance que les dessins de Chimenti furent exécutés vers l'an 1620, époque à laquelle Jean-Baptiste Porta venait d'appeler l'attention des savants sur le phénomène de la vision binoculaire, milite certainement en faveur de l'opinion que la stéréoscopie était connue en Italie au XVIIe siècle.

Notre Académie des sciences continue de déployer cette activité qui lui a valu la première place parmi les sociétés savantes.

Nous avons assisté, l'année dernière, à un débat très vif sur une màchoire humaine trouvée à Moulin-Quignon par M. Boucher de Perthes, débat qui avait pour but de déterminer la date de l'apparition de l'homme sur la terre. M. Elie de Beaumont paraissait avoir tranché la question en faisant connaître que le terrain de Moulin-Quignon n'était pas du vrai diluvium, et que, par conséquent, la mâchoire qui y avait été trouvée n'était pas aussi ancienne qu'on l'avait pensé. Mais il restait dans le camp opposé sir Charles Lyell, et tous ceux qui ne pouvaient pas s'expliquer la présence des silex taillés au milieu des fragments fossiles d'animaux qui ne se trouvent que dans le diluvium; on renonçait d'assez mauvaise grâce à la mâchoire, mais on s'accrochait avec une ténacité désespérée aux silex, le seul point que M. Elie de Beaumont n'osât pas aborder. Il vient d'arriver à ce parti de l'opposition un renfort inattendu, et très sérieux cette fois il s'agit de deux demi-mâchoires trouvées, non pas

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près d'Abbeville, mais dans une caverne située près de Bruniquel (Tarnet-Garonne). S'il pouvait exister des doutes sur l'antiquité du gisement de Moulin-Quignon, il ne semble pas, à en juger par le mémoire adressé à l'Académie par MM. Garrigou, L. Martin et E. Trutat, qu'un doute semblable puisse s'élever sur l'àge de cette caverne. Elle est creusée dans un calcaire jurassique, et composée d'une seule salle peu spacieuse, onverte vers l'est et à 6 ou 7 mètres au-dessus du niveau actuel de l'Aveyron. Le sol en est formé par la superposition de plusieurs couches qu'on a suivies jusqu'à une profondeur de 3 mètres. On trouve, en commençant par la partie supérieure, une stalagmite de 22 centimètres d'épaisseur; une brèche osseuse de 1 mètre 50 centimètres, des couches argileuses noires se répétant plusieurs fois, et, au milieu desquelles se voient pêle-mêle, avec des silex taillés de toutes les dimensions et de toutes les formes connues, avec des pointes de flèches barbelées, etc., des ossements de carnassiers, de ruminants, d'oiseaux, et des cailloux roulés formant plusieurs lits. Des niveaux de charbon existent au milieu des couches que nous venons d'indiquer. Les ossements de ruminants ont été cassés, probablement pour en avoir la moelle. Parmi ces débris, on trouve les os du renne, de l'antilope, du cervus elephas, espèce de cerf fossile, du bos primigenius, du rhinoceros tichorrinus, espèces aujourd'hui perdues, puis de deux gallinacés, d'un autre oiseau de très forte taille, et de deux espèces de poissons. Mais c'est surtout le renne qui est caractéristique de l'âge de la caverne de Bruniquel; elle appartiendrait donc, d'après la division de M. Lartet, à la troisième époque paléontologique de la période quaternaire.

La description que nous venons de donner suffirait au besoin pour démontrer l'existence de l'homme sur notre globe à cette époque. D'où viennent-ils, nous le demanderons pour la centième fois avec M. Boucher de Perthes, dont les recherches acquièrent par ce nouveau fait une valeur immense, d'où viennent-ils, ces silex taillés? d'où viennent-ils, ces os brisés, dont beaucoup ont même été façonnés en forme de flèche, si ce n'est de la main de l'homme? Il ne s'agit plus ici de Moulin-Quignon, dont le diluvium est peut-être, mais pas nécessairement, d'un âge insuffisant; il s'agit ici d'un terrain présentant tous les caractères d'antiquité exigés, et cependant entrecoupé de minces couches de cendres résultant d'un feu artifi-' ciellement allumé, et contenant des restes fossiles d'espèces aujourd'hui disparues. A ces indices si frappants viennent maintenant se joindre deux demi-mâchoires humaines trouvées au milieu de ces débris. Le coup de bêche qui a amené la première a brisé le condyle (c'est-à-dire la partie par où elle s'attache à la région supérieure), et a fait tomber quelques dents qu'il a été impossible de retrouver; il n'est resté en place que la première grosse molaire. Ce fragment appartient à un adulte; c'est la mâchoire inférieure du côté droit. L'autre demi-mâchoire, moins bien conservée, est du côté gauche, et appartient à un vieillard; il y a donc eu en ce lieu deux individus distincts, gisant presque à côté l'un de l'autre, puisque le dernier fragment a été trouvé à 1 mètre de distance environ du premier.

Nous ne répéterons pas la description très détaillée qu'en donnent MM. Garrigou, Martin et Trutat; nous dirons seulement qu'ils y ont reconnu les caractères attribués par Pruner-Bey au type brachycéphale, c'est-à-dire au même type que celui de la mâchoire de Moulin-Quignon. Comparées avec celle-ci, elles présentent des caractères parfaitement analogues, la seconde surtout, qui, comme celle de Moulin-Quignon, a appartenu à un vieillard.

Il est curieux de constater que jusqu'ici on n'a trouvé que des mâchoires humaines à Aurignac, à Arcy, à la Thinière en Suisse, à Moulin-Quignon et à Bruniquel. Pourquoi n'a-t-on pas trouvé des humérus, des tibias, des fémurs, des os enfin d'un plus fort volume que ceux de la région inférieure de la tête? Ceux-là seraient-ils plus périssables? C'est un mystère que de nouvelles recherches seules peuvent éclaircir. Toujours est-il que l'existence de l'homme à une époque bien antérieure aux temps historiques est maintenant démontrée. Ici surtout, la chicane est impossible: dix témoins attestent la vérité du fait. Ce sont d'abord les trois auteurs du mémoire, ensuite le curé de Bruniquel, son neveu et cinq ouvriers. Mais il y a mieux ces dix témoins ont vu sortir de la terre un humérus d'oiseau de grande taille sur lequel sont grossièrement sculptées diverses parties du corps d'un poisson. Une queue bifide s'aperçoit sur l'une des faces, et à gauche, immédiatement à la suite, existent deux têtes de poissons. Au-dessus et sur une autre face de l'os, ne se reliant par aucun point aux deux têtes précédentes, il y a trois nageoires disposées dans un même sens. Nos auteurs pensent que cet os d'oiseau était une amulette ou un ornement de distinction: hypothèse qui nous paraît sujette à de graves objections.

Quelle que soit la valeur des découvertes récentes, nous ne pouvons nous dissimuler qu'à côté d'une foule d'ossements diluviens on n'a trouvé jusqu'ici que cinq ou six petits débris du squelette humain. Ce fait nous semble démontrer l'extrême rareté de notre espèce à cette époque. La société n'existait pas. Nos premiers ancêtres vivaient épars çà et là par groupes de familles extrêmement restreints, dans des cavernes comme des bêtes fauves, et un grand nombre ont dû succomber aux attaques d'animaux qui leur étaient supérieurs en force matérielle, et contre lesquels ils n'avaient que des armes insuffisantes. Exposés à toutes les intempéries, entourés d'ennemis formidables, manquant souvent d'aliments, les hommes semblaient voués à une destruction complète avant d'avoir pu former des centres de population assez forts pour résister à ces dangers de toute espèce. Dans cette période rudimentaire des sociétés humaines, on ne s'explique guère l'existence d'amulettes et surtout de marques de distinction. Cet os sculpté ne serait-il pas tout simplement un produit de l'instinct d'imitation? instinct qui est un des premiers à se développer chez l'enfant ? Un de ces hommes primitifs se sera essayé à reproduire un des objets les plus faciles, qu'on avait journellement sous les yeux; mais cet effort a échoué, et l'artiste antédiluvien n'a pu venir à bout de compléter le dessin. Si grossière que soit cette ébauche, elle mériterait de figurer dans un de nos musées comme une insigne curiosité; elle s'ajoute

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aux deux ossements humains trouvés tout à côté, pour établir l'existence de l'homme dans la période quaternaire. Constatons encore cette circonstance indiquée par MM. Garrigou, Martin et Trutat, que parmi les mâchoires humaines trouvées jusqu'ici, il y en a trois, pouvant se rapporter au type brachycéphale (à courte tête), qui datent de trois époques différentes parfaitement séparées l'une de l'autre celle d'Aurignac, avec laquelle a été trouvé l'ursus spelœus; celle de Moulin-Quignon, gisant à côté de l'elephas primigenius; et celle de Bruniquel, recueillie au milieu des ossements du renne.

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Du reste, les découvertes paléontologiques se multiplient avec rapidité. M. Husson vient d'explorer une fissure qu'il appelle le Trou des Celtes, située dans le côteau de la Treiche, aux environs de Toul. C'est une crevasse sinueuse, horizontale, ayant au moins 70 mètres de longueur, et probablement élargie, en certains endroits, par la main de l'homme. Elle contient, comme éléments géologiques, beaucoup de pierres détachées des parois, une marne provenant du terrain, un peu de diluvium, et, surtout dans sa dernière moitié, beaucoup de stalactites et de nombreuses et belles stalagmites. Sous ces masses stalagmitiques, M. Husson a trouvé, en mélange avec du diluvium, des restes de produits industriels et de nombreux ossernents humains. Ces derniers forment en outre, çà et là, avec les stalagmites, des brèches très remarquables empâtant des restes diluviens. Tous ces débris datent des commencements de l'époque celtique; mais, ce qu'il y a de curieux, c'est qu'à côté de couteaux, de haches et de flèches en silex, qui sembleraient indiquer l'âge de pierre, on trouve des indices d'une civilisation plus avancée, c'est-à-dire des poteries, des grains de collier, des bagues, des anneaux pour oreille, et même des monnaies, le tout en cuivre oxydé. Cette caverne, successivement occupée par les Celtes et les Gallo-Romains, a dû être fouillée il y a bien des siècles. Le sol même de la Treiche n'a été foulé par l'homme que postérieurement au dépôt diluvien qui recouvre le coteau; aussi, les découvertes de M. Husson ne nous semblent-elles pas avoir rapport à la grande question actuellement débattue, celle de l'antiquité de l'homme.

En rendant compte, dans la Revue du 31 juillet 1862, du système de télégraphie météorologique organisé par l'amiral Fitzroy, nous pressentions que ce système, si utile aux marins, ne manquerait pas d'être adopté en France. C'est ce qui est arrivé. Dès le 17 août dernier, M. Marié Davy a commencé à rendre compte, à l'Académie des sciences, des travaux du même genre entrepris à l'Observatoire de Paris, dont les premiers efforts dans cette voie datent de 1855. Le système consiste à se faire envoyer journellement par le télégraphe, de tous les points de la France dont la position est favorable aux recherches météorologiques, l'état du baromètre et de l'atmosphère en général. On marque sur des cartes préparées d'avance la pression barométrique de chaque point; ceux qui présentent la même cote barométrique, 775 millimètres, par exemple, on les relie par des lignes dont l'ensemble constitue une courbe. On en fait autant aux points cotés 770, et ainsi de suite. C'est ainsi que l'on obtient des courbes de haute et de basse pression; et l'on s'aperçoit aisément par là que l'air,

loin d'être toujours uniformément distribué autour de notre globe, se masse au contraire sur certains points, et en laisse d'autres dans un état de pénurie relative. Il en résulte que, sur ces derniers points, le baromètre s'abaisse, tandis qu'il s'élève là où la masse d'air est plus considérable. Mais il en est de l'air comme de l'eau qui, quelque agitée qu'elle soit, tend toujours à regagner son niveau; il s'ensuit dès lors que l'air, surabondant dans un endroit donné, tend à se déverser sur les points qui en sont moins fournis; de là les mouvements brusques de l'atmosphère qui se traduisent en courants, et très souvent en tempêtes agissant autour d'un centre, et que l'on est convenu d'appeler des tourbillons. C'est donc en étudiant les courbes de haute et de basse pression que l'on peut arriver, non-seulement à prévoir dans une certaine mesure l'approche d'une tempête, mais aussi sa marche probable. La construction des cartes météorologi ques quotidiennes exige nécessairement un certain temps; les dépêches télégraphiques qui arrivent entre onze heures et deux heures, ne donnent que l'état barométrique entre sept et huit heures du matin, et il faut encore du temps pour en noter les données sur les cartes. Malgré ce retard forcé, on peut généralement prédire, d'après les courbes et la direction du vent, l'arrivée probable d'une tempête un ou deux jours à l'avance.

Une citation empruntée à M. Marié Davy fera comprendre à nos lecteurs ce jeu des courbes de pression, et les variations souvent assez brusques qu'elles subissent. « Le 17 septembre, dit-il, une modification très marquée se manifestait dans la distribution des pressions sur l'Europe occidentale. La courbe barométrique 0,765 qui, la veille au matin, se relevait vers le nord-ouest sur l'Irlande, se trouvait repliée vers le sud, le long de nos côtes et de celles du Portugal jusqu'à San-Fernando, près Cadix. Les probabilités d'un coup de vent prochain nous parurent assez grandes pour qu'à 3 heures nous pussions adresser à nos correspondants d'Allemagne la dépêche télégraphique suivante : Menace à l'ouest sur l'Océan. Le 18, cette même courbe 0,765 s'était fermée en se retirant vers le nord-est, et n'embrassait plus que la France et une partie de l'Allemagne. En même temps, la courbe 0,760 avait suivi une marche parallèle, et présentait dans le golfe de Gascogne une dépression qui forme pour nous un des signes les plus caractéristiques de l'arrivée des tourbillons sur l'Europe moyenne, et que nous croyons pouvoir attribuer à ce que la surface lisse de l'Océan oppose moins de résistance que la surface accidentée du sol à la transmission de l'impulsion de l'air qui la recouvre. »

Ce petit exemple nous permet d'aborder, en connaissance de cause, le grand ouragan des 2 et 3 décembre dernier, ouragan qui a donné lieu à un débat des plus instructifs. D'après M. Marié-Davy, cette tempête était due à un tourbillon qui avait envahi l'Europe par les côtes nord-ouest de l'Irlande, et avait enfin pénétré en Russie. Il constate que, dès le 27 novembre, l'aspect général des courbes d'égale pression lui inspirait des doutes sur la persistance du calme qui régnait assez généralement sur les côtes de la France. Cette situation se maintint toutefois jusque dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre. Mais, à cette dernière date, les observations accusaient nettement l'arrivée d'un tourbillon sur l'Irlande. Le

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