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j'entrevois dans un avenir prochain un nouveau crime qui n'est pas loin d'éclater; mais je me suis donné pour mission de vous le dénoncer à seule fin que nous nous unissions pour écraser les ennemis du peuple sous quelque forme qu'ils se présentent. » Et plus loin cette phrase incohérente et insensée : « Peuple, toi que l'on craint, que l'on flatte et que l'on méprise; toi qui crois être souverain et que l'on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce ne sont que des pressions des magistrats et que l'on nous a changés de chaînes et non de destin; car sache que tout homme qui s'élèvera pour défendre ta cause et la liberté, sera accablé d'injures et proscrit par les fripons; sache aussi que tout ami de la liberté sera toujours placé entre son devoir et la calomnie, car ils n'osent, ces vendus, s'attaquer à toi, peuple; mais ils proscrivent en détail, dans la puissance des vrais révolutionnaires, jusqu'à ce que ces ambitions aient organisé leur tyrannie. » C'est l'idée du moi exaltée au point de dominer toutes les autres, et menant jusqu'au crime pour obtenir la célébrité.

VI. LA MYTHOMANIE ET LA SIMULATION CHEZ LES CRIMINELS.

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Cet appétit de la notoriété, ce besoin de fanfaronnade chez les criminels développe chez eux d'une façon presque morbide l'habitude du mensonge comme chez les enfants. Il existe, en effet, chez certains enfants une tendance spontanée et constante au mensonge. « L'enfant ment alors par simple déclanchement, parce que cela lui traverse l'esprit; il ment comme il prononce des mots obscènes. L'idée de dire: j'ai fait telle chose, lui traverse l'esprit; il la réalise de suite et dit j'ai fait telle chose. Dès que sa mentalité mal organisée lui suggère de dire qu'il a été se promener au bord de l'eau, il exprime aussitôt le produit de son imagination et déclare sans plus de réflexion qu'il a été se promener au bord de l'eau (1).

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(1) J. PHILIPPE et P. BONCOUR. Les anomalies mentales chez les écoliers.

Ces tendances se retrouvent chez les criminels adultes et même souvent exagérées: ils déforment les faits, inventent des faits imaginaires. Quand la simulation s'associe au mensonge, à la mythomanie, le criminel arrive à la fabulation fantastique, selon les expressions de A. Trannoy (1). La fabulation varie naturellement dans ses manifestations suivant les ressources intellectuelles du sujet et aussi suivant sa vanité et sa méchanceté.

Le genre de simulation le plus fréquent dans les prisons consiste à se faire passer pour malade afin d'entrer à l'infirmerie et d'échapper ainsi aux ennuis de la cellule et aux corvées de la prison.

A côté de ce genre de simulation, on peut dire innocente, on a le « maquillage ». Le détenu qui se « maquille » détermine chez lui une maladie plus ou moins grave destinée à le préserver soit du cachot, soit du transfèrement en centrale, soit de la déportation quelquefois.

J'ai vu des prisonniers se verser de l'acide sulfurique sur les mains pour se faire des brûlures, d'autres se contusionner à dessein un genou pour amener une hydarthrose. Ils ont recours à des procédés plus dangereux encore. Ainsi, un maquillage quelquefois employé est le suivant: le détenu cache dans sa cellule, ordinairement dans la lunette de sa fosse d'aisances, un morceau de viande qu'il laisse corrompre pendant quelques jours; puis il s'excorie le bras et applique sur la partie excoriée la viande corrompue qu'il fixe avec un bandage. Des phénomènes septiques ne tardent pas à se manifester: ecchymoses, lymphangite, abcès, etc. D'autres s'inoculent sous la peau du tartre dentaire,procédé non moins dangereux. D'autres enfin, pour amener des abcès, se passent des sétons avec des cheveux, que les forçats de la Nouvelle remplacent par une fibre extraite d'une plante irritante (2). L'épilepsie a souvent tenté les simulateurs, et les criminels. ne manquent pas d'en jouer, soit pour atténuer leur respon

(1) La mythomanie. Thèse de Paris, 1906.

(2) Consulter à ce sujet: HUTRE. Les maladies provoquées au pénitencier de la Nouvelle-Calédonie. Thèse de Montpellier, 1888.

sabilité, soit pour se faire admettre à l'infirmerie. Généralement ils simulent des attaques. Dans ce cas, neuf fois sur dix on les démasque avec facilité : ils oublient de pousser le cri initial, ils ne se mordent pas la langue, ils n'urinent pas, etc.

Les simulateurs les plus curieux et quelquefois les plus difficiles à démasquer sont ceux qui simulent la folie. Le cas le plus curieux que j'aie observé, est celui d'un individu qui a simulé pendant trois ans, sans se départir un seul instant du système qu'il avait adopté (1). Plusieurs médecins aliénistes et légistes furent appelés à l'examiner; on fit des rapports contradictoires et on eut toutes les peines du monde à s'entendre. J'avoue que j'ai cru pendant plus de deux ans que cet homme était fou ou au moins déséquilibré; si j'ai été tiré de cette erreur, ce n'est que grâce à la délation d'un détenu.

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J'ai connu bien peu de détenus courageux: quoi qu'on en ait dit et quoi qu'ils en disent, ils redoutent la souffrance, et la pensée seule de l'échafaud les fait pâlir.

Quelques-uns semblent accepter, le jour des assises, leur condamnation avec un stoïcisme parfois cynique; mais, si le criminel ne tremble pas devant la sentence qui le condamne à mort, c'est qu'il est le plus imprévoyant des hommes, qu'il considère sa grâce comme assurée ou bien la mort comme une chose tellement lointaine qu'elle ne saurait fixer son attention frivole. Et tel qui accepte la sentence avec un rire de défi aux lèvres, tremble et défaille lorsqu'on lui annonce que son heure dernière est arrivée.

Néanmoins, il y a quelques exceptions. Si la plupart des criminels s'adressent à des gens sans défense, s'ils frappent leur victime désarmée, s'ils n'exécutent leur crime qu'en tremblant et s'ils fuient lâchement à la moindre alerte, il en est cependant quelques-uns parmi eux qui, lorsqu'il s'agit de

(1) Voir ÉMILE Laurent. Un détenu simulant la folie pendant trois ans. Annales médico-psychologiques, 1888.

commettre une mauvaise action, déploient quelquefois beaucoup d'audace et même un certain courage.

J'ai connu à la prison de la Santé une espèce de héros de bagne qui avait accompli plusieurs évasions pleines d'audace et de péril. C'était un vieux roué. D'une intelligence superficielle, mais vive, il s'exprime avec une faconde pleine d'abondance, répétant à tout bout de champ qu'il est un grand homme dans son genre, que les évasions qu'il a accomplies sont des actes surprenants. Couvert de tatouages des pieds à à la tête, il montre avec orgueil cette inscription qui s'étale sur son ventre: « Pas de chance. » Néanmoins, cette forte tête du bagne ne sait ni lire ni écrire.

Généralement, à moins qu'ils ne se laissent emporter par leurs impulsivités, les criminels reculent épouvantés devant le premier obstacle qui se dresse sur leur route. Ils sont rarement capables d'affronter des dangers pour recouvrer la liberté. En somme, Elams Linds a raison: « L'homme malhonnête est essentiellement lâche. » Eux qui aiment tant la vengeance, ils reculent souvent quand il faut frapper leur ennemi en face, même désarmé. On cite à cet égard des faits curieux. Serafini, le chef de la police de Ravenne, apprit qu'un assassin des plus dangereux s'était vanté de le tuer: il le fait venir, lui met dans les mains un pistolet et l'invite à tirer sur lui. L'assassin aussitôt de pâlir, de trembler: sur quoi, Serafini le chasse en le souffletant. Ce même Elams Linds, que j'ai cité, s'enferma un jour dans une chambre avec un galérien féroce qui avait juré de lui donner la mort; il se fit raser par lui et le congédia ensuite en disant : « Je n'ignorais point vos projets, mais je vous méprise trop pour vous croire capable de les exécuter. Seul et sans armes, je suis plus fort que vous tous réunis. >>

A la Santé, comme dans les autres prisons, on ne met qu'un seul gardien sans armes pour surveiller un grand nombre de détenus, libres dans les cours ou travaillant en atelier et ayant par conséquent entre les mains des armes dangereuses. Or, il est extrêmement rare de voir un gardien frappé par un détenu. Et Dieu sait s'ils les rudoient et les humilient. Ils supportent lâchement toutes les injures et tous les affronts.

VIII. LA VOLONTÉ CHEZ LES CRIMINELS.

« Une volonté qui devient criminelle est une volonté qui devient malade », dit H. Joly. Le crime, en effet, est un nonsens. Il peut procurer quelques jouissances passagères et préserver du travail, ce grand ennemi des criminels; mais presque toujours le châtiment suit, infiniment plus grand, infiniment plus terrible, infiniment plus durable, puisqu'il entraîne la déchéance irrémédiable. Combien a-t-on vu de criminels heureux? Ils sont bien rares. Aussi, H. Joly a mille fois raison: « Celui qui fait le mal, dit-il, est souvent en peine d'expliquer pourquoi il le fait; il violente en lui la sympathie et la pitié naturelles à l'être sensible; il méconnaît ses propres intérêts; il se met à la merci de coopérations et de circonstances sur lesquelles il lui est impossible de compter; il déchaîne en lui-même ceux de ses penchants qui sont les plus illogiques et les plus rebelles à la discipline.

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Aussi la volonté est, chez les criminels, une faculté rudimentaire ou atrophiée par une sorte de paralysie psychique.

Certains criminels sont des natures lâches et paresseuses, des volontés impuissantes. Il y a chez eux une sorte d'aboulie qui les rend incapables de travailler et de lutter. Tels sont les mendiants, les vagabonds et certaines catégories de voleurs. Il y a, chez eux, à côté d'un état de débilité intellectuelle, un état de débilité volitionnelle qui les met dans un état d'infériorité notoire. Prenez, par exemple, un de ces vagabonds qui peuplent les prisons: travailleur peu habile et peu courageux, mal armé pour la lutte de la vie, il vivait misérablement, sans essayer d'augmenter son bien-être. Il le voudrait bien, mais il n'a pas assez d'énergie pour faire un effemoral suffisant, et il reste éternellement dans le même état de médiocrité. Cet homme, un beau jour, pris de concupiscence ou de gourmandise, vole ce que son travail n'a pu lui donner; on le chasse; alors il va dans la rue et il y reste. Il ne cherchera pas à se relever, à trouver une autre situation, à remonter dans les sphères du travail régulier. Il ne

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