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DEUX VÉTÉRANS.

L'année 1871 a été une année de deuil pour le monde musical de Belgique.

Le 26 mars 1871, mourut à Bruxelles, après une courte maladie, François-Joseph Fétis, né à Mons, le 25 mars 1784, âgé de 87 ans, moins un jour.

Fétis est une des plus grandes illustrations de notre pays, et comme directeur du Conservatoire de Bruxelles, depuis 1832 à 1871, il a rendu des services immenses à l'art musical et à son pays.

Fétis est tombé au champ d'honneur et dans toute la plénitude de ses facultés.

Quelques jours avant sa mort il avait dirigé avec toute la force de sa constitution, un concert du Conservatoire.

En 1824, M. Fétis publia son traité de contrepoint et de fugue, ouvrage qui contient des avantages dont les autres ouvrages sont dépourvus.

Voici la décision du Comité de l'Académie royale des BeauxArts de Paris sur ce traité :

La section de musique, enfin, après avoir examiné l'ouvrage de M. Fétis, et ayant manifesté ce qu'elle en pense, termine le rapport en invitant l'Académie à vouloir bien l'approuver.

Signé: LESUEUR, CATEL, BOIEldieu, Berton,
CHERUBINI, rapporteur.

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L'Académie approuva le rapport, et en adopte les conclusions. Voici le discours par M. Fallon, président de la commission. administrative du Conservatoire royal, prononcé à l'enterrement :

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"MESSIEURS.

» C'est avec une bien vive émotion que la Commission administrative et le corps professoral du Conservatoire royal de musique

de Bruxelles, s'inclinent respectueusement devant ce cercueil où sont déposés les restes mortels de François-Joseph Fétis, directeur de cet établissement, maitre de chapelle du roi, et grand-officier de son ordre, commandeur de l'ordre de la couronne de Chêne, officier de la Légion d'honneur et de l'Aigle rouge.

Dans une solennité aussi joyeuse qu'est affligeante celle à laquelle nous assistons pour rendre les derniers devoirs au vénérable maitre que nous pleurons, je prédisais qu'il figurerait dans les annales de l'histoire au premier rang des illustrations dont le dix-neuvième siècle aura brillé. Alors Fétis était plein de vie et de santé; alors, on ne se serait point douté que le temps était proche où sonnerait pour lui l'heure du repos et où commenceraient pour sa mémoire les hommages de la postérité.

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Il y a deux mois à peine, Fétis dirigeait encore avec l'énergie et l'allure juvénile qu'on lui connaissait, l'avant dernier concert de la saison. Mais au sortir du Palais Ducal un refroidissement le saisit. C'était un avertissement; il n'en tint pas compte et voulut clore lui-même la série de nos charmantes matinées musicales. Cette courageuse résolution lui a été fatale. Le dernier concert l'a épuisé. Comme un vaillant capitaine tombé héroïquement à son poste périlleux, on peut dire que Fétis est mort sur la brèche, enveloppé dans l'auréole de sa gloire.

Fétis a honoré sa patrie par ses travaux et l'éclat de sa renommée. Les œuvres sorties de sa plume sont innombrables et ont mis le sceau à sa célébrité. Aussi sa mort aura-t-elle un immense retentissement dans le monde.

"Il était membre de l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts. A son tour, il a présidé cette compagnie savante, mieux posée que nous pour juger le philosophe et l'écrivain au point de vue de sa vaste érudition et de ses qualités littéraires. Ses connaissances musicales, théoriques et pratiques, étaient universelles. Des artistes éminents écoutaient et suivaient volontiers ses conseils. Est-il besoin de rappeler la part active et éclairée qu'il prit à la mise en scène de l'Africaine?

» Pénétré comme la plupart des artistes de sa valeur et de la puissance de son génie, Fétis avait l'ame fière et indépendante. Il ne supportait pas la contradiction, surtout quand il s'agissait de son autorité, et les formalités règlementaires l'importumaient.

Veut-on savoir qu'elle était sa sollicitude pour la marche régulière de l'instruction? Lorsque certains cours devenaient vacants, par suite de retraites ou de décès, il n'attendait point que le gouvernement les pourvût d'un nouveau titulaire; il s'y consacrait lui même avec un dévouement bien rare chez un homme, anquel les journées entières ne suffisaient pas pour faire marcher de front les travaux de tout genre auxquels il se livrait avec une ardeur dévorante.

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J'en ai dit assez. Messieurs, pour prouver combien est cruelle pour le Conservatoire et regrettable pour le pays, la disparition de cette grande figure dont ils avaient le droit de s'énorgueillir.

"

"

La famille de Fétis, fière à juste titre du beau nom qu'elle porte, sait et prouve que noblesse oblige; elle trouvera, j'espère, dans les paroles que je viens de prononcer un adoucissement à sa douleur. Dans un instant, Messieurs, nous allons nous rendre, recueillis et attristés, dans l'église où, le 6 novembre 1855, entouré comme aujourd'hui de tout le personnel du Conservatoire, François-Joseph Fétis, aussi bon époux que bon père, faisait célébrer son jubilé de cinquante années de mariage. Depuis trois ans, sa digne compagne l'a précédée dans la tombe, en attendant qu'ils se retrouvent là haut ! »

Un journal donne ces détails :

"Les coins du poêle étaient tenus par MM. Kervyn de Lettenhoven, Ministre de l'Intérieur, Gallait, président de l'Académie, Fallon, président de la Commission administrative et Pierre Batta, doyen d'âge du corps professoral du Conservatoire.

Le service funèbre a été célébré dans l'église de N.-D. des Victoires au Sablon. On y a exécuté sous la direction de M. Ad. Samuel, plusieurs fragements du Requiem de Fétis, avec solos chantés par MM. Cornélis et Warnots, ainsi qu'un quintette de trombones d'une sévère grandeur, l'une de ces compositions remarquables que le maître, pour se délasser de travaux plus importants, écrivait au courant de la plume sous la forme modeste de morceaux de concours pour les élèves du Conservatoire.

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L'inhumation a eu lieu au cimetière de Saint-Gilles. »

Charles-Louis Hanssens, né à Gand, non le 10 juillet 1802, mais le 12 juillet de cette année, décédé à Bruxelles, le 8 avril 1871, un des meilleurs chefs d'orchestre de son temps, compositeur d'un grand mérite et qui a été à la tête du mouvement musical à Bruxelles depuis 1841.

Sa messe de Requiem, exécutée le 23 septembre 1837, à Ste. Gudule à Bruxelles, est un chef-d'oeuvre d'instrumentation, dont on grava la partition in-folio.

Nous lisons sur la mort de Hanssens dans le Guide musical:

Mardi, 11 avril, à 3 heures de relevée, ont eu lieu, au milieu d'un grand concours de monde, les funérailles de Charles-Louis Hanssens.

- MM. les membres de l'Association des artistes-musiciens et de la Grande Harmonie, se sont rendus, avec la musique et le drapeau, à la maison mortuaire, boulevard de l'Entrepôt, no 3, près de la porte de Flandre.

Le clergé est venu procéder à la levée du corps, et le cortége s'est mis en marche pour l'église Sainte-Catherine, où l'absoute a été dite.

"

Une modeste couronne de chêne était placée sur le cercueil.

» Une foule énorme, composée d'artistes et d'amis des arts, suivait le corps. Nous avons aussi remarqué des sénateurs, des représentants, des membres du Conseil communal, les professeurs du Conservatoire, des chanteurs du Grand-Théâtre, des députations de Sociétés musicales, etc.

L'Académie royale et la Loge des Amis philanthropes étaient representées à la cérémonie funèbre.

A trois heures et demie, au sortir de l'église, le convoi s'est rendu au cimetière de Molenbeek-Saint Jean, où des discours ont été prononcés sur la tombe par MM. Dumon, au nom de l'Association des Artistes-musiciens, Dartevelle et Geelhand, au nom des Sociétés de l'Harmonie et de la Philharmonie, et par M. Jonniaux, au nom de la Loge des Amis philanthropes

M. de Burbure, membre de l'Académie avait parlé dans la maison mortuaire.

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Une compagnie du 3e de ligne a rendu les honneurs militaires au défunt, qui était officier de l'Ordre de Léopold.

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Un service funèbre eut lieu pour le repos de son âme le 13 avril 1871, à l'église Sainte-Catherine, et bien en chant grégorier. Après le Sanctus, plusieurs artistes distingués ont rendu un dernier hommage au maitre distingué, en chantant, sous la direction de M. Victor Massagé, un motet qui a produit une profonde impression.

(Voir notre ouvrage sur les Musiciens belges)

Hanssens épousa en 1826 Mlle Devries, d'Amsterdam, et de ce mariage est issu deux filles, dont l'une, Mile Julie, née à Gand en 1828, excellente pianiste, décéda en cette ville, le 25 avril 1845. Le père en ressentit une profonde douleur.

Sa femme, personne simple, l'approchait constamment pour le soigner. La nuit de sa mort lorsqu'elle venait le consoler, il disait d'une voix faible en tournant son visage vers le mur: Je me trouve très bien, laissez-moi me reposer ! Quelques instants après, Mme Hanssens voulant juger de ce repos, ne trouva plus qu'un cadavre.

Nous avons été témoin en personne du soin que la malheureuse femme donnait au malade.

M. Meyerbeer assistait à la Monnaie à une représentation de Lucie. Après le second acte, son incognito a été trahi par une galanterie de bon goût de M. Hanssens; au lever du rideau l'orchestre exécuta plusieurs morceaux du Prophète, avec une rare perfection. Meyerbeer adressa, à cette occasion, la lettre suivante. à Charles Hanssens :

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Veuillez m'excuser de n'être pas venu de suite vous remercier, de vive voix. de la charmante surprise que vous m'avez faite avanthier soir, lors de ma présence à votre théâtre, et de laquelle j'ai été doublement charmé, d'abord à cause de la flatteuse courtoisie du public, et puis à cause de la chaleureuse et énergique exécution, par tous vos artistes, du chœur du Prophète, etc.

» G. MEYERBEER. »

Hanssens avait atteint l'âge de 69 ans et six mois.

Une modeste couronne de chêne était placée sur le cercueil de celui qu'on appelait communément le Beethoven de la Belgique.

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