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maîtresse de la maison veut me ménager un entretien avec elle; que va-t-elle me dire? Je le saurai bientôt; mais moi, que vais-je dire? Si je connaissais Ernest seulement! La musique nnonce quon va recommencer å danser. Je vais prendre la nain de la maîtresse de la maison: c'est une femme de trente ns, jolie et bien faite, nous faisons la première figure sans parer; pendant que les autres dansent à leur tour, elle me dit : Pour mon mari, il n'y a pas de danger; mais méfiez-vous d'Ernest il ne sait rien, comme vous pouvez bien penser, c'est un ami, un véritable ami, mais devant lequel je rougirais trop ; d'ailleurs, il ne se serait prêté à rien; il fallait cependant que nous eussions une explication; parlez maintenant. » Heureusement qu'il faut faire l'été; nous dansons; quand nous nous arrêtons, elle a heureusement oublié que nous en étions resté à une question qu'elle me faisait et elle me dit : « D'abord je veux vous rendre vos lettres.» Mon Dieu! pensais-je; mais je n'ai pas écrit de lettres, que je sache! Elle continua: « Il n'y a rien de si imprudent que d'écrire ainsi, je ne reçois pas une lettre, c'est par un grand hasard que je n'ai pas donné les deux vôtres à mon mari avant de les lire; je n'ai pas voulu vous répondre; j'ai pensé qu'il valait mieux vous parler; mais seule, je ne l'aurais jamais osé; dans un salon, au milieu du monde, je suis plus hardie; il ne faut plus m'écrire, il ne faut plus passer des heures entières devant ma porte, c'est à me perdre. » Ah! mon Dieu! moi qui n'étais là que pour regarder la porte! - voilå un singulier quiproquo; c'est égal, je réponds effrontément que maintenant que je puis me présenter chez elle, je n'ai plus de raison de rester devant la porte; que je veux bien ne plus lui écrire, si elle me permet de lui parler. La pastourelle! « Non, écoutez, il vaut mieux ne plus nous voir; je suis mariée... vous le savez... j'aime et je respecte mes devoirs.» (Ah! trèsbien; dès qu'une femme appelle cela ses devoirs, il n'y a pas à se décourager pour l'amour.) Quoi, madame, ne plus

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vous revoir, après que depuis si longtemps ma vie entière vous est consacrée, après que je me suis accoutumé à mettre en vous toutes mes pensées, toutes mes espérances; non jamais! Si vous ne voulez pas que je vous dise que je vous aime, je vous l'écrirai dix fois par jour; si vous ne voulez pas que je vienne vous voir chez vous, je m'installerai en face de votre porte, dans une échoppe d'écrivain public, et je n'en sortirai pas. — Vous m'effrayez ! Eh quoi! est-ce le sentiment que je devrais m'attendre à vous inspirer en échange de tant d'amour et de tant de respect? Qui vous dit que ce soit le seul que j'éprouve ? Mais ce que je puis vous dire, c'est que c'est le seul qu'il me convienne de montrer. » Après la contredanse, je la reconduis à sa place, je lui dis : « Pensez à l'échoppe. » Elle sourit, et je me perds dans la foule. Je cherche à deviner ce qui se passe, et ce dont je me fais l'effet d'être le héros. Quel rôle joue cet Ernest, et qui est-il lui-même? Quoi qu'il en soit, je ne vois dans tout cela rien que de fort agréable, et je vais aller jusqu'à ce qu'on m'arrête. On m'a dit qu'on danserait avec moi après trois contredanses consacrées à tout le monde. Nous reprenons notre conversation « Je pense beaucoup à mon échoppe, madame. Et moi aussi, monsieur, mais vous me faites peur. Défendez-moi de la faire, madame. Oui, certes, je vous le défends bien. Je vous remercie, madame. De quoi donc, monsieur? De la permission que vous me donnez de vous venir voir souvent. Au fait, vous pouvez bien venir comme vingt autres hommes qui viennent chez moi; mais renouvelezmoi le serment que vous m'avez fait dans votre dernière lettre. » Me voici plus embarrassé que jamais quel serment ai-je fait? N'importe, il ne faut pas hésiter. « Je le jure, madame, sur mon amour. » Elle rit. « Voilà une jolie manière de m'inspirer de la confiance!

plus précieux.

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Comment cela! je jure sur ce que j'ai de C'est sur votre amour que vous jurez de ne me jamais parler d'amour!» (Ah! c'est là ce que j'avais juré!)

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« Écoutez, madame, je ne veux pas vous tromper, je dirai ce que vous voudrez, je vous entretiendrai de ce qu'il vous plaira, mais rappelez-vous que tout ce que je vous dirai, sur quelque sujet que ce soit, voudra dire: Je vous aime. Mais comment ferons-nous pour Ernest? Et que m'importe Ernest? — Il m'importe beaucoup à moi, il faut le ménager. Oh! je le ménagerai tant que vous voudrez. A la bonne heure! - C mais je ne le connais pas. Comment! vous ne connaissez pas! il n'a pas été vous porter une invitation? - On m'a remis l'invitation sans me dire qui l'avait apportée. Il m'avait dit qu'il vous connaissait beaucoup. Je ne connais personne qui s'appelle Ernest. » Enfin, mon cher ami, à force de causer, j'apprends une partie du mystère et je devine l'autre. Madame de*** m'avait vu sept ou huit fois arrêté devant sa porte, occupé à regarder les statues; elle a reçu deux lettres renfermant des déclarations d'amour où il y avait cette phrase banale : « Les instants les plus doux de ma vie sont ceux que je passe à contempler les lieux où vous êtes. » Elle me soupçonnait amoureux d'elle, elle m'a attribué des lettres. A quelques jours de là, comme elle sortait en voiture avec une femme, sa compagne m'a vu et a dit : « Tiens! M. Alfred de Bussault ! jeune homme? Oui, vous ne le connaissez pas? vous le connaissez? Oui, un jeune artiste, talent.

Une figure noble et intéressante. »

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Qui! ce
Non,

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un homme de

Ohé! monsieur Alfred, interrompit ici l'auditoire, qui vous a rapporté ce dialogue?

Personne, cela fait partie de ce que je devine.

-Ah! très-bien, je comprends.

On ne veut pas répondre par écrit; comme on me l'a dit, on sera plus hardie en plein salon; il faut m'inviter à une soirée; mais comment faire? A quelques jours de là, on amène la conversation sur les jeunes artistes; on dit qu'on a entendu dire de moi le plus grand bien. M. Ernest, sorte de sigisbée, de

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patito, dont on accepte l'amour, les soins et les corvées, sans lui rien rendre, mais qui, étant toujours là, finira peut-être par trouver un moment, M. Ernest a une manie, c'est de se dire lié avec toutes les personnes qui jouissent de quelque réputation, pour se donner du relief, il dit : « Ah! Bussault, je le connais beaucoup. Amenez-le donc à une de nos soirées; mais prenez la chose sur vous auprès de mon mari: je lui ai refusé d'inviter quelques personnes, et je ne tiens pas assez à voir M. Bussault pour m'exposer à ce que monseigneur m'impose des conditions. Très-bien, je vous l'amènerai; -je demanderai à votre mari une invitation pour un de mes amis » Or, il arrive que M. Ernest, qui ne me connaît pas, a mis simplement la lettre d'invitation chez moi, se proposant de trouver quelqu'un qui me le présente avant le jour du bal. Une affaire de famille. l'a obligé de quitter Paris pour quelques jours. Enfin, j'ai obtenu, pour ce soir, la permission d'aller passer un quart d'heure, rien qu'un quart d'heure, auprès de madame de qui est souffrante et fermera sa porte. Charmante soirée !

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- Je comprends alors ta préoccupation; mais tout me paraît un peu bien invraisemblable. Franchement, découds la broderie, et dis-moi ce qu'il y a de vrai au fond de ton histoire.

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Je le veux bien; voici l'exacte vérité, sans broderie, sans le moindre ornement. Je pensais, en fumant, à une lettre d'invitation que j'ai reçue pour une soirée chez madame de , que je ne connais pas, ce qui m'a étonné. La soirée était pour avanthier, et ce que je viens de te dire est ce que je pensais qui serait peut-être arrivé si j'avais eu un habit noir, et si, par consé quer.t, j'avais pu y aller.

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.

TABLE DES MATIERES

1842

JUIN.-

Un feuilleton de M. Jars, membre de la Chambre des députés. ·
Les vieilles phrases et les vieux décors.-Les enseignements du théâtre.
- Un nouveau cerfeuil. Les circonstances atténuantes. M. Jasmin.

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- Un peintre de portraits. La refonte des monnaies.-M. Lerminier.
M. Ganneron. - M. Dosne. - M. l'Herbette. - M. Ingres.-M. Boilay.
- M. Duvergier de Hauranne.-M. Étienne.-M. Enfantin.- M. Enouf.
M. Rossi. - Le droit de pétition. M. l'Hérault. M. Taschereau.
M. Bazin de Raucou. Madame Dauriat.

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M. d'Haubersaert.

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Les
Le Journal des Débats, Fourier et Saint-

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Simon. Pétition de M. Arago. Le droit de visite.

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AOUT.-Mort du duc d'Orléans. La Régence.-Le duc de Nemours et la
duchesse d'Orléans.-M. Guizot.-Un curé de trop.-Humbles remon-
'trances à monseigneur Blancart de Bailleul.- Un violon de Stra, dit va-
rius.-Fragilité des douleurs humaines.-Sur les domestiques.-Corres-
pondance. M. Dormeuil. - Une foule d'autres choses. M. Simonet.
Une Société en commandite.
M. Trognon.

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