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« Seigneur, vous nous avez livrés comme des agneaux à la » boucherie, vous nous avez dispersés parmi les nations! » D'autres › enfin, retranchés derrière des cîmes escarpées et des précipices > affreux, toujours inquiets et tremblants au fond de leurs asiles, » n'en persistaient pas moins à rester sur le sol de la patrie.' ›

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On le voit donc, ce témoignage se rapporte aux émigrations postérieures à l'invasion saxonne, et à celles-là seulement. Tous les auteurs l'ont toujours compris de la sorte, et au premier rang M. de Courson lui-même, tant dans son Histoire des peuples bretons (t. 1, p. 172), que dans ses Prolégomènes du Cartulaire de Redon (p. viii).

Mais M. de Courson indique encore (ci-dessus, p. 261, à la note) un autre argument, qui mérite peut-être plus d'attention.

En 470, au rapport de l'historien Jornandès, Anthémius, empereur d'Occident, voyant le roi des Visigoths Euric menacer les provinces romaines de la Gaule, demanda des secours aux Bretons armoricains, et le roi breton Riothime, docile à cet appel, se rendit dans le pays de Bourges avec douze mille hommes. Des critiques trop scrupuleux ont cru devoir s'effaroucher du chiffre de cette armée : impossible, à les en croire, que l'émigration bretonne eût fourni un pareil nombre d'hommes si elle n'avait commencé qu'à la suite de l'invasion saxonne. M. de Courson acceptant lui-même cette objection, suppose qu'on ne peut la résoudre qu'en admettant les émigrations soi-disant causées par les incursions scoto-pictiques de 418 et années suivantes.

Je réponds que ces prétendues émigrations, dans la mesure où les admet D. Le Gallois et, par conséquent, M. de Courson, sont impuissantes à résoudre la difficulté. D. Le Gallois ne dit-il pas en effet très-formellement que « ces premières bandes se confondirent » avec les Armoricains » et que « l'on ne doit y avoir aucun égard 2.

1 Gildas, Historia, § XXV; je cite d'après les éditions de Gale et de Petrie ; les chapitres de l'édition Stevenson diffèrent un peu. Je ne reproduis point ici le texte Alii transmarinas, etc., parce que je l'ai cité déjà dans mon article du mois d'août, ci-dessus, p. 131, note 1.

2 voir ci-dessus, p. 132; Cartulaire de Redon, p. CCCXLIV, et Blancs-Manteaux, XLIV, p. 191.

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OBSERVATIONS SUR LA LETTRE DE M. DE COURSON.

Donc, en 470, les descendants de ces premières bandes, confondus avec les Armoricains et considérés comme tels, n'auraient pu être comptés parmi les Bretons de Riothime.

Mais la difficulté est-elle sérieuse? existe-t-elle réellement? Je n'en crois rien. En 470, il y avait déjà quinze ans que la conquête saxonne poussait sur notre rivage des flots d'émigrés bretons sur quels renseignements et quelles lumières se fonde-t-on pour affirmer que ces flots accumulés ne suffisaient pas pour produire une armée de 12,000 hommes, surtout dans une situation où tous les hommes sont soldats? D'ailleurs, si l'on en trouve trop, est-il donc bien nécessaire de supposer que tous les soldats de Riothime fussent bretons? Le chef était breton sans doute, ainsi que la plus énergique portion de son armée; mais les Bretons à cette époque étaient amis des Armoricains; les Armoricains, comme les Bretons, étaient les alliés de l'empire. Quoi d'étrange, donc, si Riothime, pour mieux répondre à l'appel d'Anthème, eût grossi de recrues armoricaines ses troupes nationales, qui n'en étaient pas moins pour cela une armée bretonne, - absolument comme l'armée anglaise des Indes, où fourmillent, où même souvent dominent les Cipayes, n'en reste pas moins l'armée anglaise ? L'exemple est justement emprunté à M. de Courson, dans sa polémique contre M. Varin. Je ne dis pas que Riothime l'eût fait; car cette explication ne me semble pas nécessaire. Mais elle suffit à montrer que la difficulté si difficulté il y a, tirée des 12,000 hommes de Riothime, peut se résoudre parfaitement sans recourir à l'hypothèse gratuite de petites émigrations antérieures à l'invasion saxonne.

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An bout de ces observations à peine est-il besoin de dire que je n'ai jamais entendu contester le mérite des recherches et des travaux de M. de Courson. Je leur ai donné plus d'une fois l'éloge qui leur est dû. Et quant aux Prolégomènes et à l'édition du Cartulaire de Redon, si j'ai un jour l'occasion d'apprécier cette importante publication dans son ensemble, j'espère encore être, Dieu merci, capable de faire à l'éloge une juste part, tout en réser vant, là où il le faut, les justes droits de la critique. ARTHUR DE LA BORDERIE.

CHRONIQUE.

SOMMAIRE. Alfred de Vigny.

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Les Satires de M. Louis Veuillot.

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Charles d'Orléans et Villon. Un nouvel Art poétique. Un mariage et une lettre. M. le comte d'Autichamp et Mlle de Nogent.

La

santé de Pie IX. Le docteur Alphonse Guérin. L'archevêque d'Haïti. Mgr Guibert en Bretagne et en Vendée.

Alfred de Vigny vient de mourir et, bien qu'un de nos collaborateurs lui ait consacré une place spéciale dans cette même livraison, il me semble que la Chronique a aussi le devoir de prononcer quelques paroles sur sa tombe fraîchement remuée

Il a voulu que le silence qui s'était fait autour de ses dernières années le suivît à son dernier asile. La rhétorique des cimetières s'est tue, en présence de ce vou. Ce n'est point une raison pour que la presse garde la même réserve à l'égard d'un poète qui, grâce à la hauteur de sa pensée, à la beauté de sa forme, à la pureté de son art, comptera certainement parmi les plus grands de notre âge.

Il était né à Loches, à la fin du siècle dernier, d'une famille toute militaire et royaliste. Son père, vieux chevalier de Saint-Louis, s'était distingué pendant la guerre de Sept ans. Deux de ses oncles avaient été tués à l'armée de Condé. Sa mère, fille du chef d'escadre de Baraudin, était cousine de Bougainville. Sa première éducation fut donc toute belliqueuse. Elle se fit sur les genoux de son père qui le nourrit de l'histoire de ses batailles. « Je trouvai, a-t-il dit lui-même, la guerre assise à côté de moi; mon père me montra la guerre dans ses blessures, la guerre dans le parchemin et le blason de ses pères, la guerre dans leurs grands portraits cuirassés, suspendus, en Beauce, dans un vieux château. Je vis dans la noblesse une grande famille de soldats héréditaires, et je ne pensai plus qu'à m'élever à la taille d'un soldat. >>

Alfred de Vigny fut naturellement destiné à la carrière des armes. « Nous avons élevé cet enfant pour le roi, » écrivait sa mère en 1814 en demandant l'admission de son fils dans la maison du roi. Il entra le 1er juillet 1814 dans les gendarmes de la Maison-Rouge avec le brevet de lieutenant. Quelques mois après, il escortait Louis XVIII jusqu'à la frontière. Nommé, le 31 décembre 1815, lieutenant à la légion de Seine-et-Oise, il servit successivement dans divers corps avec la plus grande distinction. Toutefois

comme il n'avait pas pris seulement une épée pour la parade et qu'il ne put, malgré ses sollicitations, être employé dans les glorieuses campagnes de la Restauration, l'uniforme lui pesait étrangement et le 22 avril 1827 il se démit de son grade de capitaine. « Je mourais d'ennui dans votre éternel Champ-de-Mars, » dit-il un jour au prince de Polignac. « Ah! lui répondit le prince, le Champ-de-Mars touche quelquefois de fort près au champ de bataille. »

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A dater de 1827, M. de Vigny devint exclusivement homme de lettres. Dans ces treize années de service militaire, il avait du reste consacré aux lettres les nombreux loisirs que lui laissait la vie de garnison. Il employait en lectures, en sérieuses recherches dans les bibliothèques le temps que ses compagnons passaient trop souvent au café.

Ce serait une superfétation que de vous entretenir, après M. Edmond Dupré, des diverses œuvres du noble écrivain Je veux seulement noter un trait, oublié par notre spirituel collaborateur. Lorsque M. de Vigny, briguant les suffrages de l'Académie Française, se présenta chez M. RoyerCollard, celui-ci le reçut du haut de sa cravate et profita de l'occasion pour placer le mot qu'il avait, dans la même circonstance, dit à Victor Hugo: «Monsieur, votre démarche est inutile, je ne lis rien de ce qui s'imprime depuis trente ans je relis. »

- « Ce n'est pas moi, répondit fièrement M. de Vigny, qui vous enverrai mes ouvrages, à moins que ce ne soit une traduction en russe, » ajouta-t-il en faisant allusion à cette réception autocratique.

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M. Alfred de Vigny avait eu le malheur de payer son tribut aux incertitudes de son temps et de s'affranchir à peu près -nous assure-t-on de tout dogme positif. Dans ce grand naufrage de toutes les idées, de toutes les croyances de son éducation et de sa jeunesse, une simple chose avait survécu et surnagé : le sentiment exalté de l'honneur dont il était arrivé à faire, par une incroyable illusion, le mobile des sociétés modernes. En un mot, Vigny, comme les natures d'élite au temps de la décadence romaine, s'était, hélas! réfugié dans le stoïcisme. Heureusement que ce stoïcisme a été vaincu, au moment suprême, et qu'il s'est fondu sous le chaud rayon de la Foi.

Si l'auteur de Stello a eu toute sa vie la religion de l'Honneur, voici en revanche et à un tout autre point de l'échelle littéraire un poète qui n'a cessé de combattre un seul jour pour l'honneur de la Religion. Il est difficile de trouver deux natures plus différentes, plus opposées entre elles que celles de M. Alfred de Vigny et de M. Louis Veuillot. C'est Charles d'Orléans auprès de Villon immoralité à part, c'est la grâce un peu mignarde et un peu hautaine du gentilhomme, auprès de la verve franche et gauloise de l'enfant du peuple.

A côté du profil pâle et fin, de l'œil profond et bleu, du visage presque juvénile encadré de cheveux blonds qui caractérisaient Alfred de Vigny,

placez la figure de M. Louis Veuillot, avec ses traits fortement accusés et sa laideur puissante, quel contraste! Celui qui existe entre Eloa et les Satires n'est pas moins profond.

La presse a généralement gardé un silence systématique sur ce recueil dans lequel l'ancien rédacteur en chef de l'Univers a rassemblé des vers dont une partie du moins, la partie purement satirique n'a aucune comparaison à redouter avec les productions analogues parues depuis vingt ans. Toutes les qualités de M. Veuillot, sa verve, son naturel, son esprit, n'ont rien perdu à être modelées sous une forme nouvelle. Il manie le vers comme s'il n'avait pas publié trente volumes de prose.

Je pourrais donner comme preuve un éloge de la prose en très-beaux vers, mais ils sont trop connus pour que je me permette de les citer. Je ne reproduirai pas non plus les remarquables sonnets: A une éplorée, une Diva, Misère, l'Homme. Ils sont déjà dans bien des mémoires et ils méritent d'être rangés parmi les modèles du genre. En général, le dirai-je? -ce qui m'agrée le plus dans ce recueil c'est moins la satire qui est trop souvent personnelle et violente, c'est moins l'épigramme proprement dite qui n'est pas aussi bien affilée qu'on pourrait le croire, venant d'une telle plume, que les vers où M. Veuillot se fait à son tour législateur du Parnasse et conseiller des muses. Ses pièces A un poète de chambre, Contre la prose, De la rime riche, Confession, Un poème épique, l'Art poétique, attestent, entre plusieurs autres, une connaissance approfondie de la forme contemporaine, de toutes les ressources des rhythmes poétiques, de toutes les délicatesses, de tous les raffinements d'art à l'usage de la nouvelle école. Qui eût pensé que l'auteur des Libres Penseurs trouvait des loisirs pour étudier à la loupe les procédés des Banville, des Vaquerie, des Bouillet et des Leconte de Lisle? Il est vrai qu'il ne les épargne guère. Jamais Boileau n'a décoché contre Chapelain, Cassagne ou l'abbé Cotin des traits plus acérés que ceux dont M. Louis Veuillot crible les « petits messieurs de la littérature. >>

Voici toutefois quelques purs rayons qui se détachent sur le fond sombre et un peu violent de son Art poétique et qui prouvent que la palette de M. Veuillot est chargée de plus d'une couleur :

La véritable muse est celle qui console....
L'esprit qu'ont visité ses ardeurs souveraines
Ne met plus son espoir aux louanges humaines;
Dût l'écho rester sourd à son cri palpitant,

Il chante pour lui-même et pour Dieu qui l'entend.
Ainsi l'oiseau perdu dans le profond espace
Jette sa note pure à la brise qui passe,
Et ne demande pas si seulement ses airs
Ont d'un charme de plus embelli les déserts;
Ainsi sous ton figuier, près de la mer bretonne,
Sans que l'or te séduisc ou que l'oubli t'étonne,
Tu donnes la chanson, candide Violeau,

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