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Où mon cœur, respirant sous un ciel étranger,
Ne verra plus des maux qu'il ne peut soulager;
Où mes yeux éloignés des publiques misères
Ne verront plus partout les larmes de mes frères,
Et la pâle indigence à la mourante voix,
Et les crimes puissans qui font trembler les lois.
Toi donc, Équité sainte, ô toi, vierge adorée,
De nos tristes climats pour long-temps ignorée,
Daigne, du haut des cieux, goûter le libre encens
D'une lyre au cœur chaste, aux transports innocens,
Qui ne saura jamais, par des voeux mercenaires,
Flatter, à prix d'argent, des faveurs arbitraires;
Mais qui rendra toujours, par amour et par choix,
Un noble et pur hommage aux appuis de tes lois.
De voeux pour
les humains tous ses chants retentissent :
La vérité l'enflamme; et ses cordes frémissent,
Quand l'air qui l'environne auprès d'elle a porté
Le doux nom des vertus et de la Liberté.

LE JEU DE PAUME,

A LOUIS DAVID, PEINTRE.

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I.

REPRENDS ta robe d'or, ceins ton riche bandeau,
Jeune et divine poésie :

Quoique ces temps d'orage éclipsent ton flambeau,
Aux lèvres de David, roi du savant pinceau,
Porte la coupe d'ambroisie.

La patrie, à son art indiquant nos beaux jours,
A confirmé mes antiques discours :
Quand je lui répétais que la liberté mâle

Des arts est le génie heureux;

Que nul talent n'est fils de la faveur royale ;
Qu'un pays libre est leur terre natale.

Là, sous un soleil généreux,

Ces arts, fleurs de la vie, et délices du monde,
Forts, à leur croissance livrés,

Atteignent leur grandeur féconde.

La palette offre l'ame aux regards enivrés.
Les antres de Paros de dieux peuplent la terre.

L'airain coule et respire. En portiques sacrés
S'élancent le marbre et la pierre.

II.

Toi-même, belle vierge à la touchante voix,
Nymphe ailée, aimable sirène,

Ta langue s'amollit dans les palais des rois,
Ta hauteur se rabaisse, et d'enfantines lois
Oppriment ta marche incertaine ;

Ton feu n'est que lueur, ta beauté n'est que fard.
La liberté du génie et de l'art

T'ouvre tous les trésors. Ta grâce auguste et fière
De nature et d'éternité

Fleurit. Tes pas sont grands. Ton front ceint de lumière
Touche les cieux. Ta flamme agite, éclaire,
Dompte les cœurs. La liberté,

Pour dissoudre en secret nos entraves pesantes,
Arme ton fraternel secours.

C'est de tes lèvres séduisantes

Qu'invisible elle vole; et par d'heureux détours
Trompe les noirs verroux, les fortes cita delles,
Et les mobiles ponts qui défendent les tours,
Et les nocturnes sentinelles.

III.

Son règne au loin semé par tes doux entretiens
Germe dans l'ombre au cœur des sages.

Ils attendent son heure, unis par tes liens,

Tous, en un monde à part, frères, concitoyens,
Dans tous les lieux, dans tous les âges.
Tu guidais mon David à la suivre empressé :
Quand, avec toi, dans le sein du passé,
Fuyant parmi les morts sa patrie asservie,
Sous sa main, rivale des dieux,
La toile s'enflammait d'une éloquente vie;
Et la ciguë, instrument de l'envie,
Portant Socrate dans les cieux;

Et le premier consul, plus citoyen que père,
Rentré seul par son jugement,

Aux pieds de sa Rome si chère
Savourant de son coeur le glorieux tourment;
L'obole mendié seul appui d'un grand homme;
Et l'Albain terrassé dans le mâle serment
Des trois frères sauveurs de Rome.

IV.

Un plus noble serment d'un si digne pinceau
Appelle aujourd'hui l'industrie.

Marathon, tes Persans et leur sanglant tombeau
Vivaient par ce bel art. Un sublime tableau
Naît aussi pour notre patrie.

Elle expirait son sang était tari; ses flancs
Ne portaient plus son poids. Depuis mille ans
A soi-même inconnue, à son heure suprême,
Ses guides tremblans, incertains

Fuyaient. Il fallut donc, dans le péril extrême,
De son salut la charger elle-même.

Long-temps, en trois races d'humains,

Chez nous l'homme a maudit ou vanté sa naissance :
Les ministres de l'encensoir,

Et les grands, et le peuple immense.
Tous à leurs envoyés confieront leur pouvoir.
Versailles les attend. On s'empresse d'élire;
On nomme. Trois palais s'ouvrent pour recevoir
Les représentans de l'empire.

ས.

D'abord pontifes, grands, de cent titres ornés,
Fiers d'un règne antique et farouche,
De siècles ignorans à leurs pieds prosternés,
De richesses, d'aïeux vertueux ou prônés.
Douce égalité, sur leur bouche,

A ton seul nom pétille un rire âcre et jaloux.
Ils n'ont point vu sans effroi, sans courroux,
Ces élus plébéiens, forts des maux de nos pères,
Forts de tous nos droits éclaircis,

De la dignité d'homme, et des vastes lumières
Qui du mensonge ont percé les barrières.
Le sénat du peuple est assis.

Il invite en son sein, où respire la France,
Les deux fiers sénats; mais leurs coeurs

N'ont que des refus. Il commence :

Il doit tout voir; créer l'État, les lois, les mœurs. Puissant par notre aveu, sa main sage et profonde Veut sonder notre plaie, et de tant de douleurs Dévoiler la source féconde.

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