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font, sous les yeux de la loi, une industrie lucrative. On les voit se partager nos dépouilles dans les estaminets borgnes, autour d'une chope de bière. Si vous les traînez au Tribunal de commerce, vous trouvez là, métamor phosés en juges, de gros bourgeois ventrus, connaissant au mieux la propriété matérielle et le Code qui la protége, mais toujours prêts à se récuser lorsqu'il s'agit de la propriété de l'intelligence.

De sorte que les abeilles ont tort, et que le miel se mange en toute sécurité.

Seulement, il arrive aux frelons d'avoir la fantaisie de le manger piusieurs fois. Ainsi, dans un drame récent, joué à la Porte-Saint-Martin, les auteurs ont trouvé bon de se servir, en troisième ordre, du dénoûment de la Bataille de Toulouse.

Quand on prend du Méry, l'on n'en saurait trop prendre!

Sûrs de la bienveillance du tribunal de commerce, deux de nos plus féconds vaudevillistes ont emprunté à Méry, pour faire l'Homme blasé, la nouvelle ayant pour titre: Bonheur d'un Millionnaire, et un dramaturge du boulevard a bâti le Château des Sept-Tours avec les matériaux d'Un Amour au Sérail, seulement, comme on peut le voir, ils ne conservèrent pas le titre de ces nouvelles.

Mais un frelon moins scrupuleux s'empara de l'Ame transmise, et ne se donna pas la peine de la déguiser sous un autre titre; il mangea tout le miel de la ruche.

Ces actes d'indélicatesse eurent lieu surtout lors de la publication des Nuits de Londres, œuvre charmante, que Méry donna au public à son retour d'un voyage qu'il fit en Angleterre avec Marie Taglioni.

Nos fabricants de vaudevilles trouvent

leur excuse dans cet axiome :

n'emprunte qu'aux riches. »

De 1842 à 1844, il y eut

« On

chez Méry

un véritable débordement de sève littéraire. Héva, la Floride, la Guerre du Nizam, publiées presque sans interruption, ne laissaient plus respirer les abonnés de la Presse. Cette trilogie brillante, succédant aux Mystères d'Udolphe à l'Histoire d'une Colline et à la Famille Dherbier, amena des sacs d'or dans la caisse du journal. Un incendie vint à éclater dans les bureaux de la Presse et réduisit en cendres les quatorze premiers feuilletons de la Guerre du Nizam. Aussitôt les directeurs offrirent cinq mille francs à Méry pour le dédommager de cette perte. Le poëte refusa et se mit à

recommencer son œuvre.

Dujarrier, mort depuis si malheu

reusement dans un duel que la Cour d'assises a qualifié d'assassinat, lui écrivit alors :

« Mon cher Méry,

<< Votre lettre me touche vivement ; mais, de votre part, les sentiments qu'elle exprime sont loin de me surprendre. Vous repoussez l'offre de Girardin, soit, puisque vous le voulez ! Mais je fais mes réserves et je ne m'explique pas. J'ai besoin d'un peu de temps. Tout à vous de cœur,

« DUJARRIER. >>

Trois mois après, un encrier magnifique, sculpté par nos premiers artistes et représentant les principaux épisodes de la Guerre du Nizam, fut envoyé à l'auteur de la trilogie indienne, comme témoignage de reconnaissance et d'amitié.

Méry n'a jamais vu l'Inde, et cependant il en a fait une peinture saisissante.

Parfois les poëtes ont d'inexplicables révélations. Le ciel accorde évidemment le don de seconde vue à certaines natures privilégiées.

Les principales œuvres de Méry, outre celles que nous avons déjà citées, sont : la Ferme de l'Orange, Une Conspiration au Louvre, la Circé de Paris, Une Veuve inconsolable, Adrienne Chenevier, les Deux Enseignes, le Transporté, Un Mariage de Paris, et cette délicieuse nouvelle Anglais et Chinois, qui fit nommer M. Lagrené ambassadeur en Chine, tant sa femme obséda le ministère Guizot pour aller voir un pays dont la description lui avait paru si ravissante.

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