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déjà, que chez les Grecs, les femmes de la première catégorie que je viens d'indiquer devenaient les compagnes des hommes d'État, des poëtes et des philosophes; qu'elles vivaient et conversaient avec ceux qui décernaient l'immortalité; qu'ainsi et tandis que l'honnête mère de famille tombait dans l'oubli, celles dont il s'agit figuraient dans l'histoire; que l'époque de leur naissance était un sujet de recherches; qu'on rapportait avec soin et détail leurs aventures; que leurs bons mots et leurs saillies étaient scrupuleusement enregistrés, et qu'après avoir porté souvent un diadème pendant leur vie, elles étaient ensevelies dans un tombeau dont la magnificence pouvait faire croire à celui qui était étranger aux mœurs d'Athènes, que c'était un monument consacré au plus grand des héros, des philosophes ou des magistrats de la Grèce.

Bon Dieu ! cher poëte, combien vous êtes fécond en précautions oratoires! Est-ce que par hasard j'aurais l'honneur de confabuler avec un professeur d'histoire ou un membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres?

Pardon de mon pédantisme, cher monsieur je ne suis pas coutumier du fait, mais pour faire circuler certains cancans qui rappel

lent les mœurs d'un autre âge, il fallait bien, comme le disent les sommités politiques de notre époque, m'élayer sur des précédents. Ainsi, à cette question que vous m'avez adressée : Qu'y a-t-il de commun entre ce vieux frotteur et le raton que nous venons de voir passer? je puis maintenant répondre :

Que l'un est la cause et l'autre l'effet ;

Ou, si vous l'aimez mieux, que l'un est l'arbre et l'autre le bouton;

Ou, si je veux être plus galant, que l'un est le rosier et l'autre la rose;

Ou bien encore, que l'un est le cocotier et l'autre le coco.

M'avez-vous compris?

J'ajoute que c'est le vieux bonhomme qui le premier développa l'intelligence de la jeune personne; elle n'avait pas encore deux ans que déjà elle comprenait parfaitement cette phrase si célèbre Tirez le cordon, s'il vous plaît.

-Comment! c'est là le père de la jeune et brillante dame que nous venons de voir passer dans ce galant équipage, et elle est fille d'un portier devenu frotteur! Il faut donc qu'elle ait eu un grand nombre d'amants pour laisser son père à cette distance?

Pas encore tout à fait autant que la fille de ce roi d'Égypte qui ne demandait qu'une pierre à chacun de ceux qui se mesuraient avec elle, et qui en amassa assez pour faire ériger la plus célèbre des pyramides; mais patience, elle pourra bientôt lui rendre des points!

Diable! diable! il faut qu'elle soit bien belle, pour avoir mis tant d'esclaves dans ses fers? Elle a donc bien des talents?

Belle! vous m'adressez là une question à laquelle il est difficile de répondre. Savez-vous bien qu'il faut l'assemblage de trente choses pour qu'une femme soit belle; témoin ces vers d'un de nos vieux auteurs :

Celle qui veut paroir des femmes la plus belle,

C'est dix fois trois beautés, trois longs, trois courts, trois blancs,
Trois rouges et trois noirs, trois petits et trois grauds,
Trois étroits et trois gros, trois menus soient en elle.

Vous seriez peut-être curieux de connaître toutes ces choses par leur nom; mais je ne puis vous les dire que dans une langue morte, car comme l'a dit Boileau :

Le latin dans les mots brave l'honnêteté.

Voici donc la description d'une belle accom

plie telle que je la trouve dans une pièce de vers fort ancienne et fort rare. >

Ici le poëte chevelu se pencha vers Roman, et pendant quelques minutes il lui parla à l'oreille.

Maintenant, continua-t-il, je vois à votre œil interrogateur que vous voulez savoir si ce portrait s'applique de point en point à la personne en question; pas absolument. Ainsi partout où l'auteur a mis nigra, il faut mettre flava, et là où il y a stricta, ampla; du reste on assure que c'est la femme la mieux faite qu'il soit possible de voir, et que le costume qui lui sied le mieux est celui que portait jadis la reine Pomaré, et qui n'était composé, dit on, que d'un collier de grains rouges.

Quant à ses talents, ils se formulent en deux mots séduire et plaire. Comme vous le voyez, son lot n'est pas trop mauvais.

J'en viens à mon histoire; car j'espère que vous n'avez plus de question à m'adresser ?

- Je n'y renonce pas, mais pour l'instant trêve aux digressions.

---

Je vous disais donc que Joséphine ou plutôt Maxime (car le premier de ces noms, qui est le sien, lui paraissant trop commun,

elle a

fait

grandeurs, Roman alla voir Salvador qu'il trouva dans son hôtel du faubourg Saint-Honoré, entouré de toutes les recherches du luxe, et d'unc foule de fournisseurs, marchands de chevaux, carrossiers et tapissiers, dont il soldait les mémoires.

Ainsi tu ne renonces pas à cette funeste passion? dit Salvador à son ami, lorsque celuici lui eut fait part de son projet.

-

Mon cher ami, l'amour du luxe et des jolies femmes, l'ambition et l'orgueil constituent une passion aussi coûteuse au moins que celle du jeu.

Tu as peut-être raison; mais qu'y faire? Nous obéissons à notre destinée, et nous arriverons probablement au même but après avoir suivi une route différente.

- Allons, encore ces folles idées ; je te quitte; je n'aime pas à entendre parler de ce que l'avenir me réserve; adieu, mon ami.

Adieu, et fais en sorte de revenir millionnaire. >

Roman, avant de quitter Salvador, lui demanda cinquante mille francs, avec lesquels il voulait, disait-il, tenter la fortune une dernière fois. Salvador, qui de son côté avait fait d'énormes dépenses pour monter sa maison et celle de

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