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Vidocq, je n'en veux point: gardez cela pour vous... le... et donnez-moi des louis.

Le père Chevalier trouve mauvais qu'un homme qui n'est son gendre que depuis quelques heures, lui parle sur ce ton; Vidocq devient furieux, se jette sur le père de sa femme, le saisit à la gorge, et le vieillard ne dut qu'au secours des assistans de n'être pas étranglé !...

Je le répète : il existe encore dix témoins de ce fait, et tous sont prêts à rendre hommage à la vérité. Il est d'ailleurs assez facile de voir que ce ne sont pas là des scènes de roman, comme la plupart de celles qui remplissent les Mémoires de l'ex-chef de la brigade de sûreté; des faits comme ceux que je rapporte ne s'inventent point: cela ne ressemble pas aux chapitres de Monsieur Botte. Revenons.

Vidocq ne pouvant assouvir sa rage sur le respectable vieillard que l'on avait, non sans peine, arraché à ses mains parricides, s'en prit aux meubles et à la vaisselle du restaurateur, et il brisa tout ce qui lui tomba sous la main; enfin on parvint à calmer cet enragé,

et bien que dans son accès, il cût juré de ne pas coucher avec sa femme, avant qu'on lui eût compté la dot en or; la soirée et la nuit se passèrent tranquillement.

Indépendamment de l'argent et du trousseau que le père Chevalier avait donné à sa fille, il l'aida encore à élever une boutique de mercerie, dans la rue Miolant. Ce commerce, ainsi que le dit Vidocq, tourna mal, et cela est facile à expliquer. A peine marié, ce bon sujet avait recommencé à vivre comme par le passé ; il ne quittait presque plus le cabaret de la Bouteille noire, où il faisait des orgies continuelles. La dot de sa femme fut mangée en quelques mois; et lorsqu'il n'eut plus d'argent, il recourut aux marchandises chaque jour, quelque pièce de toile ou d'indienne disparaissait et était vendue à vil prix; une partie de l'argent que Vidocq en recevait restait dans les estaminets où se faisait la vente; une autre partie devenait la proie des filles, et le reste servait à alimenter la passion du jeu que cet honnête homme joignait à toutes les bonnes qualités qu'on lui connaît déjà.

Il n'y avait presque plus rien dans la boutique; le train de vie que menait Vidocq ne pouvait durer encore long-temps : il le sentit, et voici l'expédient qu'il imagina pour éviter le dénuement qu'il prévoyait. Après trois jours d'absence, il rentre chez lui ayant l'air fatigué comme un homme qui vient de faire un long voyage. J'apporte de bonnes nouvelles, dit

il à sa femme, je viens d'être nommé agent de commerce à Bruxelles; c'est une place qui rapporte plus de dix mille francs par an. Cela vaut un peu mieux que de vendre de la toile.

Madame Vidocq laisse éclater la joie que lui cause cet heureux événement, et elle déclare qu'elle veut suivre son mari.

J'espère bien aussi partir avec toi, dit Vidocq, mais nous n'avons pas de temps à perdre ainsi, dès demain je vais vendre nos meubles dont le transport nous coûterait trop cher; nous emporterons seulement les marchandises qui nous restent.

Cela paraissait trop raisonnable pour souffrir quelque difficulté : le lendemain le mobi

lier est estimé par un tapissier, et acheté par un nommé Duplessis, qui est aujourd'hui coiffeur à Paris, près du Palais-Royal, et dans la boutique duquel se trouve encore une des glaces qui faisaient partie de ce mobilier. Ce fut un chapelier du voisinage, qui prêta les malles nécessaires pour emballer les marchandises. Les préparatifs étant terminés, Vidocq se rend chez le nommé Minton, son oncle, et le père de la femme avec laquelle il vit aujourd'hui à Saint Mandé. Cet homme était loueur de voitures; sans avoir un grand génie, il trouva assez extraordinaire que son neveu, qui savait à peine écrire, eût obtenu une place d'agent de commerce, et il refusa d'abord la voiture et les deux chevaux qu'on lui demandait. Vidocq alors invoqua le témoignage de sa femme qui, soit crainte, soit légèreté, dit qu'effectivement son mari avait la place en question, et le bonhomme Minton, ne doutant plus de la bonne fortune de son neveu, donna les chevaux et la voiture avec lesquels le couple artésien se mit en route.

Le troisième jour, on arrive à Tournay, et l'on

descend à l'hôtel du Lion belgique.Vidocq,sous le prétexte de choisir un logement à son gré, se fait conduire dans toutes les chambres de l'hôtel, et finit par s'accommoder d'une petite pièce et d'un cabinet qui, indépendamment de l'entrée ordinaire, avaient issue sur la cour, par un escalier dérobé. Après avoir fait déposer ses malles en ce lieu, notre prétendu agent de commerce se mit à battre le pavé de la ville où j'étais depuis quinze jours, et où il rencontra encore quelques autres bons garnemens de ses amis, tels qu'un nommé Planquier, et César Herbaux avec lequel il fut plus tard condamné aux fers, et qui finit par être guillotiné à Paris. En moins de deux heures, la voiture et les chevaux furent vendus, sans que madame Vidocq s'en doutât. Mais cela ne suffisait pas à l'honnête mari; il n'était point d'humeur à abandonner les malles. Vers le soir, il dit à sa femme : « Habille-toi, nous irons au spectacle. La proposition est acceptée avec plaisir. Pendant un entr'acte, Vidocq, laissant sa jeune moitié dans une loge, disparaît, et tandis qu'il court, dans les coulisses, après une

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