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Les associations criminelles proprement dites, c'est-à-dire les associations avec chef reconnu et obéi, avec membres fixes, avec règlements et statuts, n'existent plus. H. Joly a encore publié tout récemment les statuts de la bande Gilles et Abadie. C'est un document fort curieux; mais, comme Joly le reconnaît lui-même, ces règlements n'ont probablement jamais été suivis par personne. C'était un idéal de règlement, mais l'idéal ne passe jamais dans la pratique.

Actuellement les associations n'existent plus parmi les criminels parisiens. Sans doute il y a et il y aura toujours l'association du souteneur et de la prostituée pour exploiter le «< michet ». Il y a aussi l'association de deux ou trois malfaiteurs un soir, au coin d'une rue, pour dévaliser le passant attardé. Mais cette association n'est qu'un hasard et elle ne dure que quelques heures; car, une fois le butin partagé, chacun s'esquive de son côté et ne reparaît plus. Même dans ces bandes qui dévalisent si souvent la banlieue de Paris, il n'y a ni chefs ni statuts; on se réunit au hasard des rencontres, on tente une bonne affaire ensemble, on partage ensuite le butin, puis on se sépare et on se donne rendez-vous le lendemain pour faire un nouveau coup. Mais il n'y a aucune autorité, aucun règlement; tout au plus les complices se jurent-ils entre eux de ne pas se vendre et cela quelquefois sous menace de mort. J'ai dit comment les criminels tiennent leurs serments, et ils savent par avance ce que vaut leur parole. Aussi il y a tellement peu d'ordre dans ces bandes, que souvent des disputes et des rixes éclatent au moment du partage du butin volé.

Les faux monnayeurs eux-mêmes ne sont plus à la tête d'associations. J'ai interrogé, à la Santé, trois faux monnayeurs et plusieurs de leurs émetteurs. Voici en quoi consistait leur association, si cela peut s'appeler de ce nom. Le faux monnayeur fabrique ses pièces, qu'il vend une somme convenue (trois ou quatre francs une pièce de dix francs, par exemple) à des émetteurs; ceux-ci se chargent de les écouler à leurs risques et périls sans avoir aucun compte à rendre au fabricant, qui souvent, quand il le peut, leur cache son nom et son adresse, pour prévenir les délations qui ne manquent

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jamais de se produire lors de l'arrestation de l'un des émetteurs. Mais entre ces gens il n'y a aucune loi, aucun règlement; il n'y a qu'une suspicion perpétuelle et toujours en éveil.

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L'instinct sexuel peut se faire jour par des manifestations criminelles attentats à la pudeur, viols, violences sadiques, etc.

Les individus qui se rendent coupables d'outrages et d'attentats à la pudeur appartiennent à des catégories très différentes. Il y a d'abord le pochard qui se montre trop expansif et trop galant avec une dame inconnue et revêche, ou bien qui fait publiquement une plaisanterie de mauvais goût.

A côté de ces accidentels, il y a les habitués, ceux qui font métier de la prostitution, et en particulier les pédérastes, qui se font pincer en racolant trop ouvertement. Tous les jours les agents des mœurs arrêtent un certain nombre d'individus pour ce motif.

Quant aux attentats à la pudeur commis sur des enfants, ils ont presque toujours pour auteurs des gens ivres, des invertis ou des vieillards. Dans l'un comme dans l'autre cas, il y a une espèce d'anéantissement du sens moral. La vieille femme comme l'enfant peuvent allumer des désirs criminels dans l'âme obnubilée de l'ivrogne. J'ai vu un absinthique condamné à huit ans de prison pour avoir fait des attouchements obscènes sur une fillette de sept ans.

Chez les vieillards aussi le cerveau est affaibli. Par quelle aberration en viennent-ils à demander à l'enfant ce que la femme ne peut plus leur donner? On ne sait. Les tentatives réelles de coït sont rares. Quelquefois ils se contentent d'exhiber leurs parties sexuelles. Un vieux maçon, sans antécédents criminels, montra un jour sa verge à deux petites filles au cimetière du Père-Lachaise. D'autres fois il y a des attouchements. Un vieillard de quatre-vingt-deux ans, dont toute la vie a été sans tache, attire dans sa chambre une petite fille

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de douze ans, lui touche les parties génitales et lui met lą main dans son pantalon, alors qu'il n'avait plus d'érections depuis longtemps.

Arrivons à une manifestation plus grave et plus brutale de la sexualité criminelle : le viol.

« A l'état normal, dit P. Sérieux (1), la satisfaction de l'appétit sexuel suppose un choix; des sentiments multiples interviennent: goût du beau, appréciation des qualités morales ou intellectuelles, sympathie, amitié, pudeur, horreur de l'inceste et des satisfactions sexuelles autres que celles obtenues par l'union avec l'autre sexe. Tous ces facteurs qui sont un legs de l'hérédité et une acquisition de l'éducation agissent pour soustraire la vie génitale à l'automatisme, au réflexe purement instinctif. Ce perfectionnement de l'instinct sexuel a demandé de longs siècles; chez certaines races plusieurs de ces sentiments sont restés rudimentaires. Mais, à cause même de sa complexité, cet ensemble est très instable et chez les dégénérés cette harmonie peut être détruite. Si tout le cortège des sentiments qui entrent en jeu dans la vie sexuelle fait défaut, l'appétit génésique restera seul tout puissant. >>

C'est là en somme toute la genèse du viol, ce crime atavistique qui nous semble si odieux. C'est le réveil de la brutalité des instincts. Dans ces cas, le cerveau postérieur où siègent les appétits, n'est pas contrebalancé par le cerveau antérieur où siègent les idées et les sentiments: le premier seul entre vite en action et semble paralyser le second qui reste muet.

Prenons un fait.

Au mois d'octobre 1889 la cour d'assises du Morbihan jugeait le jeune Merlay, âgé de treize ans, qui avait tué, puis violé une petite fille de cinq ans. Or Merlay était un débile à sexualité précoce. Chez lui l'instinct génital était hypertrophié au point de dominer la scène et de servir de pivot à tous ses actes. Bien qu'il n'eut que treize ans, depuis des années déjà, sans doute, il se livrait à l'onanisme. Mais depuis quel

(1) Anomalies de l'instinct sexuel. Thèse de Paris.

que temps, en gardant les bestiaux dans la lande, il a remarqué la petite Marie-Marguerite, âgée de cinq ans. Il a joué avec elle; les grâces enfantines de la petite fille ont excité sa convoitise. Immédiatement le cerveau postérieur, c'est-àdire l'instinct, a parlé. Sans hésitation, sans trouble ni agitation de la conscience, il a obéi à cette voix impulsive. Il entraîne un jour Marie-Marguerite dans une carrière, se rue sur elle comme une bête en rut et la viole. Puis, son attentat consommé, il l'assomme à coups de pierre sur la tête et la figure. L'instinct génésique une fois satisfait, l'instinct de conservation reparaît et le criminel l'écoute avec la même violence que le premier, et il fuit. Devant ses juges Merlay est resté impassible. A toutes les questions il s'est contenté de répondre d'une voix tranquille : « Je désirais Marie-Marguerite depuis longtemps ».

Chez certains individus un besoin de violence ou de cruauté s'associe à la jouissance sexuelle. Les violences actives ou le spectacle de la souffrance leur donnent seuls la satisfaction sexuelle. C'est le sadisme, hypertrophie de l'orgueil du mâle qui, pour mieux jouir du plaisir de la conquête et de la domination, éprouve le besoin de faire souffrir et de faire jouir en même temps. Le sadisme n'est donc, dans son essence intime, que le développement anormal d'un instinct de brutalité sexuelle qu'on retrouve dans l'animal et qu'on retrouve aussi dans l'humanité. Dans la nature animale l'amour est une conquête, et nous ne sommes pas si loin de l'époque où le mariage, c'est-à-dire la conquête de l'épouse était un rapt et un viol. De plus l'impatience du désir provoque un état sthénique pénible en même temps qu'une émotion sthénique secondaire, véritable colère qui se manifeste par des réactions propres, fureur ou ivresse érotique qui peut amener le måle à blesser et même à tuer la femelle (1). Aussi je crois avec Lassène (2) que « l'assassin par volupté n'est qu'un dégénéré instinctif, criminel par régression atavique »>.

(1) Voir ÉMILE Laurent. Sadisme et masochisme.

(2) Origine animale, innéité et éclosion de la perversion sadique. Thèse de Bordeaux.

Ces individus ne réussissent pas toujours à réprimer ce caractère agressif du mâle et en arrivent facilement aux violences criminelles : ils violent ou ils tuent. Ils aiment à tor turer les femmes, à les faire souffrir, à les frapper, à les blesser, à les tuer. Tels furent Gilles de Retz, Menesclou, Verzeni, l'espagnol Garrayo, le mystérieux et introuvable Jack the Ripper de Londres, l'américain Jesse Pommeray surnommé le «< boytorturer », Vidal, le tueur de femmes, et enfin le sinistre trimardeur Vacher dont les crimes monstrueux et répétés ont jeté l'effroi parmi les populations des campagnes.

Le sadisme peut même devenir collectif par imitation ou contagion. Pendant les troubles de la Révolution, la foule se livra sur les cadavres des femmes à des viols, à des actes qui n'étaient que du sadisme et qui s'étaient brusquement fait jour à la vue du sang et des supplices, par une sorte de contagion.

Le masochisme est le contraire et l'opposé du sadisme. La volupté du premier c'est la volupté d'un bourreau ; la volupté du second c'est la volupté d'un martyr. C'est une exagération de la cour faite aux femelles pour gagner leurs faveurs.

Le masochisme entraîne rarement à des actes criminels, sauf quand il se manifeste sous forme d'exhibitionnisme qui ne peut guère s'expliquer, dans la plupart des cas, que par un besoin d'humiliation que le sujet obtient en prenant cette ridicule attitude.

Le fétichisme est une manifestation morbide de la sexualité du même genre. Il résulte d'une association inconsciente entre le besoin sexuel et une sensation ou une série de sensations (1). Tous nous sommes plus ou moins fétichistes et nous faisons un choix: l'un aime les blondes, l'autre les brunes; l'un préfère les grasses, l'autre les maigres. Mais quand ce choix, par suite d'une systématisation étroite, devient la condition sine quâ non de la satisfaction sexuelle, il y a anomalie, déviation pathologique. Le fétichiste ne voit plus dans l'être aimé que la partie spéciale du corps ou même simplement du vêtement qui l'intéresse : le pied, la

(1) Voir ÉMILE LAURENT. Fétichistes et érotomanes.

LE CRIMINEL

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