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particulière, au nombre de quinze, ils étaient horribles à voir, des physionomies hideuses et dégoûtantes. »

Néanmoins il est possible de rencontrer chez les criminels quelques visages où les lignes ondulent avec une grâce, une pureté et une harmonie tout helléniques. Lavater parle d'un criminel qui ressemblait à l'un des anges du Guide, et, au dire de Lombroso, le chef de brigands Carbone était une des plus gracieuses figures napolitaines. L'assassin Ducret était, selon H. Joly, « un adolescent aux yeux amoureux, à la bouche sensuelle, avec une figure de joli garçon, rêveur et tendre, probablement lascif et porté à la jouissance autant qu'à la mélancolie ». J'ai vu également un criminel d'une beauté, je dirai presque merveilleuse. Son visage était d'une régularité parfaite et son front d'une grande pureté; de longs cils ombrageaient ses yeux noirs et profonds, qui donnaient à toute sa physionomie un air de grande douceur; ses sourcils formaient deux courbes des plus harmonieuses; ses oreilles étaient petites et bien faites; sa lèvre supérieure était estompée par une moustache brune légère; ses cheveux étaient longs, noirs et très fins. Eh bien, ce corps, qu'on eût dit ciselé par un Praxitèle, renfermait l'âme perverse d'un vil gredin. Ivrogne, menteur, lâche et cynique, il se prostituait aux autres détenus pour un verre de vin ou un paquet de cigarettes. Il avait subi quatre condamnations pour ivresse et batteries.

L'assassin Gille a une figure plutôt agréable. Son complice Abadie a, au contraire, une face de brute inintelligente. Quant à Pel, le sinistre horloger de Montreuil, il a un facies qu'on ne qualifierait certes pas de sympathique.

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Le criminel est grand et lourd, dit Lombroso; il n'est ni grand ni lourd, disent Thompson en Angleterre et Virgilio en Italie. Le criminel est brun plutôt que blond, disent les Italiens; il est blond plutôt que brun, disent les Allemands et les Suédois. Cette contradiction n'est qu'apparente: la

criminalité des blonds est rare en Italie et fréquente en Allemagne, parce qu'il y a très peu de blonds en Italie et très peu de bruns en Allemagne. Pas n'était besoin de statistiques pour trouver ça.

Mais voilà qui est plus fort. L'homicide, dit Ferri, a le bras plus long en Piémont, en Vénétie, en Émilie, en Romagne, en Calabre; il l'a plus court en Lombardie et en Sicile; il l'a tantôt plus long et tantôt plus court dans les Marches et la Napolitaine.

J. Marty (1) a fait des recherches très minutieuses sur le développement physique des délinquants, leur taille, leur tempérament. Il n'a pu en tirer aucune conclusion certaine.

Lacassagne (2) a étudié le rapport de la taille et de la grande envergure sur huit cents hommes criminels. Il a trouvé ce rapport exagéré au profit de l'envergure dans presque le quart des cas, ce qui semblerait rapprocher le criminel des races primitives.

En somme, tous ces faits n'ont rien de caractéristique ; ils montrent seulement qu'il y a fréquemment désharmonie physique chez le criminel, c'est-à-dire disproportion entre les divers organes.

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Lacassagne et Lombroso insistent sur cette particularité que, chez les criminels, il y a analogie remarquable entre les deux sexes. J'ai vu certainement beaucoup d'infantiles et de féminisés dans les prisons. Par contre, j'y ai vu aussi un grand nombre d'individus essentiellement virils et admirablement musclés. Mais, fait intéressant à noter, la plupart de ceux-ci appartenaient à la catégorie des criminels de pro

(1) Archives de l'Anthropologie criminelle, 1898, 1899, 1900.

(2) Rapport de la taille et de la grande envergure. Bulletin de la Société d'Anthropologie de Lyon, 1882. Voir encore LACASSAGNE et P. DouBRE. Rapports de la taille debout et de la taille assis, et de la taille debout et de la grande envergure. Bulletin de la Société d'Anthropologie de Lyon, 1883.

fession, et plus spécialement encore à celle des souteneurs. J'ai vu à la prison de la Santé un individu de ce genre. Ivrogne, violent et brutal, il a subi deux condamnations pour escroquerie et pour vol avec effraction. Sa musculature superbe d'Hercule forain lui permet, depuis l'âge de seize ans, de vivre à ne rien faire, largement entretenu par les cadeaux des dames à qui il veut bien offrir ses grâces brutales de << mâle masculant », aujourd'hui chez une cuisinière, demain chez une blanchisseuse et tous les soirs chez les « pierreuses » qui fréquentent les bals du quartier Maubert, où il est avantageusement connu. En outre, une jeune cousine, qu'il a récemment amenée de la Creuse, travaille chaque soir pour lui, de huit heures à minuit, dominée par cette brute qui la bat, et à qui elle revient chaque soir soumise et les poches pleines de pièces blanches. Cet individu sait lire et écrire; mais son intelligence est très bornée et ses sentiments affectifs sont tout à fait rudimentaires. L'alcool est sa grande jouissance. Quant à la femme, il la méprise presque autant qu'il l'exploite et qu'il la bat. Il n'admire qu'une chose: la force brutale, le muscle qui frappe et qui fascine les filles amoureuses, les fait dociles et soumises.

J'ai vu trop peu de femmes criminelles pour pouvoir nier ou affirmer qu'elles dépouillent les grâces de leur sexe pour se masculiniser dans leur voix, leurs formes et leurs allures.

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Selon l'école italienne, le criminel est analgésique. S'il est féroce et frappe sans pitié, c'est qu'il est lui-même insensible à la douleur; son analgésie morale dérive de son insensibilité physique. Et Lombroso cite des faits : des criminels se sont mutilés affreusement, d'autres ont supporté en souriant les opérations les plus terribles. Mais ces faits ne sont que des exceptions, et on pourrait en trouver de semblables chez des gens honnêtes qui n'avaient jamais fait de mal à personne. Qu'un criminel névropathe ou aliéné soit analgésique, ce n'est

là, en somme, qu'un fait isolé, et qui prouve qu'il y a des névropathes et des aliénés insensibles à la douleur, et rien de plus.

A mon avis, non seulement les criminels ne sont point analgésiques, mais ils sont lâches et pusillanimes devant la douleur. J'ai passé deux ans dans différents services de chirurgie des hôpitaux et j'ai vu faire des opérations terribles; la plupart de ces braves gens, de ces honnêtes ouvriers supportaient souvent la souffrance avec un courage admirable. J'ai vu des femmes subir avec des grincements de dents, mais sans pousser un cri, des opérations très douloureuses, telles que l'incision d'abcès du sein. J'ai passé ensuite trois ans comme interne à l'infirmerie centrale des prisons à la Santé. Toutes les maladies graves sont centralisées dans cette maison, et toutes les opérations chirurgicales qu'ont à subir les criminels se font dans cette infirmerie spéciale. J'y ai vu opérer pas mal de malfaiteurs, et quelques-uns étaient des meurtriers célèbres. Si on compare avec l'hôpital, le contraste est frappant. On ne peut se faire une idée de la peur qui envahit ces brutes lâches et sournoises rien qu'à l'annonce de l'opération. A la vue du bistouri ou du fer rouge, leur front se couvre de sueur et ils sont pris de tremblement.

Un exemple choisi parmi beaucoup d'autres. Voici un jeune criminel parisien, âgé de vingt et un ans, qui a déjà subi trois condamnations. Un jour, il vole un morceau de viande à l'étalage, et comme le boucher protestait, «< il lui f... sur la gueule ». Un autre jour, il vole du cuivre, et comme le commerçant protestait comme le boucher, « il luit f... sur la gueule » comme au boucher. Dernièrement, il accoste un passant attardé sur les hauteurs de Belleville, et il lui dit d'un ton peu rassurant: « Il faut me dire l'heure, bourgeois ! » L'autre, pour toute réponse, tire un revolver de sa poche et lui loge une balle dans la cuisse, car, à la vue de l'arme, le drôle avait pris courageusement la fuite. Il s'abattit sur le trottoir et on l'apporta à la Santé. La balle ne put être extraite, un abcès se forma et une opération fut déclarée nécessaire. Vous supposez sans doute que cet être féroce, qui ne parlait

que de «< casser la gueule et de crever la peau », se montra plein de courage et accepta la souffrance en souriant ? D'abord, il refusa énergiquement l'opération, et ce ne fut que sous l'influence du spectre de la mort évoqué, qu'il se décida en tremblant. « Alors, dit-il en larmoyant comme un enfant, faites-moi ce que vous voudrez; mais, je vous en supplie, ne me laissez pas mourir. » On l'endormit et l'opération alla bien. Mais, chaque fois qu'on dut faire le pansement, chose en somme peu douloureuse, il remplissait l'infirmerie de hurlements qui n'avaient rien d'humain. C'étaient des cris de bête qu'on assomme. « Je suis douillet, monsieur le docteur ! hurlait-il sans cesse. Grâce! grâce! »

La disvulnérabilité des criminels ne me semble guère plus acceptable que leur analgésie. Le cas que je viens de citer semblerait cependant faire croire à cette disvulnérabilité, puisque la guérison s'est effectuée admirablement et en peu de jours. Le chirurgien qui l'avait opéré n'a d'ailleurs pas manqué de me dire: « Si c'eût été un honnête homme, il en serait mort. » C'est bien possible, mais il faut tenir aussi grand compte de ce fait que cet homme était très fort et très vigoureux. Et puis, ne voit-on pas tous les jours dans les hôpitaux des individus guérir très vite d'opérations extrêmement dan gereuses? Or, ce ne sont généralement pas des criminels. A la Santé, je n'ai pas remarqué que les opérés guérissaient mieux et plus vite que dans les hôpitaux.

Benedickt trouve dans cette disvulnérabilité des criminels une autre cause de leur manque de compassion et de leur penchant aux violences. « Quiconque gagne, dit-il, dans une rixe, une fracture de côte et s'attire par là une pleurésie qui le retient des mois au lit, évitera autant que possible une seconde occasion. Mais si un individu, avec une telle fracture, est capable, comme je l'ai vu, de fendre du bois les jours suivants et d'aller en voiture sur des routes raboteuses de montagnes, il n'éprouvera pas un bien grand dégoût à courir de nouveau les risques d'être battu. » Ce n'est point, je crois, cette préoccupation qui pousse ou retient le criminel dans la voie des violences. Il obéit tout simplement à ses instincts et surtout à ses impulsions: or, l'impulsion ne raisonne pas.

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