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monte à cheval convenablement mais avec prudence m'étant jadis enfoncé une côte, et je boxe bien quand je réussis à me dominer, ce qui est le cas depuis le jour où j'ai cassé le genou à mon adversaire. » Il n'en demeure pas moins que Byron subit à son insu l'influence de Rousseau. Elle ne détermina pas, mais elle affermit et précisa sa misanthropie, sa persuasion d'être la victime d'une conjuration universelle. Tous deux ressentent la même émotion devant la nature, encore que Byron en tire des sensations bien différentes de celles qu'éprouve Rousseau.

Byron voyait en Rousseau le principal excitateur de la Révolution française, car il partageait cette erreur qui porte si communément les hommes à attribuer les événements non à des causes profondes, générales et inéluctables, mais à l'intervention d'un personnage. « C'est lui, dit-il, qui réveilla avec d'autres la France endormie; de sa retraite sortirent les oracles qui embrasèrent le monde.... » Il est aussi, aux yeux de Byron, le chantre le plus parfait de l'amour, car l'objet de sa passion n'était pas un être vivant ou descendu dans la tombe, mais une beauté idéale réalisée par sa passion 1.

On était encore tout près de Rousseau quoiqu'il fût mort le 2 juillet 1778. La sœur de Byron raconte que le Prisonnier de Chillon fut lu en Angleterre par un vieillard qui avait fait le tour du lac avec Rousseau.

Quoique, pour lors, Byron manquât d'argent, il n'en acheta pas moins, fort cher, une barque avec quille, la seule de ce genre qui existât sur le lac. Shelley, qui n'était guère plus pécunieux, se laissa entraîner à participer à la dépense. Il appelait son ami : Le serpent tentateur.

Dans cette barque ils partirent ensemble, le 23 juin 1816, pour visiter « le pays dont Rousseau est le maître. »

L'aspect des lieux avait bien changé depuis que la route du Simplon, œuvre de Napoléon, avait fait disparaître une partie des rochers de la Meillerie. Cependant Byron, l'Héloïse à la main, parcourut la région avec ravissement. Il fut frappé, au delà de toute expression, « par la force et l'exactitude des descriptions et

1. Quelle différence pourtant entre la façon dont Rousseau et Byron envisageaient l'amour!

la beauté de leur réalité! » Précisément à l'endroit où une tempête met en péril dans le roman les jours du chevalier de Saint-Preux, Byron et son ami en essuyèrent une qui faillit, malgré leur barque à quille, leur être fatale par suite de l'impéritie du batelier. Byron pensait bien s'en tirer étant excellent nageur, mais Shelley qui n'avait aucune notion de natation ou de navigation (ce qui devait causer sa perte quelques années plus tard), assurait qu'il se laisserait couler avec la barque sans faire le moindre geste pour se sauver, tant il avait la vie en dégoût. L'événement ne mit pas sa résolution à l'épreuve et, à la grande surprise des riverains, ils abordèrent sains et saufs, mais terriblement mouillés. Byron visita à l'extrémité du lac le célèbre château de Chillon et écrivit ensuite le Prisonnier de Chillon en deux jours à Ouchy où la pluie le retenait (26-27 juin 1816).

Au cours d'une autre promenade, une vergue tomba sur la jambe du poète; il en éprouva une si vive douleur qu'il s'évanouit, ce qui ne lui était arrivé qu'une fois auparavant. Il en fut ensuite un peu confus, mais trouva curieuses les sensations qu'il avait ressenties. « Ce fut d'abord, dit-il, un vertige grisâtre, puis le néant, en revenant à la vie, un oubli absolu de tout, ce qui aurait été fort agréable si la mémoire ne m'était ensuite revenue. »

Shelley s'était tellement attaché à Byron qui le payait de retour, que le médecin Polidori en prit ombrage. Il provoqua en duel Shelley que son système philosophique éloignait de ce genre de réparation et qui n'accueillit sa demande que par des rires. Byron en fit autant et l'affaire s'arrangea. Au surplus, Polidori s'était rendu insupportable. Quand il fut parti (le 16 septembre 1816), Byron respira; il s'écria, en regardant un beau paysage : « Quelle chance que Polidori ne soit pas là. »

Mais Polidori le rejoignit à Milan où il lui causa de nouveaux ennuis.

XV

D

CLAIRE CLAIRMONT.

MADAME DE STAËL. L'OBERLAND.

ANS sa villa de Diodati, Byron menait la vie régulière à laquelle il revenait toujours dès que les circonstances ne l'en détournaient plus. Sa frugalité restait incroyable. Le matin une tartine avec une petite tasse de thé, un déjeuner composé de légumes et de deux bouteilles d'eau de Seltz coupées d'un peu de vin de Graves, le soir une tasse de thé vert sans sucre ni lait. Il ne prenait pas de viande sous le prétexte que d'en manger le rendait << sauvage. » Quand la faim le tourmentait, il chiquait du tabac ou fumait des cigares. « Je n'ai jamais mené une vie aussi rangée, écrivait-il. Cela ne me vaut aucune considération, au contraire; il n'est pas d'histoire absurde qu'on n'invente contre moi. On me lance des regards obliques, on me considère comme un monstre. » Mais aussi quelle incroyable méprise que celle de Lord Byron qui quitte Londres à cause de la pruderie qui y règne pour aller à Genève où le rigorisme était plus intransigeant encore! Bien plus avisé fut Henri Heine qui vint d'Allemagne à Paris.

Byron était un objet de curiosité. On faisait l'impossible pour le voir; d'aucuns avaient établi des télescopes pour l'épier! Avaient-ils tout à fait tort?

Lorsque Byron parle de la régularité de sa vie, il convient de ne pas lui accorder complète créance, car il avait alors une liaison, plutôt subie que voulue ou même consentie avec Jane Mary Clairmont, qui se faisait appeler Clara ou plutôt Claire.

Claire avait des flots de cheveux noirs, des yeux noirs, une

bouche sensuelle, une fine silhouette et un air dégagé et engageant. Très libre de pensées et d'allures, elle dédaignait le mariage et ne pouvait s'empêcher « de jeter dessus un caillou toutes les fois que l'occasion s'en présentait. »

Les relations de Claire avec Lord Byron avaient commencé. dans le courant de l'année 1814 par l'envoi qu'elle lui fit de lettres anonymes puis pseudonymes. Byron en recevait quantité, mais il distingua celles-ci et y répondit quand Claire lui en eut donné le moyen. Une visite suivit dont le prétexte fut un engagement au théâtre de Drury Lane. Puis Claire sollicita des conseils littéraires. Les réponses que Byron lui adressa montrent de l'impatience, de l'agacement Claire ignorait l'art d'être concise, mais elle devint bientôt précise et pressante. Dans sa huitième lettre, elle s'exprime en ces termes : « Je ne m'attends pas à vous voir amoureux de moi; je ne suis pas digne de votre amour. Cependant, à ma grande surprise, à ma joie plus grande encore, vous avez trahi des sentiments que je croyais éteints dans votre cœur. » Évidemment la passion de tourner d'agréables phrases l'avait emporté chez Byron sur la prudence.

cours de

Vaincu sans être touché, Byron consentit au l'année 1815, après son mariage, à accéder aux vœux de Claire, mais il garda à son égard l'attitude revêche qu'il avait eue au commencement et dont il ne se départit jamais.

Claire avait quitté Londres avec Shelley dans la pensée de retrouver Byron à Genève. Elle en repartit peu après en septembre (1816) enceinte d'une fille qui naquit le 12 janvier suivant.

Voici en quels termes Byron parle à sa sœur de cette affaire. « Une fille un peu folle, malgré tout ce que j'ai pu dire ou faire, est venue ici (à Genève) et j'ai eu grand mal à la décider de s'en retourner. Ma chérie, je n'ai pas pu faire autrement, je te l'assure; j'ai agi de mon mieux et maintenant c'est fini. Je n'avais pas d'amour pour elle, il ne m'en reste plus pour personne mais je ne pouvais vraiment pas jouer les Joseph avec une femme qui avait fait tant de chemin pour me déphilosophiser.

>>

Cela doit être vrai et Byron ne cherchait pas à ménager sa sœur. Que de fois ne lui a-t-il pas dévoilé, sans ambages, ses autres

amours!

En juillet (1816), Byron alla faire visite à Mme de Staël qui

se trouvait à Coppet. Byron l'avait déclarée assommante en Angleterre, peut-être parce que, comme il le disait, « chez elle, elle est fort aimable, tandis que chez les autres, on souhaite qu'elle s'en aille et qu'elle soit chez elle. » Mais, au fond, son commerce ne lui déplaisait pas et il le recherchait. Mme de Staël avait récemment critiqué Byron avec des paroles amères, mais il avait uni dans un sonnet son nom à celui de Voltaire, Rousseau et Gibbon, cela suffit pour le rendre à ses yeux le plus aimable des hommes et le plus admirable des poètes.

Elle l'entreprit sur sa femme, ignorant apparemment ce qu'il y avait d'irréconciliable dans leur mésintelligence et lui représenta qu'on ne saurait braver indéfiniment l'opinion publique; à quoi le poète lui répondit par la citation d'un passage de Corinne où elle soutenait qu'un homme peut ne s'en pas soucier, tandis qu'une femme doit s'y soumettre. Elle se tira de cette difficulté en disant que c'était là paroles de roman et dont il ne fallait pas tenir compte dans la vie. Byron n'y contredit pas apparemment car il devait répliquer plus tard à quelqu'un qui le mettait en contradiction avec lui-même qu'il fallait croire ce qu'il disait et non ce qu'il écrivait. Byron se laissa convaincre et chargea un ami de tenter une réconciliation. La réponse fut ce qu'elle ne pouvait manquer d'être. Cependant Byron n'en voulut pas à Mme de Staël de son échec, mais il en ressentit une nouvelle amertume envers sa femme qui se traduisit par plusieurs écrits: Le premier acte de Manfred; Lignes écrites en apprenant que Lady Byron était malade....

La pitié est réservée aux pitoyables,

Si tu étais de ce nombre, elle te serait accordée maintenant.

Tes nuits sont bannies du royaume du sommeil.

Oui, en vain on peut te flatter, tu sentiras

Une angoisse profonde qui ne guérira pas.
Tu as ensemencé ma douleur et tu récolteras
L'amère moisson d'une égale souffrance.
J'ai bien des ennemis mais pas un ne te vaut
Car contre les autres je pourrais me défendre
Et me venger ou en faire des amis,

Mais toi tranquillement implacable

Tu n'as rien à redouter....

Schlegel résidait chez Mme de Staël quand Byron y arriva. Il le surprit en lui déclarant qu'il s'apprêtait à réduire en poudre la

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