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>> Un enfant si bien conseillé ne pouvait manquer de faire de grands progrès. Il en fit en effet, et de si grands, qu'il se rendit insupportable à tous ceux qui l'approchaient. Un jour, il n'avait pas encore quatre ans, il mit, en courant, le pied sur un rondin qui se trouvait par hasard au milieu de la chambre, ce qui faillit le faire tomber; ramassant aussitôt le bâton, il le brandit devant le visage de sa mère en lui disant : « Si j'étais tombé, je te l'aurais f.... par la figure. » Quoique patiente et douce audelà de toute expression, la mère fut indignée de celte atroce menace; elle prit son fils, et avec une corde l'attacha au pied du lit; mais quand elle le vit joindre ses petites mains et lui demander pardon en pleurant, elle n'eut plus le courage de le laisser en pénitence, elle le détacha, aimant mieux ne le pas corriger que de lui faire de la peine.

Louise, la petite fille de Baptiste, avait aussi ses défauts; elle était extrêmement gourmande, trèsmenteuse, et même elle assaisonnait sa conversation de ces mots grossiers, de ces juremens qui révoltent dans la bouche d'un homme, mais qui révoltent bien davantage encore dans celle d'une femme. Je pourrais vous citer une foule de traits pour vous prouver combien ces deux enfans étaient déjà corrompus, mais vous pourrez assez en juger par tout ce que je serai forcé de vous dire.

» S'ils avaient eu de bons exemples sous les yeux, et si l'on se fût attaché à diriger leur âme vers le bien, ils eussent pourtant été de bons sujets; car les enfans, après le baptême, qui a effacé le péché originel, ne sont pas corrompus, et jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de raison, ils sont purs: c'est toujours la mauvaise éducation qui leur fait perdre leur innocence; et en effet, pour peu qu'on y veuille

faire attention, on se convaincra que leurs premières actions sont toujours des actions qu'ils voient faire aux autres, que leurs premières paroles sont toujours celles qu'on leur répète et qu'ils entendent le plus souvent. Cela ne peut être autre ment: les jeunes enfans n'ont d'eux-mêmes aucune idée; ils ne peuvent rien imaginer, rien inventer; il faut de toute nécessité qu'ils imitent, qu'ils suivent les exemples qu'ils ont sous les yeux. Si vous ne prononciez pas devant eux le mot papa, ils ne diraient jamais papa; si vous ne juriez pas devant eux, ils ne jureraient jamais; et puisque nos enfans sont forcés de nous prendre pour modèles, que leur conduite est une imitation de la nôtre, il suffit donc de pratiquer nous-mêmes le bien et de fuir le mal pour leur apprendre à en faire autant.

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Quand un enfant a eu le malheur de perdre son innocence, la religion lui fournit le moyen de la recouvrer, car elle est bonne mère et tient toujours en réserve des remèdes pour ceux qui en ont besoin; mais Baptiste Jacquart n'allait jamais à l'église, et ses enfans n'y allaient pas non plus; Baptiste Jacquart avait toujours des paroles de haine et de mépris quand il parlait des prêtres, des commandemens de Dieu et de l'Eglise, et ses enfans l'imitaient. La religion, à ne la considérer que sous un point de vue purement humain, dans ses rapports avec l'éducation, est cependant une bonne chose. Ah! certes, si j'avais eu des enfans, mon premier soin eût été de leur inspirer l'amour de Dieu et le respect de ses lois. Dieu, en effet, défend tout ce qu'il y a de mal, ordonne tout ce qu'il y a de bien à faire, et celui qui aime véritablement son Dieu et qui le craint, ne se laisse jamais aller au crime, parce qu'il

sait qu'il n'y a pas de crime caché pour celui qui voit tout, et que tôt ou tard il en subira le châtiment. Défendez ou ordonnez quelque chose à votre enfant ; s'il ne craint pas Dieu et qu'il le puisse faire impunément, il ne se fera pas scrupule de violer votre ordre ou votre défense; s'il craint Dieu, au contraire, il se dira: « Ce que m'ordonne et me défend mon père, c'est Dieu qui me l'ordonne et me le défend, et si j'échappe à la surveillance de mon père, je n'échapperai pas à celle de Dieu. » Les enfans de Baptiste Jacquart se livraient à tous leurs penchans déréglés, parce qu'ils n'avaient aucun frein qui pût les retenir, qu'ils ne connaissaient au ciel ni sur la terre aucune puissance qu'ils dussent craindre et respecter.

» Jérôme Jacquart avait imaginé, pour rendre les siens heureux, un autre moyen que de leur laisser faire leur volonté, c'était de leur faire faire la volonté de Dieu et de leur faire aimer et pratiquer la verlu; et en cela il raisonnait très-juste, car ce sont toujours nos vices qui nous rendent malheureux. Le vice ne manque jamais de châtier l'homme vicieux. L'orgueilleux est humilié par le triomphe des autres, l'envieux est déchiré par la prospérité d'autrui, le médisant devient l'objet de la haine et du mépris qu'il cherche à attirer sur son semblable, l'avare meurt de besoin après avoir refusé son superfluaux malheureux, l'homme paresseux est accablé par la misère qu'engendre sa paresse, l'intempérant périt victime de ses excès, querelleur succombe dans les luttes qu'il provoque; celui qui refuse son secours aux personnes qu'il voit souffrir ne trouve pas de secours quand il souffre luimême; celui qui persécute, à son tour est persécuté. Il est donc bien vrai que le plus sûr moyen

de rendre ses enfans heureux, c'est de commencer par les rendre vertueux, et c'est à quoi Jérôme Jacquart mit tous ses soins.

» La présence de son frère à l'armée l'avait lui même exempté du service militaire; il n'était jamais sorti de son pays, et dans sa jeunesse il avait reçu sa première instruction du curé de son village, saint homme s'il en fut jamais, qui lui fit connaître et chérir sa religion. Aussi ne donnait-il à ses enfans que de bons exemples, ne manquant jamais d'assister aux offices le dimanche, et remplissant tous ses devoirs de chrétien et de citoyen avec la plus scrupuleuse exactitude. La première chose qu'il apprit à Joseph et à ses filles, ce fut une prière. Il les menait à l'église et voulait qu'ils y fussent attentifs aux prônes, aux sermons, et qu'ils s'y tinssent dans une posture décente. Le soin qu'il se donnait d'élever chrétiennement ses enfans eût cependant été à peu près inutile s'il ne se fût en même temps attaché à les préserver des mauvaises compagnies; mais c'est à quoi surtout il s'attacha. Il ne voulait jamais qu'ils sortissent de la ferme sans lui en demander la permission, qu'il accordait très-rarement. « J'aime mieux, disait-il, qu'ils ne voient personne et même qu'ils s'ennuient chez moi, que d'être exposés, en s'amusant avec leurs camarades, à prendre leurs mauvaises habitudes, à entendre des conversations trop souvent obscènes. » Et quand, ce qui arrivait très-rarement, quelques-unes des personnes qui le venaiert voir se permettaient des médisances, ou ce que l'on appelle fort mal à propos de petits mots pour rire, il ne se gênait pas pour leur imposer silence : « Si vous ne vous respectez pas vousmême, leur disait-il, respectez au moins mes en

fans. » Il croyait tellement indispensable de ne les laisser approcher que par des gens honnêtes et d'une conduite exemplaire, qu'il n'hésita pas à chasser de chez lui son neveu, ce mauvais sujet de Louis, toutes les fois qu'il s'y présentait.

» Comme vous le pensez bien, entre deux frères qui agissaient d'une manière si différente il ne pouvait guère exister d'amitié. Quoique demeurant porte à porte et que leurs maisons ne fussent séparées que par la grande route, ils ne se voyaient pas; mais à qui la faute ? faut-il en accuser l'homme de bien qui cherche le bonheur dans la vertu, ou bien l'homme sans religion et sans mœurs qui ne fait nul cas de ce qu'il y a de plus sacré : l'innocence de ses enfans?

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Malgré tout le soin qu'on en prend, toute la peine qu'on se donne pour eux, les enfans ont quelquefois des penchans qu'il faut combattre. C'est ainsi que Joseph, naturellement indolent, semblait se complaire dans la paresse. Son père sut y mettre bon ordre il lui imposait une petite tâche, comme d'arracher l'herbe qui croissait parmi les choux et les laitues, de ramasser le bois mort abattu par le vent, et quand il ne s'était pas acquitté de sa besogne avec assez de diligence, il lui infligeait une légère punition. Sa femme, dans le commencement, trouva que c'était agir avec trop de rigueur, et demanda la grâce du coupable; mais Jérôme Jacquart lui faisait alors une leçon fort sage et que toutes les mères devraient mettre à profit :

« Une mère, lui disait-il, qui connaît les véritables intérêts de ses enfans, ne demande jamais leur grâce; au lieu de chercher à les disculper, elle les réprimande, et les enfans sont beaucoup moins

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