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Sans détourner les yeux, sans même être étonnées

En passant sous la porte où tout espoir se perd.

A voir leur front si calme, on croirait qu'elles savent Que leurs ans, jour par jour, par avance se gravent

Sur un livre éternel devant le Czar ouvert.

XX

Quel signe formidable a-t-il au front, cet homme?

Qui donc ferma son cœur des trois cercles de fer

Dont s'étaient cuirassés les empereurs de Rome
Contre les cris de l'âme et les cris de la chair?
Croit-on parmi vos serfs qu'à la fin il se lasse
De semer les martyrs sur la neige et la glace,
D'entasser les damnés dans un terrestre enfer?

XXI

S'il était vrai qu'il eût au fond de sa poitrine
Un cœur de père ému des pâleurs d'un enfant,
Qu'assis près de sa fille à la beauté divine

Il eût les yeux en pleurs, l'air doux et triomphant,
Qu'il eût pour rêve unique et désir de son âme
Quelques jours de repos pour emporter sa femme
Sous les soleils du Sud qui réchauffent le sang;

XXII

S'il était vrai qu'il eût conduit hors du servage

Un peuple tout entier de sa main racheté,

1

Créant le pasteur libre et créant le village

Où l'esclave tartare avait seul existé,

Pareil au voyageur dont la richesse est fière

D'acheter mille oiseaux et d'ouvrir la volière

Pour leur rendre à la fois l'air et la liberté ;

XXIII

Il aurait déjà dit : « J'ai pitié, je fais grâce;

L'ancien crime est lavé par les martyrs nouveaux; »

Sa voix aurait trois fois répété dans l'espace,

Comme la voix de l'ange ouvrant les derniers sceaux,

Devant les nations surprises, attentives,

Devant la race libre et les races captives :

« La brebis m'a vaincu par le sang des agneaux.>>

XXIV

Mais il n'a point parlé, mais cette année encore Heure par heure en vain lentement tombera,

Et la neige sans bruit, sur la terre incolore,

Aux pieds des exilés nuit et jour gèlera.

Silencieux devant son armée en silence,

Le Czar, en mesurant la cuirasse et la lance,

Passera sa revue et toujours se taira.

5 novembre 1847.

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