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XXVII

MORT D'ALLEGRA. - ACTIVITÉ LITTÉRAIRE. LEIGH HUNT.

A

U souci de cette controverse vint s'ajouter pour Byron, durant cette année 1822, le chagrin de la mort de la petite Allegra.

Avant de partir pour Pise, il l'avait envoyée dans un couvent, car il ne se souciait nullement de garder auprès de lui cette fillette de quatre ans. Le couvent où il la plaça sans même être allé le visiter se trouvait sur une éminence près de Bagna Cavallo, bourgade distante de Ravenne d'une quinzaine de kilomètres. Sa mère, qui s'était éloignée de Pise à l'arrivée du poète et avait trouvé un emploi comme institutrice chez le professeur Bojti à Florence, souhaitait vivement voir sa fille car, de se la faire rendre par Byron, il n'y fallait pas penser. Les lettres où elle la redemandait restèrent sans réponse. La première, il est vrai, était conçue en termes blessants mais, dans les suivantes, elle conjurait, elle implorait Byron de lui laisser voir son enfant ou à tout le moins, de la ramener dans un lieu plus sain, près de Livourne, s'engageant, dans ce cas, à ne pas l'approcher, car Byron affectait de craindre que, par elle, Allegra ne subît l'influence de Shelley. « Elle apprendrait, répétait-il, à méconnaître la divinité et acquerrait de mauvais sentiments. » Des rapports inquiétants étaient arrivés à Claire sur le couvent de Bagna Cavallo. Un membre du cercle des Shelley, Tighe, fut envoyé pour faire une enquête. Il revint disant que l'alimentation au couvent était insuffisante, que, malgré l'hiver, on n'y faisait pas de feu et qu'une fièvre maligne

sévissait dans les alentours. Et la pauvre mère se désolait devant son feu à la pensée que sa fille avait froid.

Shelley et sa femme avaient pris parti pour Claire contre Byron. Shelley lui écrivait : « Aucun sentiment d'honneur ou de justice ne le retient. » Et il parle de « sa détestable amitié. » Il intervint auprès de Byron. Celui-ci eut-il vent de cette coalition? Il se répandit en insinuations contre ses amis, laissant entendre que Shelley était du dernier bien avec Claire, qu'il avait aidé à un avortement, que Mary le savait. Ces accusations se fondaient sur des propos de domestiques renvoyés. Byron alla même jusqu'à détourner des papiers.

Claire, ne sachant que faire, proposa un enlèvement. Mais Shelley lui remontra que l'entreprise n'était pas praticable et que, même si elle réussissait, Byron avait trop de puissance par son argent et ses relations pour ne pas reprendre aussitôt possession de sa fille (avril 1822).

L'obstination de Byron était due en partie à son esprit de contradiction et à son animosité, je dirais volontiers, à sa rancune contre Claire, en partie aussi à ce qu'il tirait de la présence de sa fille dans un couvent un argument pour montrer qu'il n'était pas athée. Combien de fois ne s'en est-il pas servi! La religion catholique au reste l'avait toujours séduit par sa magnificence, par ses côtés extérieurs. Depuis le temps où il prenait sa défense devant la Chambre des Lords, son sentiment n'avait pas varié. Il la trouvait <«< la plus élégante des religions, la plus substantielle, celle qui matérialise le plus les conceptions religieuses. - L'encens, les images, les statues, les autels, les reliques, ne donnent-ils pas certitude, dit-il; comment les croyants douteraient-ils de la transsubstantiation alors qu'ils mangent leur dieu dans sa chair et le boivent dans son sang? » Chez Byron, la plaisanterie se mêle toujours aux plus sérieux raisonnements.

la

Il écrivait à son ami Hoppner : « L'endroit où se trouve Allegra est dans une ville de campagne, en bon air. Le défaut de moralité des Italiennes ne provient pas de l'éducation conventuelle. Les jeunes filles sortent des couvents, innocentes, ignorantes même du mal. » (Était-on donc si loin du xvi siècle?) Il dit ailleurs : « Je ne veux pas que mon enfant ait une éducation anglaise à cause de sa naissance. A l'étranger, avec un capital de 5000 ou

6 000 livres, elle pourra se marier très convenablement 1. Je désire qu'elle devienne catholique, car je considère cette religion comme la meilleure. >>

Sur ce, Byron apprit qu'Allegra était malade. Il attendit. Comme on ne lui donna pas d'autres nouvelles les jours suivants, il se rassura, quand il apprit soudainement qu'elle était morte le 20 avril (1822).

La comtesse Guiccioli admira vivement la fermeté dont il fit preuve. « Son aspect révélait un chagrin si désespéré, si profond, si sublime qu'à ce moment il m'apparut comme un être supérieur à l'humanité. Il demeura une heure immobile dans cette attitude. » Le lendemain, il dit : « Allegra est morte, elle a plus de chance que nous. C'est la volonté de Dieu. N'en parlons plus. » En fait, il défendit qu'on parlât d'elle désormais en sa présence. Cependant il dit un peu plus tard à Lady Blessington. « Tout le temps de sa vie, son existence ne paraissait pas nécessaire à mon bonheur, mais à peine l'eus-je perdue que je crus ne pouvoir vivre sans elle. >>

Certaines âmes sensibles éprouvent un malaise sensible, une sorte de pudeur, à laisser pénétrer le fond de leur âme. Il se peut que Byron ait obéi à ce sentiment. Mais il est vrai d'autre part que l'égoïsme entraîne assez souvent la sécheresse de cœur. Toutes nos actions ne sont-elles pas la résultante de plusieurs causes, souvent inconciliables en apparence ?

Ce qui montre à quel point il chérissait les souvenirs de sa jeunesse, c'est qu'il voulut que sa fille fût enterrée dans ce cimetière de Harrow où il allait si souvent rêver auprès d'un orme dix-sept ans auparavant.

L'inscription suivante, tirée de Samuel (Liv. II, XII, 23), fut inscrite sur sa tombe

« J'irai vers elle, mais elle ne reviendra pas vers moi. »

Ce fut à Shelley qu'il échut de communiquer à Claire la nouvelle, Elle demanda une boucle de cheveux de sa fille et son portrait et retourna peu après en Angleterre 2,

1. C'est en effet, une somme de £ 5 000 qu'il lui laisse dans son testament. 2. Trelawny voulut l'épouser mais elle ne se maria jamais. Elle mourut en 1879, fort âgée, comme tant d'autres parmi les personnes qui avaient connu Byron.

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Ce fut Teresa qui, sur le refus de Byron, dut s'occuper seule de tout le détail de l'enterrement1.

Le jour même de la mort de sa fille, Byron se trouva impliqué dans une ennuyeuse affaire. Il rentrait à cheval en compagnie de quelques amis, Shelley, Gamba, Taaffe; la comtesse et Mrs. Shelley suivaient en calèche; un dragon, du nom de Masi, coupa le cortège et adressa des paroles malsonnantes à Taaffe dont il heurta la monture. Taaffe en appela à Byron, qui avec Shelley, se mirent à la poursuite du dragon. Une lutte s'engagea à coups de sabre et de canne. Le dragon appela le poste qui gardait la porte voisine, Byron fonça et passa; il alla jusqu'à son palais donner l'alarme, revint accompagné de quelques valets et, s'avançant au-devant du dragon qu'il prenait pour un officier à cause des multiples décorations qu'il portait, il lui présenta sa carte et son gant. L'autre s'éloignait sans lui faire de réponse quand un des gens de Byron le rejoignit et lui porta au ventre un coup de stylet dont il parut grièvement blessé. En réalité, il se rétablit assez vite et Byron réussit à étouffer l'incident 2. Mais ces incidents déplaisaient à la police qui multiplia les tracasseries pour amener Byron et les siens à quitter le territoire toscan.

Le peintre américain West, qu'il invita à venir passer quelques jours dans son palais à Pise afin d'y achever un portrait de lui qu'il avait commencé à Livourne, raconte que les ennuis que lui faisait subir la police le mettaient de si méchante humeur qu'il comprit l'impossibilité de le faire désormais poser tranquille; il abandonna son œuvre.

Byron dut donc se résigner à aller s'établir définitivement à Livourne (villa Dupuy) où il avait d'ailleurs la perspective de prendre des bains de mer et de profiter de son bateau quand il

serait arrivé.

L'activité de Byron s'exalta durant son séjour à Pise. Le long drame de Werner ou L'Héritage, tiré d'un conte allemand3, fut commencé par Byron à son arrivée à Pise et achevé le 20 janvier 1822, c'est-à-dire en deux mois. C'est peut-être le plus mauvais de ses

1. Le bateau emportant le cercueil mit à voile le 6 mai 1822.

2. Byron donne d'abondants détails sur cette affaire dans ses lettres. Les récits de Shelley et de John Williams sont différents du sien.

3. Kruitzner par Harriet Lee.

drames qui ne sont guère bons. On a prétendu qu'il n'était même pas de lui, mais de Lady Georgiana, duchesse de Devonshire, et que Byron l'avait reçu des mains de Caroline Lamb. La chose est peu probable. Byron le dédia à Goethe. Goethe suivait depuis longtemps avec intérêt l'œuvre grandissante de Byron; en 1817, un Américain lui avait donné à lire Manfred dont ses analogies avec Faust lui firent particulièrement apprécier la singulière beauté. Il devait un peu plus tard adresser à Byron une lettre laudative. Byron, qui, de son côté, considérait Goethe comme le plus grand poète de son temps et comme un penseur hors ligne, lui avait dédié son drame Marino Faliero, mais le texte de cette dédicace arriva quand le volume avait déjà paru. Il recommença avec Sardanapale; une singulière fatalité fit encore que la dédicace ne fut pas publiée. A la troisième reprise seulement, avec Werner, Byron réussit à rendre au poète allemand l'hommage qu'il souhaitait.

Entre avril et juillet 1822, fut composé un autre drame, The Deformed Transformed, description poétique de la prise de Rome par les Impériaux en 1527. Cette pièce n'a qu'un mérite; elle est l'exaltation d'un être infirme et une sorte de confidence; on y trouve ces deux répliques :

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La mère de Byron lui avait adressé, en effet, ce reproche en le traitant d'avorton infirme. Byron prenait ainsi sa revanche d'une cruauté dont il avait conservé le poignant souvenir. Il avoua à Lady Blessington, qui a recueilli tant de confessions intéressantes de sa bouche, que ce drame lui avait été inspiré « par les souvenirs amers de son enfance ». « Ma pauvre mère, dit-il, et avec elle mes camarades d'études, m'ont habitué par leurs railleries à regarder mon infirmité comme un grand malheur. »

Shelley, à qui Byron lut ce drame, le trouva si exécrable que Byron le brûla sous ses yeux; ce n'était à vrai dire qu'une feinte; il avait une si excellente mémoire, qu'il se rappelait par cœur à peu près tout ce qu'il avait écrit, en sorte que ce fut un jeu pour lui de restituer le texte de son drame qu'il publia deux ans après chez l'éditeur John Hunt.

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