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BILLET DE JULIE.

Il est temps de renoncer aux erreurs de la jeu

nesse, et d'abandonner un trompeur espoir : je ne serai jamais à vous. Rendez-moi donc la liberté que je vous ai engagée et dont mon pere veut disposer, ou mettez le comble à mes malheurs par un refus qui nous perdra tous deux sans vous être d'aucun usage.

Julie d'Étange.

S'IL

X. DU BARON D'ÉTANGE.

Dans laquelle étoit le précédent billet.

'IL peut rester dans l'ame d'un suborneur quel-' ques sentiments d'honneur et d'humanité, répondez à ce billet d'une malheureuse dont vous avez corrompu le cœur, et qui ne seroit plus si j'osois soupçonner qu'elle eût porté plus loin l'oubli d'ellemême. Je m'étonnerai peu que la même philosophie qui lui apprit à se jeter à la tête du premier venu lui apprenne encore à désobéir à son pere. Pensez-y cependant. J'aime à prendre en toute occasion les voies de la douceur et de l'honnêteté quand j'espere qu'elles peuvent suffire; mais, si j'en veux bien user

avec vous, ne croyez pas que j'igrore comment se venge l'honneur d'un gentilhomme offensé par un homme qui ne l'est pas.

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EPARGNEZ-VOUS, monsieur, des menaces vaines qui ne m'effraient point, et d'injustes reproches qui ne peuvent m'humilier. Sachez qu'entre deux personnes de même âge il n'y a d'autre suborneur que l'amour, et qu'il ne vous appartiendra jamais d'avilir un homme que votre fille honora de son estime.

Quel sacrifice osez-vous m'imposer, et à quel titre l'exigez-vous? Est-ce à l'auteur de tous mes maux qu'il faut immoler mon dernier espoir? Je veux respecter le pere de Julie; mais qu'il daigne être le mien s'il faut que j'apprenne à lui obéir. Non, non, monsieur, quelque opinion que vous ayez de vos procédés, ils ne m'obligent point à renoncer pour vous à des droits si chers et si bien mérités de mon cœur. Vous faites le malheur de ma vie. Je ne vous dois que de la haine, et vous n'avez rien à prétendre de moi. Julie a parlé; voilà mon consentement. Ah! qu'elle soit toujours obéie! Un autre la possèdera; mais j'en serai plus digne d'elle.

Si votre fille eût daigné me consulter sur les bornes de votre autorité, ne doutez pas que je ne lui

cusse appris à résister à vos prétentions injustes. Quel que soit l'empire dont vous abusez, mes droits sont plus sacrés que les vôtres; la chaine qui nous lie est la borne du pouvoir paternel, même devant les tribunaux humains; et quand vous osez réclamer la nature, c'est vous seul qui bravez ses lois.

N'alléguez pas non plus cet honneur si bizarre et si délicat que vous parlez de venger; nul ne l'offense que vous-même. Respectez le choix de Julie, et votre honneur est en sureté; car mon cœur vous honore malgré vos outrages, et, malgré les maximes gothiques, l'alliance d'un honnête homme n'en déshonora jamais un autre. Si ma présomption vous offense, attaquez ma vie, je ne la defendrai jamais contre vous. Au surplus je me soucie fort peu de savoir en quoi consiste l'honneur d'un gentilhomme; mais quant à celui d'un homme de bien, il m'appartient, je sais le défendre, et le conserverai pur et sans tache jusqu'au dernier soupir.

Allez, pere barbare et peu digne d'un nom si doux, méditez d'affreux parricides, tandis qu'une fille tendre et soumise immole son bonheur à vos préjugés. Vos regrets me vengeront un jour des maux que vous me faites, et vous sentirez trop tard que votre haine aveugle et dénaturée ne vous fut pas moins funeste qu'à moi. Je serai malheureux, sans doute; mais si jamais la voix du sang s'éleve au fond de votre cœur, combien vous le serez plus encore d'avoir sacrifié à des chimeres l'unique fruit de vos entrailles, unique au monde en beautés, en mérite, en vertus, et pour qui le

eiel prodigue de ses dons n'oublia rien qu'un meil

leur pere!

BILLET

Inclus dans la précédente lettre.

Je rends à Julie d'Etange le droit de disposer d'elle-même, et de donner sa main sans consulter

son cœur.

S. G.

XII. DE JULIE.

Je voulois vous décrire la scene qui vient de se

E

passer, et qui a produit le billet que vous avez dû recevoir; mais mon pere a pris ses mesures si justes qu'elle n'a fini qu'un moment avant le départ du courier. Sa lettre est sans doute arrivée à temps à la poste; il n'en peut être de mème de celle-ci : votre résolution sera prise, et votre réponse partie avant qu'elle vous parvienne; ainsi tout détail seroit désormais inutile. J'ai fait mon devoir; vous ferez le vôtre: mais le sort nous accable, l'honneur nous trahit; nous serons séparés à jamais, et, pour comble d'horreur, je vais passer dans les..... Hélas! j'ai pu vivre dans les tiens! O devoir! à quoi serstu? O providence!... il faut gémir et se taire.

La plume échappe de ma main. J'étois incommodée depuis quelques jours; l'entretien de ce matin m'a prodigieusement agitée..... la tête et le cœur me font mal... je me sens défaillir... le ciel auroit-il pitié de mes peines ?.... Je ne puis me soutenir.... je suis forcée à me mettre au lit, et me console dans l'espoir de n'en point relever. Adieu, mes uniques amours. Adieu, pour la derniere fois, cher et tendre ami de Julie. Ah! si je ne dois plus vivre pour toi, n'ai-je pas déja cessé de vivre?

XIII. DE JULIE À MADAME D'ORBE.

Il est donc vrai, chère et cruelle amie, que tu me rappelles à la vie et à mes douleurs? J'ai vu l'instant heureux où j'allois rejoindre la plus tendre des meres; tes soins inhumains m'ont enchaînée pour la pleurer plus long-temps; et quand le desir de la suivre m'arrache à la terre, le regret de te quitter m'y retient. Si je me console de vivre, c'est par l'espoir de n'avoir pas échappé tout entiere à la mort. Ils ne sont plus ces agréments de mon visage que mon cœur a payés si cher; la inaladie dont je sors m'en a délivrée. Cette heureuse perte ralentirá l'ardeur grossiere d'un homme assez dépourvu de délicatesse pour m'oser épouser sans mon aveu. Ne trouvant plus en moi ce qui lui plut, il se souciera peu du reste. Sans manquer de parole à mon pere, sans offenser l'ami dout il tient la vie, je saurai rebuter cet importun :' ma bouche gardera le silence;

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