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sification des hommes. N'est-il pas révoltant de voir jeter au milieu des forçats relaps et des voleurs incorrigibles, un jeune homme prévenu, par exemple, d'avoir dansé au bal Musard un cancan un peu trop leste? (Un jeune homme appartenant à une famille honorable, prévenu d'avoir insulté un commissaire de police dans l'exercice de ses fonctions, était détenu à la Force il y a quelques mois, et pendant sa captivité préventive, qui fut très-longue, il eut successivement pour commensaux de la chambre qu'il occupait, Lacenaire, Lhuissier, Blard et Verninhac de Saint-Maur.)

Une prison spéciale devrait donc être destinée aux prévenus, et ils devraient y être aussi traités avec tous les égards compatibles avec l'intérêt et la sécurité de la société.

Il n'est pas nécessaire de répéter, pour la centième fois au moins, qu'il n'y a pas de règle sans exception; ainsi, comme malheureusement il n'existe que trop d'hommes incorrigibles, hommes qui semblent prendre à tâche de justifier toutes les préventions, on pourrait, si on le jugeait convenable, établir une distinction entre eux, et ceux qui paraîtraient mériter plus d'égards; mais quand bien même cette dis

tinction serait trop difficile à établir, je ne vois pas ce que l'humanité pourrait perdre si quelques grands coupables profitaient des soins qui seraient prodigués à des hommes peut-être innocens. ¿

Après les maisons d'arrêt, viennent les maisons de correction, destinées seulement aux condamnés qui n'ont à subir qu'un emprisonnement de moins d'une année. L'abus qui existe dans les maisons d'arrêt, existe aussi dans les maisons de correction; c'est-à-dire que tous les hommes y sont confondus; ainsi on trouvera des individus condamnés pour des fautes très-légères parmi des voleurs incorrigibles; il y a plus même, dans beaucoup de villes de province, la même prison sert à tous les usages; ainsi l'on trouvera réunis dans le même local, des voleurs, des forçats condamnés pour rupture de banc, des soldats, des détenus pour dettes, des enfans, et même des aliénés.

On ne sait vraiment quels termes employer pour flétrir la coupable incurie de l'autorité supérieure, qui laisse subsister un tel état de choses.

Depuis long-temps, et particulièrement durant les quelques années qui viennent de s'é

couler, les moralistes et les philantropes ont cherché les moyens d'améliorer le sort et l'état moral des prisonniers; mais, soit que leurs systèmes n'aient pu recevoir une application immédiate, soit parce que les moralistes avaient mal compris la question, toujours est-il que si l'on a fait quelque chose pour le bien-être physique des prisonniers, il reste encore beaucoup à faire, si ce n'est tout, pour leur bienêtre moral. On peut, je crois, expliquer ainsi la nullité des résultats des innovations essayées jusqu'à ce jour; les uns guidés par une philantropie peut-être trop indulgente, n'ont voulu voir dans les condamnés que les victimes d'un état social mal organisé, et dès-lors ils ont présenté pour être appliquées à tous les condamnés, certaines théories qui ne pouvaient recevoir qu'une application exceptionnelle; les autres, au contraire, ne veulent tenir aucun compte de la faiblesse de l'humanité et des circonstances qui pouvaient influer sur la destinée d'un homme, et plaçant pour ainsi dire un abîme entre un innocent et celui qui avait cessé de l'être, ont voulu bannir à jamais de la société tous ceux qui, suivant eux, devaient toujours en être les fléaux; la trop grande indul

gence de ceux qui ont cherché à expliquer les crimes par l'organisation actuelle de la société ou celle de l'individu, les a empêchés d'atteindre le but qu'ils s'étaient proposé, et la sévérité des autres le leur a fait dépasser. Les choses sont donc restées telles qu'elles étaient précédemment, et si les vieux abus sont moins visibles qu'autrefois, ce n'est point parce qu'ils n'existent plus, c'est seulement parce qu'on a le soin de les cacher davantage.

On a dit souvent que pour bien apprécier le résultat des lois, il serait à désirer que l'on pût étudier l'intérieur des établissemens destinés à ceux qui les ont violées, en vivant au milieu des prisonniers qui ne devraient pas se douter de cette captivité volontaire. Ce serait, en effet, le seul moyen d'apprécier, à sa juste valeur, l'efficacité des peines prononcées par les Codes; mais il est d'autant plus facile de concevoir l'impossibilité d'une semblable expérience, qu'il faudrait que le séjour que le philantrope se déterminerait à faire dans le bagne ou dans la prison qu'il voudrait étudier, fût assez long pour rendre complet l'examen des hautes questions qui se rattachent à notre législation criminelle et au régime actuel.

Les événemens de ma vie m'ont donné le triste avantage de pouvoir étudier, sur les lieux mêmes, les mœurs des prisonniers. Je soumets aujourd'hui aux hommes éclairés et impartiaux le résultat de mes observations, et je m'estimerai heureux si je puis appeler l'intérêt des véritables philantropes, sur des hommes qui en sont quelquefois plus dignes qu'on ne le pense.

Tous les peuples anciens savaient sans doute punir le crime, mais ils savaient aussi récompenser la vertu. Une couronne de chêne, une palme, était décernée à celui qui avait rendu à la patrie un service important, ou qui s'était dignement acquitté de tous ses devoirs. Les peuples modernes, que cependant l'expérience des siècles devrait avoir instruits, ont, il est vrai, des juges pour appliquer les lois, des geôliers, des argousins, et des bourreaux pour les exécuter. Mais ils n'ont pas, comme les anciens, des magistrats dispensateurs des récompenses publiques. La loi qui prononce la peine de mort contre l'assassin, ne devraitelle point récompenser le citoyen courageux qui, au péril de sa vie, sauve celle de son semblable. Si elle punit celui qui viole un des ar

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