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LE PRÉSIDENT.

<< N'avez-vous pas épousé la demoiselle Delard?

SARRAZIN.

« Ne parlons pas de la demoiselle Delard, c'est une demoiselle respectable. Sa famille est en pleurs. Tout le département du Lot est dans l'affliction, parce qu'on lui a enlevé un de ses plus vertueux citoyens : c'est là que je suis connu. Je n'ai jamais manqué à l'honneur.

(Icila Cour fit appeler la demoiselle Hutchinson, et le président lui dit :)

« En 1813, vous avez connu le général Sarrazin?

LA DEMOISELLE HUTCHINSON.

« Oui, monsieur.

LE PRÉSIDENT.

<<< Il vous a recherchée en mariage?

LA DEMOISELLE HUTCHINSON.

« Oui, monsieur.

LE PRÉSIDENT.

« Pourriez-vous nous dire ce qui s'est passé entre vous et lui à cette époque? ;

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LA DEMOISELLE HUTCHINSON.

<<< Les actes les plus sacrés ont consacré mon mariage.

LE PRÉSIDENT.

« Avez-vous vécu long-temps' avec lui?

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SARRAZIN.

<<< Cela est faux; elle m'a quitté parce qu'elle a été entraînée par ses galans, et j'en ai la preuve

écrite. »

Alors commencèrent les plaidoiries; mais, malgré le talent du défenseur, il était aisé de prévoir le dénoûment de ce drame. Enfin Sarrazin voulut user d'une dernière ressource, et au moment où les jurés se levaient pour se rendre dans la chambre de leurs délibérations, l'accusé leur fit remettre cette déclaration que je suis parvenu à me procurer pár la suite.

<< Messieurs les jurés, je vous déclare à la face du ciel et de la terre, comme si j'étais près de descendre au tombeau, que je n'ai jamais signé d'autre acte de mariage que celui de madame Sarrazin, née Delard, en date du 14 mai 1817. L'acte du prétendu mariage de Livourne a été fabriqué en 1810; il n'est pas revêtu de ma signature. Il en est de même du prétendu mariage de

Londres, comme on peut s'en convaincre en faisant venir les titres originaux, ainsi que la loi l'ordonne pour un procès civil, à plus forte raison pour un procès criminel. En cherchant à me faire condamner comme bigame, sur simples copies. d'actes argués de faux, mes ennemis veulent me punir de ce que j'ai quitté le camp de Boulogne en 1810, pour aller offrir mes services à Sa Majesté Louis XVIII. Mais, tôt ou tard, je serai vengé les défenseurs de la vérité, de la justice et de la loyauté. »

par

Malgré ces phrases, les jurés répondirent affirmativement sur la question de culpabilité, et Sarrazin fut condamné à dix ans de travaux forcés, à l'exposition, à dix ans de surveillance et à 40,000 fr. de dommages-intérêts envers la demoiselle Hutchinson. En entendant prononcer ce jugement il s'écria: «< Monsieur le président, je vous remercie : d'un général de terre vous faites un général de galères. Les habitans de Lot-et-Garonne se ressouviendront de votre impartialité : je ne vous dis que cela. >>

,

Il se pourvut aussitôt en cassation; mais son pourvoi fut rejeté, et quelques mois après l'exgénéral fut attaché au carcan.

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J'eus la curiosité d'assister à son exposition; il fit une résistance désespérée, et il fallut le por ter sur l'échafaud. Il y a cette similitude entre lui et moi, que l'exécuteur lui donna un siége, ainsi que, par humanité, on l'avait fait pour moi vingt ans auparavant.

<«< Français, s'écria-t-il, en s'adressant au peuple, voilà comme on traite un de vos plus anciens généraux!......»

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Lorsque cette exposition eut lieu, mademoiselle Hutchinson était retournée en Angleterre, et plus d'une année s'étant écoulée, j'avais presque entièrement oublié cette affaire, lorsqu'un soir m'étant rendu à la réunion des forçats libérés, je demeurai immobile de surprise en reconnaissant, parmi les nouveaux venus, le général Sarrazin. J'ignore comment il était parvenu à ré

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