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ont subi l'ascendant du sol sur lequel ils se sont établis. Ils ont cultivé, campé, vécu comme on avait fait avant eux. L'originalité de cette civilisation locale est restée inscrite sur la pierre, avec la durée que celle-ci imprime aux œuvres de l'homme. Les anciens cadres politiques mêmes se sont maintenus en grande partie. Les noms principaux des groupes établis avant l'époque romaine, Quercy, Périgord, Saintonge, ont persisté, comme il arrive là où les rapports locaux n'ont guère été modifiés par les influences extérieures.

CHAPITRE II

LA VIE MARITIME DU SUD-OUEST

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ES bandes calcaires se prolongent jusqu'à l'Océan. Comme les rides souterraines qui unissent le Limousin à la Vendée, comme les sillons de Bretagne, comme les accidents qui continuent à travers les plaines de la Garonne les Petites-Pyrénées, enfin comme les Pyrénées elles-mêmes, elles suivent la direction du Sud-Est au Nord-Ouest. Elles s'inclinent peu à peu, s'abaissent, gardent toutefois assez de hauteur pour se terminer en plateaux, au point où elles sont coupées transversalement par l'Océan. De hauts clochers de pierre blanche émergent, quelques-uns visibles de loin dans la mer. Le promontoire jurassique de l'Aunis s'avance comme un éperon entre les marais poitevins et la Petite Flandre charentaise, et a son prolongement dans l'île de Ré. Celui de Saintonge, entre la Charente et la Gironde, oppose aux assauts de la mer de dures parois de craie, chalk que le flot ronge pourtant, et il a aussi son prolongement insulaire. Entre les zones plus tendres, que l'affouillement a fait disparaître, ces barres de résistance sont l'ossature du littoral. C'est entre elles que, grains par grains, une pluie de fines particules argileuses se dépose, sous forme de ce limon bleuâtre appelé bri qui apparaît par plages immenses dans la mer de Saintonge. De nouvelles terres se construisent englobant d'anciennes îles, envasant les baies. Cependant le jeu des courants maintient libres certaines parties du littoral, où la permanence des établissements humains est relativement garantie et autour desquels a pu se fixer la vie maritime. Elle a toujours été active dans cet archipel des Pertuis, un des rares abris que l'orageux golfe de Biscaye laisse aux navires.

Brouage, dont Richelieu voulait faire le grand port de guerre français sur l'Océan, n'a pu se maintenir; sa citadelle domine aujour

LA CÔTE.

LA ROCHElle.

shait

PAYS GIRONDIN.

d'hui solitaire un horizon de marais. Mais La Rochelle continue sa vie historique. Sur sa mer jaunie, baignant une campagne poudreuse, avec ses falaises blanches visibles de loin, La Rochelle surveillait l'entrée des pertuis, l'accès des îles. Les marais, qui entourent au Nord et au Sud le plateau, l'isolent dans une sorte de domaine naturel. C'était bien la place marquée pour une république commerçante. Cet assemblage de golfes, de détroits, d'îles, de marais offrait un ensemble de conditions propices à une combinaison politique. Elle n'aurait pas manqué sur les rivages d'Italie ou de Grèce. L'importance historique de La Rochelle ne tient pas seulement au site local, mais à la disposition d'un littoral de plus en plus affranchi des attractions intérieures et projeté vers la mer. Les articulations insulaires qui continuent les plateaux de l'Aunis et de la Saintonge n'en sont pas un prolongement affaibli. La vie, au contraire, s'y concentre; la population s'y accumule en densité plus forte que sur le continent. Ré, Marans, et d'autres îlots aujourd'hui empâtés dans les alluvions, gravitent immédiatement autour de La Rochelle. Les appendices insulaires et péninsulaires de la Saintonge, Oleron, Arvert, Marennes formaient << l'ancien colloque des îles ». C'est par ces pays que cheminèrent dans ces régions les commencements de la Réforme. Asiles tour à tour et foyers de propagande, ces îles jouèrent vers le milieu du xvIe siècle un rôle que les mémoires de Bernard Palissy permettent d'entrevoir.

Le passé est très vivant dans la physionomie de La Rochelle. Ce petit port, jalousement enfermé entre deux grosses tours, a l'air d'attendre encore une attaque. Ces longues et basses arcades semblent prêtes à recevoir l'étalage de marchandises. Jusque dans cet Hôtel de Ville dont la façade sévère dérobe une cour pleine d'élégance, respire le contraste d'un passé guerrier dans une nature d'abondance et de grâce paisible. C'est l'histoire plus que la géographie qui a trahi La Rochelle. Comme d'autres villes de notre littoral océanique, elle est morte de notre rôle manqué par delà l'Océan. Le Canada avait été surtout l'œuvre d'un Saintongeais. Le continent américain parut ouvrir des perspectives illimitées. La Saintonge fut, avec la Normandie, l'une des deux provinces d'où partirent les efforts les plus sérieux pour assurer à la France un rôle dans les destinées du continent américain. Ailleurs ce fut surtout le commerce des îles qu'on exploita; d'ici on chercha à prendre pied sur le continent. L'Afrique nous rendra-t-elle l'équivalent de ce passé perdu?

Le magnifique estuaire dans lequel s'achève la Gironde a été de longue date préparé par des oscillations dans le domaine respectif de

la terre et de la mer. A diverses reprises, pendant l'époque tertiaire, des transgressions marines ont succédé à des périodes d'émersion. pendant lesquelles les eaux courantes avaient déjà façonné la première esquisse des vallées actuelles. Vers le milieu des temps tertiaires les empiétements de l'Océan atteignirent leur maximum d'extension. Un golfe, dirigé dans le même sens que les grandes lignes de structure qui sillonnent l'Ouest et le Sud-Ouest de la France, entailla profondément les plaines d'Aquitaine. C'est lui qui déposa dans les anfractuosités précédemment creusées par les eaux, ces calcaires ' qui, soit dans les constructions, soit dans les cultures, influent profondément sur la physionomie du paysage girondin. Ils découpent, au nord-est de Bordeaux, les coteaux de Lormont; ils couronnent les plateaux de l'Entre-deux-Mers; ils se prolongent, visibles sur les flancs, parfois éventrés par les carrières, dans la vallée de la Garonne jusqu'au delà de Marmande, et dans celle de la Dordogne jusqu'au delà de Sainte-Foy-la-Grande. Aussitôt que paraît cette formation ou qu'elle se rapproche de la surface, la contrée prend un aspect nouveau, monumental. Lorsque du pays de la brique et du Toulousain on se rapproche du Bordelais, on ressent quelque chose de l'impression qu'on éprouve en passant de Picardie ou de Champagne dans l'Ilede-France les maisons s'élèvent, les monuments se multiplient.

D'une autre manière encore, les linéaments futurs de la contrée ont été préparés par cet ancien golfe. L'allongement d'un bras de mer, s'avançant suivant les sillons déjà tracés, a engendré au profit de la Garonne les mêmes conséquences que, pour la Loire, la pénétration marine qui a répandu les faluns jusqu'en Touraine 2. Les rivières, attirées vers le niveau de base correspondant à l'extrémité supérieure de ces anciens golfes, convergent et semblent se donner le mot pour se réunir. De Bordeaux au confluent du Lot, et de Bordeaux à Coutras, dans un rayon qui ne dépasse guère 50 kilomètres, on compte six confluents importants de rivières. Un double faisceau fluvial vient se nouer; et par la large embouchure qui est commune à la Garonne et à la Dordogne, la marée pénètre d'une part jusqu'à Langon, de l'autre jusqu'à Libourne.

Bordeaux est donc un emporium maritime. Mais c'est aussi un lieu de passage. Le site qu'il occupe est le dernier point de terre ferme qui s'offre en descendant la rive gauche du fleuve. Plus bas l'énorme élargissement de l'estuaire, les marais qui le bordent, forment barrière. Blaye, sur la rive droite, fut longtemps la dernière ville de France, comme elle est encore la dernière de langue d'oïl. Entre 1. Calcaires à astéries (système oligocène).

2. Voir carte 26, page 163.

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Saintonge et Médoc il y a comme une faille dans l'unité française; hommes, costumes et maisons diffèrent comme le pays. Le site de Bordeaux permet de tourner en partie l'obstacle. Les routes du Périgord et du Poitou s'y croisent sans trop de peine avec celles de la Garonne et des Pyrénées.

C'est un point attractif. De l'Agenais et du Périgord, le Lot, le Dropt, la Garonne, la Dordogne, l'Isle, la Dronne font confluer les produits de leurs bois, de leurs vignes, de leurs arbres fruitiers. Vers Saint-Macaire sur la Garonne, ou, sur l'autre « mer », vers Castillon et Libourne commençait la zone d'ancienne clientèle bordelaise, la rangée de villes filleules de la puissante commune. Cependant l'aire continentale qui gravite autour de l'emporium est restreinte. La navigation fluviale ne remonte pas haut. Il n'y eut jamais ce puissant réseau de navigation intérieure qui se noue à Paris ou à Rouen, qui brasse et mêle profondément la vie d'un large bassin.

Il semble que Bordeaux ait toujours conservé quelque chose de ce qu'il fut à l'origine, une colonie. Un essaim de Gaulois Bituriges était venu occuper cet emplacement privilégié en plein pays aquitain. Ce fut dès l'antiquité romaine un endroit où l'on accourt de très loin pour faire le commerce. On a remarqué avec raison que l'élément étranger eut toujours une grande importance dans le commerce de Bordeaux. Anglais, Écossais et Flamands, Juifs venus d'Espagne, Béarnais, Cévenols ou hommes du Massif central ont tour à tour, suivant les époques, ou simultanément, influé sur la vie économique de Bordeaux. Il faut ajouter, comme trait caractéristique, qu'ici la ville a transformé la campagne. Ce qui en fait la parure et le renom est un a produit cultivé en vue du commerce maritime, depuis le temps de la domination anglaise. Il s'est développé à la façon de ces cultures d'exportation qu'une métropole cherche à introduire dans ses colonies. C'est pour le trafic d'outre-mer que les pampres s'allongent en longues règues; comme c'était surtout pour les peuples du Nord que le sel était élaboré dans les marais de la Seudre et de la Charente.

beaut

LES DUNES

ET LA CÔTE
BASQUE.

Dès l'extrémité de l'estuaire de la Gironde commence une côte inhospitalière qui s'allonge, rectiligne, pendant 234 kilomètres vers le Sud. Elle n'a pas toujours été aussi dépourvue d'abri qu'elle l'est aujourd'hui; des ports y ont eu une existence temporaire : celui de Vieux-Soulac près de la Pointe de Grave, un autre port au débouché de l'étang de Cazau', enfin Cap-Breton et Vieux-Boucau sur d'anciennes embouchures de l'Adour. Mais l'allongement incessant des dunes par l'apport des sables, qu'un courant littoral range du Nord

1. Ce port est celui que les anciennes cartes désignent sous le nom d'Anchise.

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