Images de page
PDF
ePub

un parti armé qui la combat, et un peuple désarmé et malheureux qui la craint. >>

Ce manifeste comminatoire est du 26 décembre, et il est adressé aux généraux Almonte et Salas, régents de l'Empire. Mais Mgr Labastida, ayant une fois pris la plume, ne devait pas en rester là. Des écrits anonymes et clandestins furent répandus à profusion; ils provoquaient le peuple mexicain à la révolte, et dénonçaient « les deux généraux-régents, Almonte et Salas, ainsi que l'intervention, comme les ennemis les plus acharnés de la religion et de l'ordre. » M. le général Neigre, commandant de Mexico en l'absence du général Bazaine, crut devoir s'en plaindre à l'archevêque dans une lettre qui n'a rien de remarquable, si ce n'est cette expression que j'ai lue avec un étonnement mêlé d'orgueil : « La religion catholique, dont nous, Français, sommes les fils aînés..... » Je savais bien que le souverain de la France s'intitulait «< fils aîné de l'Église, » mais je n'avais jamais compris, jusqu'à ce jour, que la souveraineté, en devenant populaire, avait donné à chaque Français une part de primogéniture. L'Église, dira-t-on, peut-elle avoir tant de fils aînés? Il n'en faut pas douter : elle a fait bien d'autres miracles.

Mgr. l'archevêque de Mexico répondit qu'il ne connaissait pas les écrits en question, et demanda au général de vouloir bien lui en adresser un exemplaire; mais il profita de l'occasion pour déclarer de nouveau que « l'Eglise supporte aujourd'hui les mêmes atteintes qu'elle a eu à supporter pendant le gouvernement de Juarez, que jamais elle ne s'était vu persécuter avec tant d'acharnement, et que, d'après la position que l'on venait de faire au clergé, il se trouve dans une situation pire qu'à cette époque. » M. le général Neigre s'empressa de fournir un exemplaire de l'écrit; et l'archevêque, après en avoir pris connaissance, en accusa réception par une nouvelle lettre où se trouve cette phrase curieuse :,« Il est hors de doute que je suis dans la meilleure disposition pour tenir aux fidèles le langage dicté par mon devoir pastoral au sujet de tels écrits, mais seulement dans le cas où la censure de la presse serait levée... »

C'est chose instructive, on l'avouera, de voir l'archevêque de Mexico réclamer avec instance la liberté de la presse, du jour où il se croit opprimé, et il est plus instructif encore, peut-être, de voir ce que l'on gagne à mettre le doigt, ou le sabre, entre l'arbre et l'écorce. Voilà donc la reconnaissance que nous obtenons, après tant de sacrifices d'hommes et d'argent! Faut-il s'étonner que l'archiduc Maximilien ne se montre pas impatient de recueillir notre succession, et qu'il ne soit pas fâché de laisser les nombreux << fils aînés de l'Église » vider leur querelle avec leur mère avant son arrivée?

En attendant, un décret institue une commission chargée d'organiser une expédition scientifique au Mexique. Ce décret est précédé d'un immense rapport de M. le ministre de l'instruction publique, qui énumère, dans un style très-imagé, les avantages qui doivent découler de cette expédition. Les résultats, selon lui, seront incalculables pour l'art, l'histoire, la physique, la météorologie, l'anthropologie et la botanique, et dépasseront peut-être ceux qu'obtint la petite colonie de savants qui suivit, il y a soixante-dix ans, le général Bonaparte en Égypte. Mais il est surtout un petit paragraphe de trois lignes, perdu au milieu de ce vaste rapport, qui m'a fait battre le cœur: « Les milliards que depuis trois siècles le Mexique a livrés à l'Europe ne sont que les premiers des trésors qu'il lui réserve. » J'ai pensé tout de suite à ce pauvre M. Fould, et à sa note qui était de deux cent treize millions au mois de janvier dernier. Des. milliards qui ne sont que des prémices..... songez donc !

Je cherche dans mes souvenirs un sujet qui me permette de terminer cette Revue d'une façon qui ne soit pas trop grave, et je me heurte à deux tombes: celle de Carnot et celle de Voltaire. Je n'ai décidément pas la plume heureuse aujourd'hui. Au sujet de la tombe de Carnot il y a peu de chose à dire. Le Moniteur avait publié une note pour apprendre au public que l'Empereur, ayant su que le cimetière où reposent à Magdebourg les restes de Carnot devait être déplacé, en avait conçu de l'inquiétude, et avait cru devoir prendre des précautions pour que le corps de « l'organisateur de la victoire » ne fût pas jeté à la fosse commune. Le journal officiel ajoutait que cette inquiétude s'était trouvée mal fondée, puisque le conseil municipal de Magdebourg avait déclaré spontanément, et longtemps avant la réclamation du gouvernement français, que la tombe de Carnot serait inviolable à perpétuité. Les gouvernements n'ayant pas d'ordinaire l'habitude de raconter leurs méprises au public, on n'a pas très-bien compris pourquoi cette communication avait été faite. Elle a naturellement provoqué une réclamation de la part de M. H. Carnot, dont le respect pour la mémoire de son père ne saurait être mis en doute. Les électeurs de Paris en concluront, peut-être, que s'ils ne nomment pas M. Carnot pour leur représentant, ils feront bien, puisque le gouvernement l'a soupçonné d'être capable de laisser jeter les restes de son père à la fosse commune; et que si, par hasard, ils le nomment, ils feront bien encore, puisqu'il est le fils de celui que le gouvernement voulait faire enterrer à ses frais.

Les fils de Voltaire, s'il s'en trouve encore dans ce siècle converti, ne doivent pas se sentir aussi rassurés. S'il faut en croire un récit publié récemment dans le journal l'Intermédiaire, et signé P. L. Jacob,

bibliophile (Paul Lacroix), les ossements de Voltaire et de Rousseau auraient été retirés, en 1814, de leurs cercueils de plomb par de trop zélés catholiques, et jetés, la nuit, dans une fosse creusée au milieu d'un terrain vague, près de la barrière de la Gare. L'auteur de ce récit dit le tenir d'un sien ami, qui l'avait entendu de la bouche de M. de Puymorin, directeur de la Monnaie. M. de Puymorin aurait assisté lui-même à cette violation de sépulture. Il serait facile de constater si cet outrage a été commis, en faisant ouvrir les tombes du Panthéon. Le bruit court que la chose a été faite, et que le cercueil de Voltaire s'est trouvé vide.

Je m'étais proposé de parler un peu en détail des nombreux entretiens et lectures de toutes sortes qui ont occupé, dans ces derniers temps, le public parisien mais il faut finir. Les conférences de la salle Barthélemy, en faveur des blessés polonais, ont un succès toujours croissant. Les lecteurs de la Revue peuvent juger, d'après les deux entretiens que contient le présent numéro, de l'intérêt que doivent offrir ces séances à une foule avide de s'instruire. Le talent des hommes distingués qui se sont dévoués à cette tâche utile, suffirait pour expliquer le succès, indépendamment de la sympathie populaire qu'excite toujours un appel en faveur de la cause polonaise.

H. DE LAGARDIE.

REVUE DES THEATRES

LE MARQUIS DE VILLEMER

C'était fête l'autre soir à l'Odéon on allait jouer une pièce de madame Sand. Pour que la fête fût complète, à l'intérêt littéraire se joignait l'attrait du danger; les dévots amis de la pleurnicheuse Sibylle se préparaient, disait-on, à punir les méfaits de mademoiselle La Quintinie; une inquisition au petit pied voulait faire un auto-da-fé d'un nouveau genre, et, ne pouvant brûler l'auteur en place publique, se donnerait du moins la joie de siffler stupidement son œuvre sans l'entendre; comme on pensait bien que la jeunesse des écoles ne laisserait pas un parti qui compte peu d'adeptes dans son sein, remporter sans peine une si triste victoire, on s'attendait à voir se renouveler les soirées fameuses de Germanicus et d'Hernani. Aussi la foule était-elle grande non-seulement dans la salle, mais encore sur la place du théâtre et même dans les rues voisines. Un étranger qui aurait traversé ce soir-là ces quartiers d'ordinaire si paisibles aurait cru que les Parisiens célébraient une fête publique ou préparaient une émeute.

Il n'y a eu pourtant ni sifflets ni combat. Les adversaires de l'auleur se sentant trop faibles pour espérer la victoire, avaient, au dernier moment, renoncé à la lutte; ses amis, restés maîtres du champ de bataille, ont, le premier soir, acclamé à vingt reprises le triomphateur et sont revenus le lendemain célébrer leur succès en chantant pendant les entr'actes un Te Deum emprunté au missel de Béranger. La nouvelle comédie de l'auteur de François le Champi, de Claudie, du Pressoir, et du Mariage de Victorine, n'avait pas besoin de ces cir

constances exceptionnellement favorables, pour obtenir un grand et légitime succès.

La plupart des écrivains et des artistes n'ont dans leur vie qu'une seule conception de leur art, qu'un seul type idéal sur lequel ils modèlent toutes leurs œuvres; après la période d'apprentissage où ils expriment d'une façon de jour en jour moins incomplète cette idée type qu'ils portent en eux, ils arrivent à l'apogée de leur talent et créent pendant quelques années un certain nombre d'ouvrages supérieurs, puis le moule dans lequel ils coulent leurs pensées s'use, les vives arêtes s'émoussent, les contours s'amollissent, ils n'en peuvent plus tirer que des répétitions de plus en plus faibles des œuvres auxquelles ils ont dû leur gloire. Quelques rares génies ont seuls fait exception à cette loi; Raphaël et Beethoven ont chacun par deux fois renouvelé leur conception de la beauté. Comme ces artistes immortels, madame Sand a eu trois manières : elle débute par une série d'œuvres grandioses, mais troublées, violentes, où la passion est aussi désordonnée que l'art est parfait. Puis vient une période de repos et de sérénité pendant laquelle elle fait succéder à ces scènes haletantes et désordonnées de la vie mondaine, les peintures enchanteresses de la vie rustique idéalisée par sa poétique imagination. Enfin, quand la paix des champs a ramené le calme dans son esprit et le repos dans son cœur, elle rentre paisible et souriante dans les riches demeures des heureux du monde : désormais elle les observe avec plus de loisir et les peint avec des touches plus justes; ses héros vivent toujours dans le monde poétique qu'elle a créé, mais plus près des frontières du monde réel; leurs passions sont encore profondes, mais elles les entraînent plus rarement au delà des barrières que leur impose la société. Le marquis de Villemer est dans cette troisième manière de George Sand ce que la Mare au Diable est dans la seconde, ou Valentine dans la première, c'est-à-dire l'œuvre la plus parfaite, celle qui réalise le plus complétement l'idéal conçu par l'artiste à chacune de ces époques de sa vie.

Il n'est personne dans le public lettré qui n'ait lu, et peut-être même relu plusieurs fois, ce merveilleux roman. Qui ne se rappelle cette charmante marquise, si bonne, et en même temps si invinciblement attachée aux idées étroites de sa caste? Qui a oublié le fils aîné de la marquise, le duc d'Aléria, ce viveur séduisant, ce prodigue irrésistible, dont les vices élégants valent mieux que toutes les plates vertus des sots? Tant qu'il est loin, on gémit de ses folies, on se désole des ruines qu'il a causées. Il paraît: aussitôt il semble que le soleil pénètre dans le vieux et triste hôtel de sa mère; la bonne mar

« PrécédentContinuer »