Images de page
PDF
ePub

relief et ravivé l'hydrographie. Le Massif central semblait définitivement émoussé par l'usure des âges, lorsque le contre-coup des plissements alpins y dressa des reliefs, y éveilla des volcans.

Puis, à peine l'œuvre de consolidation de nos grandes chaînes actuelles, à travers une série d'efforts et d'avortements, était-elle achevée, que la destruction en avait commencé. De ces chaînes qui n'ont été ébauchées que pour disparaître, ou de celles qui ont résisté mais en cédant chaque jour aux agents destructeurs une partie d'elles-mêmes, les torrents, les glaciers, enfin les rivières actuelles firent leur proie. Elles ont entraîné au loin des masses de débris Longtemps on n'a pas apprécié à sa valeur l'importance de ces destructions. On sait maintenant que ce sont des débris de ce genre qui, au pied des Pyrénées et des Alpes, du Massif central et des Vosges, ont constitué des sols tels que les chambarans du Dauphiné, les boulbènes de Gascogne, les nauves de la Double, les brandes du Poitou, etc.

Ces variétés de sol se combinent avec des variétés non moins grandes de climat pour composer une physionomie unique en Europe.

En France, comme en Allemagne et en Italie, on pose volontiers l'antithèse du Nord et du Midi. C'est le moyen d'étiqueter sous une formule simple des différences très réelles. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir que, chez nous, cette division se subdivise et se décompose en un plus grand nombre de nuances diverses que partout ailleurs.

VARIÉTÉ

DU MIDI DE LA FRANCE.

Il faut distinguer d'abord le Midi du Sud-Est ou méditerranéen du Midi du Sud-Ouest ou océanique. C'est surtout l'image du pre- DANS LA NATURE mier, qui, lorsque nous parlons du Midi, se présente à notre esprit : la plus tranchée et, suivant le mot de Mme de Sévigné, la plus excessive. Cependant, il suffit qu'on s'éloigne de Narbonne d'une cinquantaine de kilomètres vers l'Ouest, pour que l'olivier, ce compagnon fidèle de la Méditerranée, disparaisse. Un peu plus loin cessent les tapis de vignes qui couvrent aujourd'hui les plaines : des champs de blé et de maïs, des bouquets, puis de petits bois de chênes-rouvres composent peu à peu un paysage de tout autre physionomie. C'est qu'insensiblement, en s'éloignant de la Méditerranée vers Toulouse, on passe de la région de pluies faibles et surtout inégalement réparties à une région de pluies plus abondantes, mieux distribuées qui, dans le Haut-Languedoc, le Quercy, l'Agenais, l'Armagnac, offrent un maximum au printemps. La transition est graduée : l'augmentation des pluies d'été, si rares sur le bord de la Méditerranée, déjà sensible à Carcassonne, se dessine nettement entre cette dernière ville et Toulouse. Graduellement aussi, mais plus loin vers l'inté

rieur, s'amortit la violence des vents, dont le choeur bruyant se démène autour de la Méditerranée. Le sol mieux lubréfié, moins balayé, se décompose en un limon tantôt brun, tantôt jaune clair. Le maïs, qui a besoin des pluies de printemps, dispute la place au blé. Il y a donc au moins deux Midis dans le Midi. Celui de la Méditerranée, du Roussillon, du Bas-Languedoc, de la Provence calcaire est le plus accentué, surtout par l'empreinte que l'été imprime au paysage. Lorsque les campagnes ont supporté plusieurs semaines de sécheresse, une centaine de jours consécutifs de température supérieure à 20 degrés, qu'un manteau de poussière couvre tout, on a un instant cette impression de mort qui s'associe à l'été dans certaines mythologies de l'antiquité et du Mexique. L'humidité s'est réfugiée dans le sous-sol, où de leurs longues racines les arbres et arbustes vont la chercher. Les rivières dérobent leurs eaux sous un lit de galets. Sur les coteaux rocailleux il ne reste rien de la floraison riche et variée qui a éclaté au printemps. Mais les pluies cycloniques qu'amène généralement la dernière moitié de septembre mettent fin à cette crise de l'année. Octobre et novembre sont dans notre région méditerranéenne les mois pluvieux par excellence. Avec la fin de l'été se ravivent les brusques contrastes de température, dont l'influence parfois perfide, mais en somme plutôt tonique et raffermissante, est un des caractères de notre climat provençal.

Partout où la ceinture montagneuse règne autour de la Méditerranée, la transition du paysage est très brusque. Le contraste est complet à travers nos Cévennes : Karl Ritter, dans une de ses lettres de voyage, note combien, allant en diligence de Clermont à Nimes, ce changement rapide le frappa. Au contraire, dans la vallée du Rhône ce spectacle se morcelle et se multiplie. C'est successivement que les formes végétales méditerranéennes prennent congé : l'olivier vers les gorges de Viviers, le chêne vert au delà de Vienne; le mûrier au pied du Mont d'Or lyonnais, à peu près au point où les vignes d'espèces bourguignonnes, gamay, pineau, etc., se substituent aux plants qui rôtissent sur les coteaux du Rhône. Mais encore plus loin on trouverait quelques émissaires de la végétation méditerranéenne blottis à l'abri des escarpements calcaires du Jura méridional. De même, par la région des Causses, l'amandier, se glissant dans les replis des vallées, pénètre jusqu'à Marvejols; le chêne vert jusqu'à Florac et même s'avance aux environs de Rodez. Il semble que la végétation méditerranéenne, soit douée, sous l'influence du climat actuel, de force envahissante, et que les roches calcaires, par leur chaleur et leur sécheresse lui facilitent la marche vers le Nord.

Mais vers Grenoble déjà, vers Vienne, le cadre et le tableau ont

changé. Le soleil d'août, qui dessèche les vallées pierreuses de la Durance, fait étinceler dans la verdure celle du Graisivaudan. La prairie se mêle à la vigne et aux arbres fruitiers. La forêt couvre les massifs de la Grande-Chartreuse et du Vercors. Le feuillage clair du noyer s'épanouit dans un air humide quoique encore baigné de lumière. C'est que nous entrons dans la zone des étés mouillés, où l'été devient, suivant le régime de l'Europe centrale, la saison qui apporte la plus grande quantité de pluie. Ce sont les conditions qui règnent en Suisse, dans la Basse-Auvergne, et qui font de la Limagne un verger.

Lyon n'échappe pas entièrement au Midi; il en a surtout les brusqueries de température, la bise, d'assez fortes amplitudes dans les différences de chaud et de froid. En somme, pourtant, une note plus septentrionale domine dans le paysage. Cet aspect, déjà sensible dans le Bas-Dauphiné, plus accentué dans la Dombes, résulte surtout de la composition du sol. L'empreinte des anciens glaciers n'a pas disparu. Sous forme de dépôts boueux, de graviers et cailloutis, de limon décalcifié, d'argiles épaisses, les éléments triturés des anciennes moraines constituent au seuil du Midi « des terres froides » aux fréquents brouillards. La Bresse même, que les glaciers n'ont pas atteinte, a un sol imperméable où le voisinage de l'eau se devine à la fréquence des arbres, des « buissons », des prés, qui, avec les champs dont ils sont surmontés, se confondent en été dans un poudroiement de verdure.

La variété dans la France du Nord n'est pas moindre, mais elle est autre. Elle est faite de nuances, plus que de contrastes; elle se fond dans une tonalité plus douce.

Le relief se montre dans le Nord plus uniforme. Pour peu que l'œil se soit habitué aux formes du Midi, il y a comme une impression de regret, une lueur de tristesse à laquelle peu de voyageurs échappent, dès qu'ils ont franchi le Massif central, devant la continuité des lignes et l'alanguissement des horizons.

VARIETE DANS

LA NATURE
DU NORD

LA FRANCE.

INFLUENCE

LA FRANCE

DU NORD.

Il résulte de cette uniformité de relief plus d'homogénéité dans le climat. C'est surtout de la France du Nord qu'on peut dire qu'elle OCÉANIQUE DANS est au veni par rapport à l'Atlantique. Les dépressions barométriques dont, en hiver, l'Atlantique-Nord est le foyer, obéissent dans leur mouvement de translation vers l'Est à des trajectoires qui rencontrent généralement l'Irlande et la Norvège; mais l'ébranlement causé par ces tourbillons d'air humide et tiède se communique jusqu'à la Bretagne. C'est de là qu'à partir d'octobre, époque où ce régime a coutume de s'établir dans le Nord-Ouest de l'Europe, les pluies cycloniques ne tardent pas à gagner toute la France du Nord.

VARIÉTÉS DUES

A L'ORIENTATION
ET AUX DIFFE-

RENCES DU SOL.

De la Bretagne aux Vosges les mêmes perturbations, se propageant sans obstacles, amènent averses, grains ou pluies fines; les rivières entrent en crues en même temps. Le vent Sud-Ouest charrie pardessus les plateaux de Bourgogne et de Lorraine ses colonnes de nuées noires.

La partie septentrionale de notre pays est donc celle où se fait sentir surtout l'atténuation anormale du climat. Elle est, sinon sur le passage ordinaire, du moins dans le voisinage immédiat des dépressions qui créent en hiver le climat océanique. Tandis que, dans l'intérieur du continent, une zone de hautes pressions et de froids s'avance fréquemment de la Russie méridionale et de la Pologne jusqu'en Bavière, en Suisse et même au delà, le Nord de la France reste le plus souvent en dehors de cette « dorsale »; il échappe ainsi aux rigueurs du climat continental. Il est rare qu'à l'Ouest du Rhin la gelée se prolonge avec continuité plus de quelques jours. Si nos hivers ternes et nébuleux ont leur tristesse, du moins le mouvement de l'eau, la verdure persistante de nombre de plantes y conservent l'image ou l'illusion de la vie. Dès que reviennent les températures propices au développement de la végétation, le cycle de vie recommence, ménageant à la plante jusqu'à sept mois, ou même huit mois dans les vallées de la Loire, pour parcourir les phases de son existence. Certes plus d'une fois la précocité est punie. Mais en somme l'effet est de répartir sur une très grande partie de l'année la possibilité des occupations agricoles, de multiplier les occasions et les genres de cultures.

Imaginez maintenant dans ce cadre de la France du Nord tout ce qu'un climat changeant et une grande variété de sol peuvent produire de nuances Car ici plus encore qu'ailleurs, c'est par additions ou soustractions successives, par des touches tour à tour tentées et reprises, que procède le changement de la nature vivante. Le printemps apparaît plus tôt dans la vallée du Rhin que dans le reste de l'Allemagne, et plus tôt dans l'Ile-de-France que dans la vallée du Rhin. Par plusieurs traits la Lorraine continue à tenir de l'Europe centrale : les pluies d'été y sont bien marquées; les plateaux rocailleux de Lorraine et de Bourgogne leur doivent la conservation de leurs forêts, qu'il est si difficile de faire revivre une fois détruites. Ce que l'Est doit encore à sa position plus continentale, c'est une plus longue durée de ces automnes lumineux, qui aident la vigne à mûrir. Située vers la limite des influences continentales et maritimes, encore sensible aux influences méridionales, la contrée entre le Rhin et Paris tire de cet état d'équilibre instable une sensibilité plus fine pour réfléchir les moindres variétés d'altitude, d'orientation et de sol.

De là, des touches très variées de physionomie. Telles, par exemple, les différences qu'on observe entre les versants sur lesquels montent les vents pluvieux de l'Ouest, et les versants opposés. Les escarpements calcaires du Mâconnais, avec leurs tons clairs, leurs pierrailles croulantes qu'enveloppe une végétation finement ciselée de liserons et de lianes, évoquaient chez Lamartine des images de Grèce. En effet, entre l'humide Bresse et les ternes plateaux de l'Auxois, ces lignes de coteaux étalés vers l'Est ont quelque chose de lumineux qu'on ne reverra plus. Toujours à la faveur d'une pareille orientation, le châtaignier et même l'amandier s'avancent jusque dans les plis des vallées d'Alsace. Les flancs orieniaux des côtes lorraines s'évasent en cirques, dans lesquels la lumière et la chaleur réfléchies font mûrir des vignes. Ils abritent près de Metz de véritables vergers. Et jusqu'au pied de l'Ardenne, qui les protège du vent du Nord, se prolongent les belles cultures amies du soleil : vignes, fruitiers, noyers, associés à une végétation qui, par la multiplicité et l'élégance des formes annonce déjà, ou rappelle encore le Midi.

Les géographes-botanistes remarquent que parmi les principaux agents qui influent sur la végétation, eau, chaleur et sol, c'est dans les climats de transition que le sol gagne surtout de l'importance : l'observation s'applique bien à la France du Nord. Celui qui la traverse dans le sens des latitudes, soit par exemple de Metz à Reims, ou de Nancy à Paris, voit bientôt, dans le Porcien, l'Argonne, le Perthois, le Vallage, succéder une autre nature à celle des plateaux et des côtes calcaires. La vigne s'éclipse momentanément. Le foisonnement des arbres, tantôt massés en forêts, tantôt épars dans les haies, les enclos et les champs, l'association du genêt, du bouleau et de la bruyère dans les parties incultes, les étangs et noues dont des sentiers toujours gluants dénoncent les approches: tout semblerait indiquer un autre climat. Il n'en est rien cependant; ce changement résulte uniquement de l'apparition d'une étroite, mais longue bande d'argiles qui va des bords de l'Oise à ceux de la Loire, de la Thiérache à la Puisaye, et où il est aisé de reconnaître encore une des plus grandes lignes forestières de la France d'autrefois.

On sait que dans la France du Nord les différentes couches de terrain présentent une disposition concentrique autour de l'Ile-deFrance. Quand on vient de l'Est vers Paris la nature du sol change ainsi presque à chaque pas. Cette disposition favorise ces évocations alternantes de Nord et de Sud. L'œil perd et retrouve tour à tour les caractères qu'il est habitué à associer à ces deux mots. Ces alternances ne prendront fin qu'à mesure que le rapprochement de la

« PrécédentContinuer »