Images de page
PDF
ePub

quelle l'Église s'oppose avec tant de force à ces unions, ou cherche à les faire tourner à son avantage (1). Vaines tentatives! La nature est plus forte que l'intolérance catholique. Quand la raison se trouve en conflit avec la superstition, il arrive parfois que les ténèbres l'emportent, mais la lumière finira par dissiper les nuages qui s'amoncèlent pour l'étouffer, car la lumière est indestructible: c'est elle qui est appelée à régner sur le monde et non les ténèbres.

Continuons à écouter le chanoine Hirscher. Il demande s'il faut tenir compte des vœux qui se manifestent pour une réforme, et s'il leur faut donner satisfaction. Il répond que l'Église y répugne. Le clergé trouve naturellement que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ce n'est pas mauvais vouloir, c'est plutôt ignorance: élevé loin des laïques, et ne se mêlant pas à eux dans la vie sociale, il ne connaît pas leurs besoins et leurs désirs. Si on laissait un libre cours à l'opinion publique, on verrait combien les vœux pour une réforme sont unanimes et pressants. Est-il juste, est-il prudent de les méconnaître? Il faut avant tout prendre en considération les demandes de ceux qui ont encore la foi, qui sont encore membres de l'Église. Si on ne les satisfait point, qu'arrivera-t-il? Le danger de leur défection est imminent; il suffira d'un nouveau Luther pour les entrainer au schisme, et quand il ne s'élèverait pas de réformateur, le mal n'en serait que plus grand; car, séparés intérieurement de l'Église, ils tomberont ou dans un mysticisme dangereux, ou dans l'indifférence et l'incrédulité. Quant à ceux qui sont déjà infidèles ou incrédules, faut-il les dédaigner? faut-il les abandonner, comme le veulent les zélés? Tel n'est point l'avis de l'honnête chanoine dont nous exposons les sentiments. Ces tièdes chrétiens ont un prétexte; il faut le leur enlever. D'ailleurs leur opposition a un fondement sérieux; il y a des abus, il y a des vices, il y a des superstitions; si on les laisse subsister, malgré toutes les réclamations, ne donne-t-on pas gain de cause aux ennemis de l'Église et de la religion? On se prévaudra des maux reconnus comme tels par

(1) Das Reich Gottes und Staat und Kirche, pag. 3-6. (C'est une des mille brochures qui ont paru sur le démêlé qui existe entre l'Église et l'État dans le grand-duché de Bade. Elle se distingue par une grande modération.)

tous, et auxquels on refuse de porter remède, pour attaquer toutes les institutions de l'Église, et pour ruiner le christianisme (1).

Certes, on ne peut rien dire de plus sage ni de plus modéré. Quel accueil l'Église fit-elle à ces modestes réclamations? La brochure du chanoine allemand fut mise à l'Index par les éminentissimes seigneurs qui sont occupés à régenter l'esprit humain dans le monde entier. Cela ne suffit point. Un prêtre haut placé avait osé, sinon réclamer des réformes, du moins dire qu'une partie considérable parmi les catholiques d'Allemagne en demandaient, et il avait eu la témérité de dire qu'à son avis il fallait faire droit à ces exigences. Il y eut une foule de réfutations, toutes anonymes, et les unes plus haineuses que les autres, comme pour constater que le fiel est toujours l'élément essentiel de l'âme des dévots. Le chanoine Hirscher ne se laissa pas intimider par l'Index; il y était en bonne compagnie, avec Pascal, et même avec des jésuites, tels que le cardinal Bellarmin. Quant aux pamphlets que la charité cléricale vomissait contre lui, il y répondit avec la même modération qu'il avait mise à exposer les vœux des fidèles. Nous le laissons parler (2):

« Je croyais avoir rempli un devoir et fait une bonne œuvre, en publiant ma brochure. En voyant les passions déchaînées contre moi, je me demande quel est mon crime? L'incrédulité, l'hostilité contre le christianisme vont tous les jours croissants. Effrayé des progrès du mal, je me suis mis à réfléchir sur les moyens d'arrêter la désertion et l'apostasie. Les classes supérieures sont devenues indifférentes à l'Église et à la religion; et dans les classes inférieures, il n'y a rien que des observances matérielles. N'y aurait-il pas moyen de réveiller le sentiment religieux chez les uns et de faire naître la vie de l'âme chez les autres? Je n'ai jamais douté que l'Église n'eût la force de vaincre l'indifférence et la torpeur qui régnent dans les populations catholiques. Mais ne faut-il pas pour cela qu'elle écoute les désirs de tous ceux qui réclament des réformes, quel que soit le mobile qui les inspire? Ai-je péché en croyant qu'il fallait essayer de ramener à l'Église ceux qui sont

(1) Hirscher, die kirchlichen Zustande der Gegenwart, pag. 60-61.

(2) Idem, Antwort an die Gegner meiner Schrift: die kirchlichen Zustande der Gegenwart. Tübingen, 1850.

près de la quitter, ceux qui l'ont déjà désertée, et surtout les fidèles qui désirent que l'on corrige les abus, que l'on donne satisfaction à des besoins légitimes?... Me suis-je trompé? que l'on redresse mes erreurs ! Après tout, il ne s'agit que de la discipline de l'Église. Je n'ai jamais songé à attaquer le dogme. N'est-il plus permis de souhaiter la réformation des abus? Nous aurions donc moins de liberté aujourd'hui qu'il n'y en avait au quinzième siècle, alors que, dans toute la chrétienté, on demandait que l'Église fût réformée dans son chef et dans ses membres ? Et, au seizième siècle, le concile de Trente ne fit-il pas droit à ce vœu général (1)?... »

<< Peut-être, continue le chanoine allemand, m'impute-t-on à crime de ne m'être pas joint au mouvement ultramontain qui domine dans le haut clergé. Je ne l'ai point fait, parce que je crois que notre nation ne se ralliera jamais à l'ultramontanisme. Que dis-je? je suis très convaincu que, le retour au moyen âge, loin de ramener les tièdes et les indifférents, éloignera de l'Église ceux-là mêmes qui ont encore la foi. Je crains la lutte entre un passé impossible et les tendances de l'humanité actuelle, car le schisme est au bout... N'est-ce pas exciter les chrétiens à l'abandon du christianisme que de condamner et de flétrir, comme font les ultramontains, toutes les aspirations du temps où nous vivons? n'est-ce pas jouer le jeu des ennemis de l'Église, que de la dire incompatible avec la liberté, alors qu'il n'y a qu'un cri pour la liberté dans l'Europe entière (2)? >>

La défense du chanoine Hirscher n'était pas faite pour lui concilier la faveur de Rome. Répudier l'ultramontanisme, alors que l'Église romaine croit son salut attaché à ce que toute la chrétienté devienne ultramontaine, c'était presque provoquer à un schisme. On exigea une rétractation. Le chanoine la fit, dans l'intérêt de l'unité de l'Église. Mais qu'importent les rétractations? Les faits que le chanoine a constatés, sont-ils moins vrais pour cela? Bien mieux; ses propres convictions ont-elles changé parce que, fils obéissant de l'Église, il a signé un désaveu? Est-ce que l'homme peut abandonner ses convictions, dans les vingt-quatre heures,

(1) Hirscher, Antwort, pag. 1, 2, 9.

(2) Idem, ibid., pag. 11-12.

comme il change d'habits? Quand Galilée rétracta une vérité mathématique, est-ce que la vérité cessa d'être une vérité? et luimême crut-il que le soleil tournait autour de la terre, et que la terre était immobile? La terre tourne malgré les éminentissimes seigneurs qui trônent à Rome; et l'humanité marche et avance sans cesse dans la voie de la raison, malgré les ténébrions qui occupent le siége de saint Pierre. La prédiction du chanoine allemand se réalisera on ne veut point de réforme, on aura une révolution.

II

Les catholiques allemands réclament une réforme; mais que veulent-ils réformer? Ils déclarent tous qu'ils n'entendent pas toucher au dogme. La puissance de l'unité catholique est si grande qu'elle retient dans ses liens ceux-là mêmes qui voudraient les briser. Est-ce à dire que, si la réforme devenait une réalité, elle maintiendrait le dogme orthodoxe? L'histoire du protestantisme et du catholicisme allemand répond à notre question. On commence par attaquer les indulgences ou les reliques et l'on finit par une révolution religieuse. La nature des choses le veut ainsi. Ceux qui demandent des réformes dans la discipline, ont déjà un pied hors du catholicisme, sans qu'ils s'en doutent. Une fois à l'œuvre, la logique les entraîne. Il en sera de même des vagues tendances qui se sont produites parmi les catholiques d'Allemagne avant la réaction ultramontaine qui suivit l'ouragan de 48.

Il y a un point sur lequel tous les réformateurs allemands s'accordent l'abolition du célibat forcé des prêtres. Il faut nous arrêter un instant à cette question; elle ne touche pas seulement à la discipline. La moralité publique est en cause; elle est en conflit avec la domination de l'Église, et l'Église préfère sa domination à la moralité. Cependant elle se dit la gardienne des mœurs! C'est elle qui seule procure le salut des hommes; et elle souffre, elle veut que ceux qui doivent être les intermédiaires entre Dieu et les pécheurs, soient voués nécessairement à une vie immorale! Nous ne remonterons pas aux premiers temps du christianisme. L'Église grecque atteste que le célibat n'est pas une institution des temps primitifs. Vrai type d'immobilité, cette Église est aujourd'hui ce

qu'elle a toujours été; or, elle admet, elle pratique le mariage des prêtres. Cela décide la question. Nous n'entendons pas soutenir que le célibat ait été introduit dans l'Église latine par l'esprit de domination. C'est Grégoire VII qui l'imposa au clergé, et cette grande figure est au dessus du soupçon d'un intérêt vulgaire. Le spiritualisme évangélique conduit logiquement à exalter la virginité, et à ravaler, à mépriser le mariage. Or les prêtres, ces élus de Dieu, ne doivent-ils pas vivre de la vie parfaite qui a son type dans Jésus-Christ? Si l'on veut que l'Église exerce la puissance spirituelle, le pouvoir qui appartient à l'âme sur le corps, il faut aussi qu'elle pratique la vie spirituelle; dès lors la virginité doit être sa loi. Telle est la raison théologique du célibat; on n'en peut contester la valeur, quand on se place sur le terrain du spiritualisme chrétien et que l'on tient compte de la notion catholique de l'Église.

Mais le spiritualisme évangélique est faux, parce qu'il ne tient pas compte des conditions de la nature humaine. Une perfection qui commence par violer les lois de la nature, aboutit fatalement à la plus affreuse imperfection. Telle est la virginité. Elle devait transformer les oints du Seigneur en anges, et elle en fit des démons d'impureté. Nous laissons là le moyen âge, époque de barbarie et partant de mœurs brutales. Qu'était devenu la moralité du clergé, à la veille de la réforme, sous l'influence du célibat forcé? Écoutons un prêtre du quinzième siècle : « Tant s'en faut, dit Polydore Virgile, que le célibat l'emporte sur un mariage honnête, qu'au contraire il n'y a point d'institution qui ait fait plus de mal à la religion, parce qu'elle a été pour les prêtres une cause permanente de débauches. Il y aurait certes avantage pour la société chrétienne, autant que pour les ecclésiastiques eux-mêmes, à leur rendre le droit de se marier. Il vaudrait sans contredit mieux qu'ils remplissent avec chasteté les devoirs du mariage, que de contracter un engagement au dessus de leurs forces, et de se souiller, comme ils le font, par les plus honteux dérèglements (1).»

Les prêtres n'avaient pas de femme, mais ils avaient des concubines, et telle était leur immoralité, que les plus illustres docteurs de l'Église estimaient que ce concubinage était encore de tous les

(1) Polydor. Virgil, de Rerum inventione, V, 5.

« PrécédentContinuer »