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merçant qui a tripoté; l'ouvrier plombier qui a « mangé du gras double » (1) pour se payer un dîner bien arrosé; le pochard qui a insulté un sergent de ville, etc.

Quant à ceux qui, comme le cancéreux, sont victimes de l'hérédité, il n'y a que l'éducation qui puisse les sauver et les empêcher d'entrer en conflit avec les lois, c'est-à-dire avec la société. Ce ne sont pas encore des malades comme les fous et les épileptiques, parce qu'ils ont la notion du bien et du mal, ou, mieux, de ce qui est permis et défendu, et qu'ils peuvent dans une certaine mesure résister à leurs passions et à leur impulsivité; mais ce sont manifestement des anormaux, et c'est à ce point de vue qu'ils sont intéressants à étudier.

(1) Volé du plomb.

CHAPITRE II

MORPHOLOGIE ET PHYSIOLOGIE DU CRIMINEL

I. LE CRANE DES CRIMINELS.

Le crâne des criminels ne pouvait manquer d'attirer l'attention des anthropologistes. Des mensurations nombreuses ont été faites sur le vivant et sur le cadavre; on a étudié, avec un soin tout particulier, des crânes de suppliciés. Les résultats obtenus sont peu intéressants et souvent contradictoires.

Ainsi, on a noté, dans certains cas, une infériorité notable dans la capacité et la circonférence craniennes. Manouvrier (1), au contraire, soutient que la capacité cranienne n'est pas inférieure à la normale chez les voleurs-assassins suppliciés.

On a cru reconnaître aussi une infériorité dans le développement et la courbe du diamètre frontal, une exagération de l'indice céphalique, une augmentation du diamètre et de la hauteur de la face, de l'eurignathisme. On a voulu voir chez eux des indices faciaux et céphalo-orbitaires moins élevés que normalement ou que chez les fous, et vice versa un indice céphalo-spinal plus élevé.

On a noté également une foule d'anomalies du crâne et du cerveau, des synostoses prématurées, des scléroses, l'abondance des os wormiens, des anomalies des circonvolutions,

(1) Le crâne des suppliciés. Archives de l'Anthropologie criminelle, 1886.

comme la séparation de la scissure calcarine de l'occipital, la formation d'un opercule du lobe occipital, le vermis conformé comme dans le lobe moyen des oiseaux, et des déviations absolument atypiques, comme les sillons transversaux du lobe frontal. On a même constaté des lésions histologiques dues à d'anciennes hyperhémies des centres nerveux, comme la dilatation des vaisseaux lymphatiques, la pigmentation des cellules nerveuses et connectives, etc.

Lombroso abonde dans ce sens; mais j'avoue que les statistiques me laissent froid et je suis loin de partager son enthousiasme. «< Avec les études de photographie daltonienne, disait-il au Congrès de 1889 (1), j'ai trouvé, dans dix-huit crânes de condamnés, deux types qui se ressemblent merveilleusement et qui présentent, avec une exagération évidente, les caractères du criminel et, on pourrait bien dire, de l'homme sauvage: sinus frontaux très apparents, zygomes et mâchoires très volumineuses, orbites très grands et très éloignés, asymétrie du visage, type phéléiforme de l'ouverture nasale, appendice lémurien des mâchoires. Les autres crânes d'escrocs et de voleurs m'ont donné un type moins précis : mais l'asymétrie, la largeur des orbites, la saillie des zygomes y sont toutefois très nettes, quoique moins marquées. >>

Corre et Roussel ont étudié (2) une série de deux cent deux crânes de criminels français (à l'exception de trois : un Suisse et deux nègres), mais de diverses provenances, et, par conséquent, susceptibles d'être répartis en plusieurs groupes ethniques. Le crâne, disent-ils, est remarquable par un développement horizontal généralement au-dessus de la moyenne. Les types sous-brachycéphale, brachycéphale et mésaticéphale l'emportent de beaucoup sur le type dolichocéphale. La proportion des asymétries est énorme: elle est de plus de 65 p. 100; ces asymétries sont particulièrement fréquentes

(1) Voyez Congrès international de l'Anthropologie criminelle tenu à Paris en 1889. Rapport sur la première question : Les dernières recherches de l'Anthropologie criminelle.

(2) CORRE et ROUSSEL. Étude d'une série de têtes de criminels conservées au Musée d'anatomie de l'école de Brest. Revue d'Anthropologie, 2 série, t. VI, p. 70.

sur les crânes des individus condamnés pour attentat à la pudeur ou pour viol. Les déformations suivant la courbe verlicale transverse sont surtout remarquables chez les voleurs : chez eux et chez les condamnés pour attentat à la pudeur, on rencontre un certain nombre de crânes carénés. Les déformations suivant la courbe antéro-postérieure sont communes dans tous les groupes: elles répondent surtout à un aplatissement de la région bregmatique et de la région pariétale postérieure.

J'ai mesuré, de mon côté, le crâne d'un grand nombre de détenus à la prison de la Santé. Tout ce que j'ai pu constater de plus saillant, c'est que la moyenne de leur indice m'a paru, en général, inférieure à celle indiquée par Broca comme la moyenne normale. Les criminels seraient donc, comme le . soutiennent les chefs de l'école criminologiste italienne, des microcéphales ou, au moins, des submicrocéphales. Je donnerai, dans un autre chapitre, l'interprétation de cette anomalie, que je ne considère nullement comme caractéristique de la criminalité.

Ch. Debierre (1), qui a examiné un grand nombre de têtes de criminels, conclut que l'indice céphalique pas plus que l'asymétrie du crâne ne permettent de distinguer les assassins des honnêtes gens. « J'ai fouillé, dit-il, plus de trois cents crânes de criminels; il m'en est passé par les mains plusieurs centaines ayant appartenu à d'honnêtes gens. Eh bien, je déclare qu'il est impossible à l'œil le plus exercé de dire: ce crâne est celui d'un scélérat, cet autre est celui d'un honnête homme. Que le premier porte plus souvent que le second l'empreinte d'une défectuosité anatomique, peut-être; mais, à ce point de vue, je puis dire encore que le crâne du malfaiteur, moins que celui du crétin et de l'idiot, se distingue du crâne de l'homme normal. Au point de vue craniologique, le crâne de l'assassin lui-même ne forme donc pas plus un type particulier que l'assassin lui-même ne forme un type anthropologique spécial. Si j'en juge par les cerveaux des meurtriers que j'ai étudiés ou que j'ai pu voir, je puis également

(1) La tête des criminels. Archives de l'Anthropologie criminelle, 1893.

conclure que, par aucun caractère spécial, net, tranché, constant, décisif, l'encéphale du criminel ne se distingue du cerveau du reste des hommes. >>

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Ainsi on ne possède pas davantage de documents certains. sur le cerveau des criminels.

Fallot (1) a étudié avec soin le cerveau des assassins Tegami et Esposito, exécutés à Aix en 1887.

Il en a profité pour comparer ses études avec celles faites antérieurement et par d'autres sur le même sujet.

L'Espagnol Esposito et l'Italien Tegami furent condamnés à mort par la cour d'Aix pour arrestations à main armée. Ils faisaient partie d'une bande de malfaiteurs qui dévalisaient les passants, le soir, dans les rues de Marseille, les frappant en cas de résistance. C'est ainsi que Tegami a tué presque sur le coup avec un poignard un ouvrier attardé, et qu'Esposito a mortellement frappé d'une balle de pistolet un négociant qui se rendait à la gare.

Au cours des débats, malgré les charges accablantes pesant sur eux, ils n'ont cessé un instant de nier avec énergie et ils ont, jusqu'à la fin, protesté de leur innocence. Après avoir entendu le jugement de la cour qui le condamnait, avec son complice, à la peine capitale, Esposito n'a pas perdu son sangfroid; il a ri et plaisanté ; il a demandé une guitare pour en jouer quelques morceaux aux juges. Il semble cependant qu'il y ait eu en lui moins de férocité native que chez son complice Tegami; il aurait, pendant leur séjour en prison, reproché à ce dernier et à leurs associés leur cruauté inutile : « C'est, aurait-il dit, votre faute à vous si nous sommes ici ; vous ne pouviez vous trouver en face de quelqu'un sans frapper; moi, je me contentais de menacer avec mon pistolet, mais je ne tuais pas. » Au moment de leur exécution, ils ont encore affirmé leur innocence et ils ont subi la peine capitale avec un réel

(1) Archives de l'Anthropologie criminelle, 1889.

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