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Souvenirs historiques.

MÉCANIQUE APPLIQUÉE.

LE CHEMIN DE FER A PATINS.

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Le chemin de fer hydraulique de 1852.. Modèle de 1862. Les wagons-traîneaux. Nouveau mode de propulsion. Perfectionnements proposés par l'inventeur. Extrait d'une note présentée à l'Académie des sciences. Épisode. Avenir du chemin de fer à patins.

Le frein Girard.

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<< En 1664, à l'avénement de Colbert, il n'y avait qu'une cour, toute petite, et qui tenait dans Saint-Germain. Lorsque Louvois remplaça Colbert comme surintendant des bâtiments, on construisit partout au lieu d'une cour, il y en eut dix; Versailles fit des petits. Sans parler de Monsieur qui réside à Saint-Cloud, ni du Chantilly des Condé, tout le gracieux amphithéâtre qui couronne la Seine se couvre de maisons royales... De Rueil à Marly, tout est palais, tout est Versailles. >>

Ces quelques lignes que nous empruntons à un ouvrage qui est plutôt un tableau qu'un livre1, tant sont vives les couleurs dont l'auteur se sert pour ressusciter le siècle qu'il décrit, ces quelques lignes nous aideront peut-être à grossir le nombre des curieux qui, le dimanche, vont en pèlerinage à la Jonchère.

La Jonchère est un hameau situé à un quart d'heure de Rueil et à cinq minutes de la Malmaison. C'est là qu'un de nos ingénieurs, lauréat de l'Institut et connu depuis longtemps déjà par ses travaux sur l'hydraulique, soumet au tribunal de l'opinion publique un nouveau système de chemin de fer. Les expériences auxquelles nous convie M. Girard, c'est le nom de l'inventeur, sont certainement trèsremarquables; mais, le fussent-elles moins, personne ne songerait à regretter une excursion qui fournit l'occasion de repasser, sur place, les souvenirs dont ces rives de la Seine sont peuplées. N'est-ce pas à Rueil, en effet, que commença la fortune de madame de Maintenon?

1. Louis XIV et le duc de Bourgogne, par J. Michelet. 1862.

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N'est-ce pas là, 'que fut fondée par elle, pour les jeunes filles pouvant prouver quatre quartiers, c'est-à-dire cent quarante ans de noblesse, cette maison célèbre que le roi transporta d'abord dans son parc, à Noisy, puis, plus tard, par les soins de Louvois, à Saint-Cyr? N'est-ce pas à la Malmaison que mourut l'impératrice Josephine? Et, dans la petite église de Rueil, la reine Hortense ne repose-t-elle pas auprès de sa mère?

Mais laissons là l'histoire et arrivons à notre sujet; aussi bien aucune déception n'attend le lecteur qui consentira à nous suivre et toutes ces précautions sont inutiles. Gravissons donc hardiment la côte qui va de la station du chemin de fer américain à la châtaigneraie de la Celle-Saint-Cloud.

C'est dans sa propriété même que M. Girard a installé son nouveau modèle de chemin de fer. - Félicitons d'abord l'inventeur de la persévérance qu'il a mise à poursuivre la réalisation de son idée. Il y a plus de dix ans qu'il travaille à perfectionner son système; j'en atteste un mémoire que j'ai sous les yeux et qui date de 1852. Dans ce mémoire, soumis à l'appréciation de l'Académie des sciences, on trouve la description d'un mode particulier de locomotion sur les voies ferrées. Dès 1852, M. Girard supprimait la locomotive, mais il conservait aux wagons leur forme ordinaire, avec les ressorts de suspension, les essieux et les roues; seulement, sous la ligne des wagons, il fixait deux séries d'aubes courbes, servant, l'une, pour la marche en avant, l'autre, pour la marche en arrière.

<< Le long de la voie devait régner un gros tuyau en fonte, enterré et mis en communication avec des pompes mues' soit par des chutes d'eau, soit par des machines à vapeur fixes (Cornouailles), de manière à fournir l'eau à haute pression, destinée à faire marcher le convoi.

<< Sur ce tuyau on eût placé, à des distances variables, selon le profil de la voie, des prises d'eau aboutissant chacune à un distributeur à deux becs, dirigés en sens opposés. Les jets d'eau, lancés par les distributeurs, eussent agi sur la concavité des surfaces courbes en série rectiligne, et poussé le train auquel ces surfaces étaient fixées, suivant la direction du bec ouvert.

<< Une vitesse de marche de vingt mètres par seconde correspondant à une vitesse de quarante mètres de l'eau motrice injectée, il y aurait eu une pression effective de huit atmosphères dans le tuyau. Sous cette pression, un jet de petite dimension, débitant deux cents litres par seconde, eût développé une force de cent soixante chevaux utiles,

force suffisante pour un train de voyageurs marchant à la vitesse de soixante-douze kilomètres à l'heure, sur chemin de niveau 1. »

Ne nous arrêtons pas davantage à ce premier projet; réservons notre attention pour les dernières expériences qui ont été faites. Il y a, dans le modèle de la Jonchère, deux choses à étudier le mode de locomotion, et le moteur que l'on substitue à la vapeur. Voyons d'abord en quoi le nouveau mode de locomotion diffère de l'ancien.

Tandis que nos ingénieurs épuisent toutes les combinaisons possibles pour remplacer le frottement de glissement par le frottement de roulement, M. Girard substitue, dans la traction sur les voies ferrées, le frottement de glissement au frottement de roulement.

Cependant, au premier coup d'œil, les deux voies tracées à la Jonchère ne paraissent pas différer essentiellement de celles que tout le monde connaît: sur le sol courent parallèlement deux rails dont l'écartement ne dépasse guère celui que l'on adopte généralement en France. L'inventeur annonce que, sur les lignes d'une certaine longueur, au lieu de deux rails il en fixerait quatre, c'est-à-dire que le chemin serait double, pour l'aller et le retour, avec voies de garage, appareils de changements de route, etc., etc.

En regardant les choses de plus près, on constate bientôt certaines dissemblances. Par exemple, les rails de nos chemins sont étroits et bombés; ils peuvent se ramener à deux types principaux : le rail à double champignon fixé au moyen de coins, et le rail à base plate attaché sur des longuerines. Les rails du nouveau chemin sont des poutres en fonte dont la section est celle d'un double T, avec semelles plates de vingt centimètres de largeur. La semelle supérieure est rabotée; l'autre est brute et solidement établie sur sa base.

Mais ce n'est encore là qu'une dissemblance légère; la différence principale consiste en ce que, dans les nouveaux véhicules, les roues sont supprimées.

Comment alors les wagons reposent-ils sur la voie? Au moyen de patins en fonte, destinés à glisser sur les rails. Ces patins sont des plaques rectangulaires que des rebords intérieurs ou boudins maintiennent sur la voie. La surface de contact est dressée et présente des cannelures longitudinales et transversales figurant, en creux, des rectangles concentriques; au fond des cannelures, se trouvent de petits orifices par lesquels débouchent des tubes qui correspondent

1. Chemin de fer hydraulique avec distribution d'air et irrigation, par M. L. D. Girard. Comptes rendus de l'Académie des sciences. 1852.2o semestre.

avec un réservoir placé sur le premier véhicule, Nous verrons bientôt comment ce réservoir est alimenté; bornons-nous à dire, quant à présent, que le ressort d'une certaine quantité d'air comprimé tend à chasser l'eau du récipient.

Lorsqu'on veut mettre la machine en marche, on ouvre les robinets qui établissent la communication entre le réservoir et les orifices pratiqués à la semelle inférieure de chaque patin. L'eau, sollicitée par la tension de l'air, s'échappe en soulevant les patins, de sorte que les frottements, tout à l'heure considérables, se trouvent presque annulés par cette interposition d'une couche de liquide. On conçoit dès lors comment, avec une force relativement faible, on peut remorquer un convoi très-lourd. Le train tout entier ressemble à un traîneau, ou mieux encore, à un long navire flottant à la surface de l'eau.

Il nous reste maintenant à expliquer comment on opère la traction des véhicules...

Ici, M. Girard revient à son projet de 1852: Au milieu de la voie il installe, sous terre, un tube longitudinal. De l'eau, refoulée par des machines échelonnées de dix kilomètres en dix kilomètres, circule dans ce tube qui rappelle, par sa disposition, les tuyaux de conduite pour les eaux ou pour le gaz, sous le pavé de nos rues. Au-dessus du tube, chaque wagon moteur porte, à l'arrière, une série d'aubes très-rapprochées formant une espèce de crémaillère. Tous les cinquante mètres, le tuyau souterrain communique avec des injecteurs verticaux. Ces injecteurs sont successivement ouverts et fermés, au passage du train, par des aiguilles placées sous les wagons moteurs. Lorsque les injecteurs sont ouverts, les jets frappent les aubes et impriment une impulsion au convoi. Cette impulsion ébranlerait à peine un wagon, si les patins ne flottaient pas, pour ainsi dire, audessus des rails; mais, grâce à l'interposition de la couche liquide, le choc suffit pour mettre le convoi en mouvement. Telle est la mobilité du wagon moteur, lorsque l'eau soulève les patins, que nous avons pu nous-même, en poussant légèrement avec la main, mettre en marche, sur un terrain horizontal, et lancer à une vingtaine de mètres un wagon pesant environ six tonnes !

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D'où vient, nous dira-t-on, l'eau qui s'échappe sous la semelle inférieure des patins? Du réservoir à air comprimé. Et comment pénètre-t-elle dans ce réservoir? - Par l'effet de la vigueur avec laquelle elle sort des injecteurs. Une certaine quantité d'eau, au lieu de retomber sur la voie, passe des aubes dans les dômes à air, et de là, sous l'influence de la pression qu'elle subit, sort par les orifices pratiqués au-dessous des patins. C'est ainsi du moins que les choses

se passent dans le modèle de la Jonchère. Toutefois, M. Girard est le premier à reconnaître que ce moyen d'embarquer, à bord de la plate-forme motrice, une certaine quantité d'eau sous pression, offre de sérieuses difficultés. Aussi, dans le nouveau projet qu'il prépare et qu'il a bien voulu nous communiquer, renonce-t-il à recueillir de l'eau sous pression. Il se contente d'en embarquer librement une quantité suffisante, en donnant à ses aubes une disposition convenable. Sur sa plate-forme il installe une petite machine à vapeur de la force d'un cheval, un cheval et demi, et confie à cette machine le soin de chasser sous les patins l'eau recueillie au passage. La vapeur de la machine serait utilisée pour démarrer plus facilement, lorsque, pendant les grands froids, la gelée soude les patins aux rails. On sait, d'après les expériences faites l'hiver dernier, par douze degrés au-dessous de zéro, que la gelée n'est nullement à craindre, lorsque le train est en marche; qu'elle n'est nuisible qu'au démarrage. Grâce à ce compromis, le mécanicien ne serait plus privé du signal précieux qu'on nomme sifflet d'alarme.

Ce n'est pas là, du reste, le seul perfectionnement auquel songe M. Girard; il travaille, en ce moment, à modifier les organes au moyen desquels s'opèrent l'ouverture et la fermeture des injecteurs. Il est question de faire manœuvrer une petite vanne au moyen d'un piston. Ce piston emprunterait son mouvement de va-et-vient à l'air comprimé des dômes qui se trouvent dans le voisinage des injecteurs. Un tiroir, pareil à celui de nos machines à vapeur, serait chargé de la distribution.

Comme les nouvelles machines peuvent passer dans une circonférence de vingt mètres de rayon, on adoptera, pour les embarcadères, la forme circulaire qu'offre la voie au chemin de fer de Sceaux. De plus, puisque le mécanicien est maître d'arrêter le train comme il veut, en quelques secondes de temps, la marche en arrière, qu'il est d'ailleurs facile d'obtenir, en disposant convenablement une seconde série d'aubes, la marche en arrière devient un luxe fort coûteux que l'inventeur supprime.

Les wagons-traîneaux ne fonctionnent pas moins bien sur rampes que sur palier. A quelque distance du chemin horizontal, se trouve une tranchée dans laquelle on a établi un plan incliné. La pente est de cinq centimètres par mètre. M. Flachat, pour franchir le Simplon, ne demande pas une rampe plus forte. Avec les wagons à patins, on gravit cette rampe à la vitesse ordinaire de nos machines sur palier.

Aussi le chemin de fer glissant de M. Girard a-t-il éveillé l'attention des ingénieurs et des savants. L'Académie des sciences, cet

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