de la Table ronde ne devaient pas hésiter à lui donner la préférence sur celle du pays de Galles. Cependant nos auteurs gardèrent de celle-ci ce qui pouvait se concilier avec la première. Ainsi Merlin converse fréquemment dans la forêt de Bredigan, où séjourne Blaise, où l'on doit retrouver plus tard le roi pêcheur, gardien du saint Graal: mais une force irrésistible, l'amour, ramène le prophète en Gaule, dans Broceliande, qui doit le retenir à jamais, par l'effet des enchantements qu'il avait lui-même révélés. Le nom de Broceliande pourrait bien avoir le sens de terre de Brioc; les légendes pieuses disent en effet que la ville de Saint-Brieuc dut son origine à un certain abbé Brioc, auquel le premier duc de la Domnonée aurait, vers le cinquième siècle, cédé son palais. On a souvent désigné la forêt de Quintin sous le nom de Saint « fois que le Seigneur de Montfort vient à la dite fon• taine et de l'eau d'icelle arrose et mouille le perron, - quelque chaleur qu'il fasse, quelque part que soit le • vent, et que chascun pourroit dire que le temps ne • seroit aucunement disposé à la pluie, tantost et en peu d'espace, aucune fois plus tost que le dit Seigneur « ne aura pu recouvrer son chasteau de Comper, aul< trefois plus tard, mais queque soit, ains la fin d'ice« luy jour, pleut ou païs si habondamment que la « terre et les biens estans en icelle en sont arrosez, et « moult leur profite. » (Cartulaire de Redon, publié par M. A. de Courson, Éclaircissements, p. 386.) Brieux, et son premier nom semble avoir été Brioc ou Briosque. En tout cas, elle devait se réunir vers le nord à la forêt de Broceliande, si même ces deux noms, Brioc et Broceliande, ne répondent pas au même circuit. La forêt de Briosque, suivant notre romancier, avait d'abord été possédée en partie par le duc de Bourgogne, en partie par le roi Ban de Benoyc. Mais le duc, ayant marié une de ses nièces au jeune et beau chevalier Dionas, avait reconnu les bons services de celui-ci par le don de ce qu'il possédait dans cette forêt; car il connaissait la passion de Dionas pour la chasse, le déduit des bois et des rivières. A quelque temps de là, Dionas prit les soudées du roi Ban, lui dixième de chevaliers, et, dans la guerre qu'il fallut soutenir contre Claudas, il fit éprouver de grands dommages au roi de Bourges, si bien que, les deux frères l'ayant pris en grande amitié, Ban lui avait cédé sa part dans la forêt de Briosque, et Bohor avait ajouté à ce don celui de plusieurs terres de grand rapport et de haute importance. Dionas alors choisit la forêt pour sa résidence ordinaire. Il y fit élever un beau repaire, près d'un grand et plantureux vivier. C'est là qu'il aimait à chasser, puis à reposer loin du bruit et des hommes. Plus d'une fois il y reçut la visite de la déesse des bois, Diane, dont il était le filleul et qui lui avait donné son nom. La dernière fois qu'elle était venue, elle lui avait accordé un don : « Dionas, » avait-elle dit, « je veux, si les dieux de la mer et des étoiles y << consentent, que la première fille conçue par ta belle et sage épouse soit aimée et convoitée du plus savant des hommes qui naîtront << sous le règne de Wortigern; ce sage lui com« muniquera la meilleure partie de ce qu'il sait en nécromancie; il lui sera, dès le premier jour qu'il l'aura vue, entièrement as-. << sujetti, au point de ne pouvoir rien lui refuser de ce qu'elle voudra lui demander. Cette fille naquit en son temps, et reçut en baptême le nom de Viviane, qui répond en chaldéen au sens de Rien n'en ferai (1). Viviane, à douze ans, était la plus belle créature que l'on pût jamais rêver. Merlin, après avoir donné à Léonce de Paerne, comme nous avons vu, les moyens de défendre contre le roi Claudas la terre de Benoyc, s'arrêta dans la forêt de Briosque sur le perron d'une fontaine à l'onde limpide, au sable transparent, à la source argentée. Il avait pris la figure d'un jeune varlet. Viviane, Merlin ne l'ignorait pas, venait ordinairement s'asseoir dans cet agréable lieu. Elle (1) « Néant ou naant ne ferai, lequel sens retornoit seur Merlin, si com li contes le divisera. (Ms. N. D. no 206, fo 86.) arriva; Merlin, sans dire un mot, attacha longtemps ses regards sur elle. « Quelle folie cepen<< dant à moi,» pensait-il, « si je m'endors dans « mon péché au point de perdre le savoir et le << sens que Dieu m'a donnés, pour le déduit << d'une simple jeune fille! Ces sages réflexions ne l'empêchèrent pas de la saluer. En demoiselle sage et bien apprise, elle répondit: « ע de Celui qui connaît le secret des pensées me donne les moyens comme le désir de vous bien faire! qu'il vous mette à l'abri de tous « dangers, et qu'il vous accorde ce que vous souhaitez sans doute aux autres ! » A ces douces paroles, Merlin s'assit sur le bord de la fontaine. « Qui êtes-vous, demoiselle ? >>> manda-t-il, - Je suis filled'un vavasseur de ce pays; d'ici vous apercevez son manoir. Mais vous, bel ami? - Je suis un vallet errant à la recherche du maître qui m'apprenait. Vous appreniez? et quel métier ?-Dame, » répond Merlin, par exemple à soulever dans l'air un château, comme celui que vous voyez, fût-il entouré d'assiégeants et rempli d'assiégés; ou bien à marcher sur cet étang << sans y mouiller la pointe de mes pieds; ou « « « bien à faire passer une rivière sur une plaine « jusque-là desséchée. - Voilà, » dit la jeune fille, « un beau savoir, et je donnerais bien des Ah! demoiselle, j'en connais encore de plus « beaux, de plus agréables. Il n'est pas de jeux α que je n'aie le pouvoir de jouer pour tout le temps qu'il me plairait. Oh! » dit la pucelle, « s'il ne vous déplaisait, je verrais bien volontiers quelques-uns de ces jeux, dût la condition être de demeurer, tant que je vi«vrais, votre amie, sauve toute vilenie. De« moiselle, » répond Merlin, « vous me semblez « « de si bonne nature que pour votre pur amour il n'est rien que je ne fasse. >>> Elle lui engage sa foi : Merlin se tire un peu à l'écart, fait un cercle, revient à Viviane et se rassied sur le bord de la fontaine. L'instant d'après, la demoiselle regarde et voit sortir de la forêt de Briosque dames et chevaliers, écuyers et pucelles se tenant main à main et faisant la plus belle fête du monde. Puis jongleurs et jongleresses se rangent autour de la ligne que Merlin a tracée, et commencent à jouer du tambour et d'autres instruments. Les danses s'ébranlent et les caroles, plus belles et gracieuses qu'on ne saurait dire. Pour tempérer la chaleur du jour, on voit à quelques pas de là se dresser un frais verger couvert des meilleurs fruits et parsemé des fleurs les plus belles et les mieux odorantes. A la vue de tant de merveilles, Viviane ne sait que voir ou écouter : elle regrette de n'avoir que deux yeux. Elle |