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CONTES, HISTORIETTES, DRAMES.

LA LEVRETTE BLANCHE.

CONTE BRETON.

I

Les touristes qui parcourent l'arrondissement de Redon, dans le département d'Ille-et-Vilaine, et qui passent par Bain, descendent ordinairement à l'hôtel de la Croix-Verte. Là, s'ils prennent des informations sur les curiosités qui méritent la peine d'être visitées, l'on ne manquera jamais de leur indiquer la pierre longue et le château du Frétay.

La pierre longue est un monument druidique que l'on découvre à deux kilomètres de Bain, au coin d'un champ, sur le bord du chemin de Bain à Pancé.

Ce menhir, en quartz blanc, a une élévation de six mètres au moins. Les paysans racontent une légende dans laquelle une fée apporta cette pierre dans son tablier. Peut-être la raconterai-je un jour.

Le château du Frétay, actuellement en ruines, à un kilomètre de Pancé, sur le chemin vicinal de la Bosse, est un ancien château fort.

En 1430, il appartenait à Jean de la Marzelière. En 1442, le duc François Ier permit à son chambellan Pierre de la Marzelière de le faire fortifier. En 1578, le roi Henri III érigea la terre et seigneurie du Frétay en vicomté, pour Renaud, chevalier, seigneur de la Marzelière et du Frétay, qui lui avait rendu de grands services dans les guerres contre ses sujets rebelles. Enfin, ce château, surpris en 1592 par le duc de Mercœur, fut repris la même année par le baron de Molac, capitaine au service d'Henri IV.

De cette ancienne forteresse, il ne reste plus que quelques tourelles délabrées qui ne tiennent debout que par les noueuses attaches des lierres séculaires, et qui servent de refuge à une bande nombreuse de faucons crécerelles. Ces oiseaux qui, au printemps, tournoient et folâtrent autour des tourelles, étaient protégés, il y a quelques années, par la mère Bouillaud, la fermière du Frétay, qui assurait que, sans le secours de ces écretelles, elle aurait été dévorée, elle et les siens, par les reptiles qui pullulent dans les vieilles douves du château.

II

Je me souviens qu'un dimanche d'automne, pendant les vacances, j'étais allé une après-midi contempler les ruines du Frétay. Il faisait une chaleur excessive. J'entrai à la ferme pour demander un bol de lait. La mère Bouillaud, seule, était dans une embrasure de fenêtre, occupée à dire son chapelet. Les hommes faisaient sans doute la sieste dans les paillers des cours, pour se défatiguer des rudes travaux de la semaine, et les femmes étaient à entendre les vêpres au bourg de Pancé.

Soit qu'elle fût contrariée d'être dérangée au milieu de sa prière, soit paresse, soit que je ne lui

plusse pas, la bonne femme me répondit qu'elle n'avait pas de lait de reste, et qu'elle ne pouvait entamer l'un des pots destinés à faire le beurre.

Je lui répondis que j'avais très-soif, que je payerais tout ce qu'il faudrait; et enfin, voyant que mes raisonnements ne la déterminaient pas à me donner ce que je voulais, j'ajoutai :

α

Je ne suis cependant pas un étranger pour vous, mère Bouillaud; vous connaissez Mme D***, ma grand'mère. »

Je n'eus pas plutôt prononcé ce nom, que la bonne femme se leva comme mue par un ressort, courut au buffet, attira un pot de lait, découvrit la touaille, m'entama une miche fraîche, me donna le beurre le plus frais, m'apporta une chaise, et s'excusa de ne pas m'avoir reconnu.

Il est vrai que la personne dont j'évoquais le souvenir était alors tellement aimée et vénérée dans le pays, que je ne fus nullement surpris de l'effet produit. Lorsqu'elle mourut, il y a de cela quinze ans, l'église ne put contenir tout le monde venu de plus de dix lieues à la ronde, pour lui rendre les derniers devoirs; et aujourd'hui encore, son nom, parmi les vieillards, n'est prononcé qu'avec un profond sentiment de respect.

La fermière m'entretint longtemps des qualités de ma grand'mère, du bien qu'elle avait fait toute sa vie, des services qu'elle avait rendus, des infortunes qu'elle avait secourues, de son humilité, de sa piété, de ses chagrins, de ses malheurs, etc. La bonne femme ne tarissait pas.

Elle arriva à parler de moi, de ce que je faisais, de ce que je voulais devenir, et du motif qui m'amenait en ces lieux.

« Je suis venu, dis-je, voir encore une fois ces vieux débris du château du Frétay qui s'écroulent chaque jour davantage, et qui finiront par disparaître complétement.

- Ma foi, tant mieux! répondit la fermière. Et pourquoi cela, mère Bouillaud?

Parce que, lorsqu'il ne restera plus rien du Frétay d'autrefois, la levrette blanche cessera peut

être de venir la nuit faire son sabbat au milieu des ruines.

La levrette blanche? ajoutai-je en riant. - Vous voilà bien comme les autres, reprit la fermière. Pas un étranger n'y croit. Et c'est cependant la vérité. Tenez, pas plus tard que la nuit dernière, le maudit chien est venu gambader dans les cours, musser son nez pointu sous les portes des étables, et effrayer les bœufs et les vaches, qui n'ont fait que beugler jusqu'au point du jour. Tous les gars se sont levés et ont aperçu la levrette qui se sauvait dans les ruines.

- Mais, enfin, d'où vient cet animal?

- D'où il vient? De l'autre monde, apparemment! D'où viendrait-il?

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1. Panier d'osier qui recouvre, sur les tables des fermes bretonnes, le pain et la galette.

connaissiez comme moi l'histoire de Yaume Mar- | trouvé, cachées dans un trou du mur de la maison, reployés; il place en même temps des batteries qui | le champ de bataille, le grade de chef de brigade,

tin, vous n'en douteriez pas, vous non plus.

- Racontez-la-moi, alors, dis-je à la bonne femme, qui parut regretter de s'être ainsi avancée, car les paysans n'aiment pas beaucoup à raconter aux gens des villes leurs vieilles légendes. Notre air sceptique leur fait toujours supposer que nous nous moquons d'eux.

Cependant, la mère Bouillaud approcha sa chaise de la mienne et me dit: • Écoutez. »

III

Il y avait autrefois, au village de l'Hôtel-auxMerles, dans notre commune de Pancé, un brave homme nommé José Martin. Il était veuf, et possédait pour toute fortune une petite maison et quelques lopins de champs qui lui suffisaient pour élever ses deux fils.

L'aîné, appelé José comme son père, seconda celui-ci de bonne heure dans les travaux des champs et lui rendit de véritables services. C'était un garçon laborieux, rangé et économe.

Yaume, le jeune, était tout l'opposé : enfant, il allait marauder avec les petits vagabonds de son âge, voler des pommes dans les courtils et les vergers, dénicher les petits oiseaux dans les haies, et les ramiers, les tourterelles et les geais dans les grands arbres des bois. Plus tard, il tendit des lacets dans les champs, pour prendre des lièvres et des lapins qu'il allait vendre ensuite au marché de Bain. Il n'en disait rien à son père, et dépensait son argent avec de mauvais sujets de son espèce dans tous les cabarets du pays.

Le pauvre père Martin, usé par l'âge et les privations, s'en alla un jour rejoindre sa bonne femme, et laissa ses deux gars se disputer son héri

tage.

José fut le plus mal partagé : il eut la masure du bonhomme et s'en contenta. Le jeune eut les champs et commença par en vendre un, pour aller en dépenser le prix avec ses camarades de débauche.

L'aîné épousa une honnête fille de son village, qui lui apporta, outre son trousseau, un joli mobilier et quelques immeubles.

Il loua sa maison, les terres de sa femme, et s'en vint comme fermier au Frétay, qui était alors la plus belle métairie de la paroisse. Comme il était honnête et travailleur, il prospéra dans ses affaires.

Yaume, fainéant et riboteur, vendit son bien sillon par sillon, et se trouva promptement aussi gueux qu'un rat d'église. Il jalousait le bonheur de son frère et n'en parlait que pour dire qu'il n'était pas étonnant que José fût riche, puisqu'il avait eu, non-seulement la meilleure part de la succession du père Martin, mais qu'il avait encore

les économies du vieillard, qu'il s'était bien donné garde de partager avec lui.

Les ivrognes qu'il fréquentait, au lieu de le blâmer de mentir de la sorte, ne firent que l'encourager. A force de mentir, il finit par croire ce qu'il inventait, et se promit bien de nuire à son frère ou de lui jouer quelques mauvais tours quand l'occasion se présenterait: Mais, en attendant, il n'avait plus le sou et voyait ses amis le fuir, et les auberges, où jadis il était si bien accueilli, se fermer désormais pour lui. Il en conçut un vif dépit et chercha le moyen de faire fortune. Il essaya de tous les métiers, de tous les commerces; aucun ne lui réussit.

ADOLPHE ORAIN,

(La suite au prochain numéro.)

RÉCITS HISTORIQUES.

BATAILLE DE FLEURUS.

Voici, racontée par le général Jourdan lui-même en ses moindres détails, cette illustre bataille qui fut le point de départ de toutes nos victoires.

L'armée française fut disposée par Jourdan sur cette ligne demi-circulaire de dix lieues, côtoyant la Sambre et s'étendant au delà de Charleroi. On dirait que déjà Jourdan prévoyait la faute du prince de Cobourg, essayant d'envelopper cette ligne immense quand il devait la détruire, à tout prix.

A la gauche, une brigade aux ordres du général Dourier fut postée en avant de Londeli, derrière Fontaine-Lévêque; la division du général Montégu occupa Trosignies; en même temps, et conduite par l'un de ces chefs à qui rien ne résiste, la division Kléber se plaçait en avant du moulin de Jumel et du village de Courcelles.

A la droite était Marceau, défendant Baulie, Waufersée et Velaine. Au centre, les généraux Lefebvre, Championnet et Morlot s'échelonnaient, le premier appuyé sur le village de Fleurus, le second sur Heppignies et le troisième sur Sonelis.

Du côté des alliés, le prince d'Orange et le général La Tour faisaient face à notre gauche; l'archiduc Charles et le général Beaulieu à notre droite; le comte de Kaunitz et le général Kosdanowich à

notre centre.

Le 8 messidor (26 juin) l'action s'engagea dès la pointe du jour et, par un de ces caprices par lesquels elle semble doubler le prix de ses faveurs, tout d'abord la fortune nous fut contraire.

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A la gauche, le général La Tour, passant le Piéton, petit ruisseau qui traverse le champ de bataille et sépare les deux armées, se rend maître du château de Trosignies; bientôt il est forcé de délaisser son entreprise pour la reprendre, écrasant le général Montégu; Montégu, voyant la résistance impossible, esquive la défaite en renforçant le général Dourier d'une brigade et se repliant avec l'autre sur Morchaine où il garde la Sambre, les pontons

1. Yaume, diminutif de Guillaume. 2. En Bretagne, de même que les Guillaume s'appellent Yaume, les Joseph se nomment José.

répondent à la canonnade de La Tour, établi sur la hauteur de Saint-Fiacre. Son collègue Dourier fut plus heureux, grâce aux habiles combinaisons et à l'ardeur de Kléber. Celui-ci, bien secondé par le commandant Bernadotte, pour lequel il obtint, sur

repoussa victorieusement La Tour. La Tour, forcé sur sa gauche par Duher, tandis que Bernadotte attaque sa droite, est obligé de se retirer en toute hâte sur Forchiés, d'où il pousse en arrière avec le prince d'Orange jusqu'à Home-Saint-Paul, tandis

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que Montégu reprenait Trosignies et maintenait la | brepart, poste contigu à la Sambre et nécessaire victoire longtemps suspendue. A la gauche cepen- | appui de notre extrême droite.

dant Beaulieu avait emporté Wontsertées, Velonie et Baulet, tourné les retranchements du bois de Coppiaux et acculé Marceau au village de Lam

i

Ce fut un des points les plus disputés, les plus meurtriers, le point décisif de la bataille. C'est là que tout le jour Marceau, heureusement soutenu

Bataille de Fleurus. (Page 363, col. 2.)

par Jourdan, soutint l'effort combiné de Beaulieu et du prince Charles, qui avaient opéré leur jonction sur la droite de notre armée. On comprend ce qu'il y eut d'héroïsme et de sang dépensés autour de ce nœud décisif, de cette clef de la victoire. Enfin Lembadert est dégagé et les colonnes autrichiennes, avec une sorte de délire, se ruent sur le camp retranché, défendu à droite de Wognée par les divisions Notry et Lefebvre. En ce moment le combat fut vraiment terrible. Infanterie, cavalerie, artillerie, tout fut engagé. Trois fois l'ennemi aborda de front nos redoutes, trois fois la mitraille l'en chassa, la cavalerie suivant le canon dans ces trouées. De part et d'autre le feu était si vif que les champs de blé et les baraques ayant été incendiés, on se battit dans une plaine en flamme. Au centre, où l'affaire ne fut sérieuse que vers les quatre heures, un malentendu fit perdre à Championnet un terrain précieux qu'il fallut reprendre avec le secours héroïque de Jourdan, prêt à se porter partout où la victoire chancelait.

A sept heures du soir, enfin, l'armée française était rentrée en criant: Victoire! dans ses lignes, et le prince de Cobourg, fatigué de tant d'attaques impuissantes, donnait l'ordre de la retraite. En ce moment apparaissait notre étoile, parmi les plus hautes constellations du ciel! Une pareille retraite, après douze heures de combat inutile, ressemblait à une déroute, et cette fois la victoire appartenait sans conteste au dernier occupant du champ de bataille. L'Europe, éperdue à cette immense nouvelle, n'hésita pas à désigner les victorieux. Elle y vit la victoire non-seulement de notre armée, mais celle encore de la République. Elle y vit non-seulement la perte de Fleurus, mais celle de la Belgique. Elle y vit l'avénement d'un nouveau génie en politique, en stratégie, avec la double prépondérance de la liberté et de la baïonnette, de la philosophie et du canon. Voici donc le triomphe éclatant de la guerre de principe sur la guerre de conquête..., la conséquence enfin de cette dictature morale et intellectuelle de la France que Napoléon devait porter à son apogée!

Il n'y eut que le ballon, employé pour la première fois par la science aventureuse à observer les mouvements de l'ennemi, qui, négligé depuis, n'ait pas remporté à Fleurus une victoire complète.

Telle fut cette bataille décisive, une des plus acharnées de ces guerres de géants. Elle s'appela bataille de Fleurus, parce quele duc de Luxembourg avait déjà illustré ces vastes plaines sous Louis XIV. Quoique ses résultats sur le terrain fussent peu considérables, et qu'elle se bornât à une attaque repoussée, elle décidait la retraite des Autrichiens. Aux derniers jours de la Terreur, elle démontra l'abomination de ces meurtres inutiles; elle reporta, sur nos soldats, les espérances de cette nation qui ne savait plus quelle force invoquer sur la terre, et quel Dieu implorer dans le ciel! Cette fois, les Autrichiens étaient battus sans qu'il leur fût permis de hasarder une seconde bataille. York sur l'Escaut, Clairfayt dans la Flandre, étaient tenus en respect

par Pichegru. Jourdan, de son côté, marchait sur Bruxelles, où se rencontrèrent, triomphantes, nos deux armées : l'armée du Nord, et l'armée de Sambre-et-Meuse. Ah! ce fut le plus beau moment d'une si belle victoire! et pensez donc si l'Europe s'inquiéta, cette fois, de ces cent cinquante mille républicains, maîtres de la capitale des Pays-Bas! Quels moyens de résister à ces forces austères, à ce triomphe absolu? Comment désormais les rois coalisés pouvaient-ils rallier leurs tristes soldats, les uns qui se retiraient vers l'Océan, les autres sur les bords du Rhin, abandonnant, sans coup férir, toutes les places qu'ils avaient prises: Condé, Landrecies, Valenciennes, le Quesnoy? Or, plus notre armée était glorieuse, et moins elle était docile au joug de la Convention. La Convention avait décrété que les garnisons ennemies seraient passées au fil de l'épée, eh bien! nos soldats vainqueurs, rétablirent les droits de la guerre en respectant le vaincu qui mettait bas les armes. La Convention avait décrété, par haine pour M. Pitt, que tous les prisonniers anglais seraient fusillés, nos soldats refusèrent d'obéir à ce décret sanguinaire. Ils ne voulaient pas déshonorer leur propre gloire, et plus leur avait coûté cette bataille de Fleurus qui leur donnait Charleroi, Ypres, Tournay, Oudenarde, Ostende et Bruxelles, plus leur étaient sacrés ces vaincus dont la résistance même ajoutait à leur gloire.

peu

UN FEUILLET DE LA BIBLE.

SUITE.

Et cependant, les enfants vivaient encore: la justice divine n'avait atteint que le misérable qui avait comploté la perte des innocents. L'explosion avait eu lieu quelques secondes trop tôt pour la réussite des sombres plans de Wentzel. Quand il vit approcher le moment fatal, une immense angoisse s'abattit sur lui; une horrible anxiété le saisit à la gorge; sa conscience se dressa contre lui, semblable à un géant; son crime lui parut si monstrueux, et le gain honteux qu'il allait en retirer si eu de chose, qu'il se sentit ébranlé. Harcelé par la voix impérieuse de sa conscience, il errait à travers les galeries, sans pouvoir échapper à la vision terrible de son forfait et des deux pauvres victimes. La vision du Dieu vengeur dans toute la majesté de la justice se tenait debout devant lui. Quel effroyable crime il allait commettre! et cela pour l'amour de quelques pièces d'or que personne peut-être ne lui réclamerait jamais, et pour le vol desquelles il ne courait, en tous les cas, que le risque d'être traduit en justice. Et pour garder ce misérable argent, il allait commettre un double meurtre! Non! non! criait la voix intérieure. Il ne put résister à cet appel suprême de sa conscience en détresse. II était temps encore de prévenir la catastrophe. Il courut dans la direction des Fosses-Maudites, où la mèche brûlait lentement.... Oh! s'il avait couru sans hésiter.... mais il s'arrêta ébloui par l'éclair

nos pieds?

-Tu ne te doutes de rien? dit Ulrich, étonné de la question de son ami. Ce n'est pas une catastrophe naturelle qui nous a mis dans la position peut-être très-triste où nous sommes, c'est la méchanceté de Wentzel. La mine dont il nous avertissait si hypocritement de bien nous garer, a sauté, et c'est un miracle que nous ne soyons pas ensevelis tous les deux sous les débris.

d'une mauvaise pensée. Il reprit sa course.... s'ar- | de tonnerre; la montagne s'est-elle engloutie sous rêta de nouveau, puis revint sur ses pas, tiraillé en sens divers par son bon et son mauvais génie. Enfin, la conscience l'emporta.... Poussé en avant par l'angoisse, la terreur des jugements de Dieu, il n'était plus qu'à dix pas de la mine. Mais, arrivé là, il aperçut les deux enfants assis l'un près de l'autre, et la main dans la main comme de vieux amis, causant avec une animation et un bonheur visibles. Je ne sais quelle horrible jalousie de ce bonheur innocent le mordit au cœur. Il s'arrêta encore, et c'est alors qu'Ulrich s'élança auprès de la mine, et lui, le coupable, fit un bond en arrière.... Ah! s'il l'eût fait en avant, ce bond terrible, il était temps encore.... mais maintenant c'était trop tard, la mine sauta; les voûtes et les murailles s'effondrèrent sous l'irrésistible commotion. Un bloc énorme le heurta dans sa course, un cri déchirant s'échappa de ses lèvres, le malheur était consommé! il fut trouvé, lui, à moitié fracassé, et les pauvres enfants, les victimes de sa honteuse convoitise, demeurèrent séparés du reste des vivants par d'épaisses murailles de roches entassées.

- La mine? reprit Hans incrédule. Mais nous ne nous en sommes pas approchés! Qui donc aurait allumé la mèche? Tu te trompes, Ulrich!

- Non, je ne me trompe pas. Je pensais bien que le malheureux méditait contre nous quelque affreux tour, quand il nous a dit de venir le rejoindre ici, quoiqu'à la vérité, l'idée d'une action si monstrueuse ne me soit pas venue. Mais cependant, Hans, nous nous en assurerons plus tard; pour le moment et avant toutes choses, il faut voir s'il n'y a pas moyen de sortir de notre position. Nous voilà enfermés comme dans une tombe. Ne perdons pas courage, pourtant. Le bruit de l'explo

« Grand Dieu! qu'est-il arrivé? s'écria Hans à ❘sion aura, pour sûr, attiré l'attention de l'ingénieur

haute voix, lorsqu'il sortit enfin de la stupeur où l'avaient jeté tout à coup l'épouvante et la pression de l'air. Tout est noir.... les lampes éteintes.... et Ulrich, ô mon Dieu, où est Ulrich?... Ulrich! Ulrich! écoute-moi! Es-tu encore vivant, Ulrich? Réponds-moi, je t'en supplie! >>>

La voix de son ami était éteinte. Hans se releva, tâtonna tout autour de lui, mais partout où elles se posaient, ses mains ne rencontraient que des pierres de grosseurs inégales, aux arêtes vives, qui ne lui permettaient pas d'avancer. Il pensa à sa lampe. Elle était éteinte, à la vérité, mais il l'avait placée non loin de lui, à côté d'une grosse pierre; il y porta vivement la main. Il jeta un cri de joie.... la

et des autres ouvriers, et ils ne manqueront point de nous apporter un prompt secours. Donne-moi ta lampe, Hans, peut-être reste-t-il quelque part un étroit passage. »

Ulrich examina avec le plus grand soin et la plus minutieuse attention les parois de la galerie: mais il ne découvrit pas la moindre fissure qui pût lui offrir même une ombre d'espoir de salut.

<< Il ne sert de rien de chercher à se tromper soimême, dit-il enfin avec un soupir; nous sommes prisonniers de ces pierres, et le secours ne peut nous venir que du dehors. Nos forces sont inutiles contre cette muraille; et, d'ailleurs, nous serons bientôt dans les ténèbres. Il n'y a plus d'huile dans

lampe était toujours là.... Il l'eut promptement | la lampe que pour trois heures; notre situation est

rallumée et se mit aussitôt à la recherche de son ami, fouillant tous les coins de l'étroite galerie où il se trouvait renfermé par l'éboulement. Il le trouva bientôt....

Ulrich, pâle et sans vie en apparence, mais sans blessure, gisait, étendu sur la face, à côté d'une large pierre qui l'avait protégé. Hans recueillit un peu d'eau dans le creux de sa main, lui en mouilla les tempes, et remarqua, avec une joie inexprimable, qu'une certaine rougeur colorait peu à peu les joues de son ami, et que sa poitrine semblait se gonfler comme pour rendre un profond soupir.

<< Ulrich! cria-t-il, mon cher Ulrich, réveilletoi! >>>

La voix de son ami parut ramener Ulrich à la vie. Il ouvrit les yeux et les promena lentement autour de lui comme quelqu'un qui ne se reconnaît plus.

• Hans! grand Dieu! tu vis! »
Ce furent là ses premières paroles.

<< Certainement, répondit Hans en le serrant dans ses bras. Mais, au nom du ciel, dis-moi ce qui nous est arrivé. J'ai entendu comme un coup

mauvaise, Hans; et il faut nous tenir prêts à tout, même à n'en plus sortir.

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