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ARBATE.

Mais à quoi bon, seigneur, les soins que vous prenez?
Et pourquoi ce secret où vous vous obstinez?
Vous aimez, dites-vous, cette illustre princesse,
Et venez à ses yeux signaler votre adresse;
Et nuls empressements, paroles ni soupirs,
Ne l'ont instruite encor de vos brûlants desirs!
Pour moi, je n'entends rien à cette politique
Qui ne veut point souffrir que votre cœur s'explique;
Et je ne sais quel fruit peut prétendre un amour
Qui fuit tous les moyens de se produire au jour.

EURYALE.

Et que ferai-je, Arbate, en déclarant ma peine,
Qu'attirer les dédains de cette ame hautaine,
Et me jeter au rang de ces princes soumis
Que le titre d'amants lui peint en ennemis?
Tu vois les souverains de Messène et de Pyle
Lui faire de leurs cœurs un hommage inutile,
Et de l'éclat pompeux des plus hautes vertus
En
appuyer en vain les respects assidus:

Ce rebut de leurs soins sous un triste silence
Retient de mon amour toute la violence;

Je me tiens condamné dans ces rivaux fameux,
Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux.

ARBATE.

Et c'est dans ce mépris et dans cette humeur fière Que votre ame à ses vœux doit voir plus de lumière, Puisque le sort vous donne à conquérir un cœur

Que défend seulement une simple froideur,
Et qui n'oppose point à l'ardeur qui vous presse
De quelque attachement l'invincible tendresse.
Un cœur préoccupé résiste puissamment:

Mais quand une ame est libre, on la force aisément;
Et toute la fierté de son indifférence

N'a rien dont ne triomphe un peu de patience.
Ne lui cachez donc plus le pouvoir de ses yeux,
Faites de votre flamme un éclat glorieux;
Et, bien loin de trembler de l'exemple des autres,
Du rebut de leurs vœux enflez l'espoir des vôtres.
Peut-être, pour toucher ses sévères appas,
Aurez-vous des secrets que ces princes n'ont pas;
Et, si de ses fiertés l'impérieux caprice

Ne vous fait éprouver un destin plus propice,
Au moins est-ce un bonheur, en ces extrémités,
Que de voir avec soi ses rivaux rebutés.

EURYALE.

J'aime à te voir presser cet aveu de ma flamme;
Combattant mes raisons, tu chatouilles mon ame;
Et par ce que j'ai dit je voulois pressentir
Si de ce que j'ai fait tu pourrois m'applaudir.
Car enfin, puisqu'il faut t'en faire confidence,
On doit à la princesse expliquer mon silence;
Et peut-être, au moment où je t'en parle ici,
Le secret de mon cœur, Arbate, est éclairci.
Cette chasse où, pour fuir la foule qui l'adore,
Tu sais qu'elle est allée au lever de l'aurore,

Est le temps que Moron, pour déclarer mon feu,

A pris.

ARBATE.

Moron, seigneur!

EURYALE.

Ce choix t'étonne un peu.

Par son titre de fou tu crois le bien connoître:

Mais sache qu'il l'est moins qu'il ne le veut paroître,
Et que, malgré l'emploi qu'il exerce aujourd'hui,
Il a plus de bon sens que tel qui rit de lui.
La princesse se plaît à ses bouffonneries:
Il s'en est fait aimer par cent plaisanteries,
Et peut, dans cet accès, dire et persuader

Ce

que d'autres que lui n'oseroient hasarder. Je le vois propre enfin à ce que j'en souhaite; Il a pour moi, dit-il, une amitié parfaite, Et veut, dans mes états ayant reçu le jour, Contre tous mes rivaux appuyer mon amour. Quelque argent mis en main pour soutenir ce zėle...

SCÈNE II.

EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON, derrière le théâtre.

Au secours! Sauvez-moi de la bête cruelle!

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MORON, derrière le théatre.

À moi, de grace, à moi!

EURYALE.

C'est lui-même. Où court-il avec un tel effroi?
MORON, entrant sans voir personne.

Où pourrai-je éviter ce sanglier redoutable?
Grands dieux, préservez-moi de sa dent effroyable!
Je vous promets, pourvu qu'il ne m'attrape pas,
Quatre livres d'encens et deux veaux des plus gras.
(rencontrant Euryale, que dans sa frayeur il
prend pour le sanglier qu'il évite.)

Ah! je suis mort.

EURYALE.

Qu'as-tu?

MORON.

Je vous croyois la bête

Dont à me diffamer j'ai vu la gueule prête,
Seigneur; et je ne puis revenir de ma peur.

Qu'est-ce?

EURYALE.

MORON.

Oh! que la princesse est d'une étrange humeur!

Et qu'à suivre la chasse et ses extravagances
Il nous faut essuyer de sottes complaisances!
Quel diable de plaisir trouvent tous les chasseurs
De se voir exposés à mille et mille peurs?
Encore si c'étoit qu'on ne fût qu'à la chasse

Des lièvres, des lapins, et des jeunes daims; passe:

Ce sont des animaux d'un naturel fort doux,
Et qui prennent toujours la fuite devant nous.
Mais d'aller attaquer de ces bêtes vilaines
Qui n'ont aucun respect pour les faces humaines,
Et qui tourent les gens qui les veulent courir,
C'est un sot passe-temps que je ne puis souffrir.

EURYALE.

Dis-nous donc ce que c'est.

MORON.

Le pénible exercice

Où de notre princesse a volé le caprice!
J'en aurois bien juré qu'elle auroit fait le tour;
Et, la course des chars se faisant'en ce jour,
Il falloit affecter ce contre-temps de chasse
Pour mépriser ces jeux avec meilleure grace,
Et faire voir... Mais chut. Achevons mon récit,
Et reprenons le fil de ce que j'avois dit.
Qu'ai-je dit?

EURYALE.

Tu parlois d'exercice pénible.

MORON.

Ah! oui. Succombant donc à ce travail horrible,
Car en chasseur fameux j'étois enharnaché,
Et dès le point du jour je m'étois découché,

Je me suis écarté de tous en galant homme;

Et, trouvant un lieu propre à dormir d'un bon somme, J'essayois ma posture, et, m'ajustant bientôt,

Prenois déja mon ton pour ronfler comme il faut,

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