Images de page
PDF
ePub

D. JUAN.

L'effet est admirable!

SGANARELLE.

Comment! il y avoit six jours entiers qu'il ne pouvoit mourir, et cela le fit mourir, tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace?

Tu as raison.

D. JUAN.

SGANARELLE.

Mais laissons là la médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses; car cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous. Vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me defendez que les rémontrances.

Hé bien?

D. JUAN.

SGANARELLE.

Je veux savoir vos pensées à fond, et vous connoître un peu mieux que je ne fais. Çà, quand voulez-vous mettre fin à vos débauches, et mener la vie d'un honnête homme?

D. JUAN leve la main pour lui donner un soufflet. Ah! maître sot, vous allez d'abord aux remontrances.

SGANARELLE, en se reculant.

Morbleu! je suis bien sot, en effet,.de vouloir m'amuser à raisonner avec vous: faites tout ce que vous

voudrez; il m'importe bien que vous vous perdiez

ou non, et que...

D. JUAN.

Tais-toi. Songeons à notre affaire. Ne serions-nous point égarés? Appelle cet homme que voilà là-bas, pour lui demander le chemin.

SCÈNE II.

D. JUAN, SGANARELLE, FRANCISQUE.

SGANARELLE.

Holà ho! l'homme! Ho! mon compère! Ho! l'ami! un petit mot, s'il vous plaît. Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.

FRANCISQUE.

Vous n'avez qu'à suivre cette route, messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que, depuis quelque

temps, il y a des voleurs ici autour.

D. JUAN.

Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grace de tout mon cœur de ton bon avis.

SCÈNE III.

D. JUAN, SGANARELLE.

SGANARELLE.

Ah! monsieur, quel bruit! quel cliquetis!

D. JUAN, regardant dans la forêt.

Que vois-je là, un homme attaqué par trois autres! la partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.

(Il met l'épée à la main, et court au lieu du combat.)

SCÈNE IV.

SGANARELLE.

Mon maître est un vrai enragé d'aller se présenter à un péril qui ne le cherche pas! Mais, ma foi, le secours a servi, et les deux ont fait fuir les trois.

SCÈNE V.

D. JUAN, D. CARLOS; SGANARELLE, au fond du théatre.......

D. CARLOS, remettant son épée.

On voit, par la fuite de ces voleurs, de quel secours est votre bras. Souffrez, monsieur, que je vous

rende grace d'une action si généreuse, et que....

D. JUAN.

Je n'ai rien fait, monsieur, que vous n'eussiez fait à ma place. Notre propre honneur est intéressé dans de pareilles aventures; et l'action de ces coquins étoit si lâche, que c'eût été y prendre part que de ne s'y pas opposer. Mais par quelle rencontre vous êtesvous trouvé entre leurs mains?

D. CARLOS.

Je m'étois, par hasard, égaré d'un frère et de tous ceux de notre suite; et comme je cherchois à les rejoindre, j'ai fait rencontre de ces voleurs, qui d'abord ont tué mon cheval, et qui, sans votre valeur, en auroient fait autant de moi.

D. JUAN.

Votre dessein étoit-il d'aller du côté de la ville?

D. CARLOS.

Oui, mais sans y vouloir entrer; et nous nous voyons obligés, mon frère et moi, à tenir la campagne pour une de ces fâcheuses affaires qui réduisent les gentilshommes à se sacrifier, eux et leur famille, à la sévérité de leur honneur, puisque enfin le plus doux succès en est toujours funeste, et que, si l'on ne quitte pas la vie, on est contraint de quitter le royaume; et c'est en quoi je trouve la condition d'un gentilhomme malheureuse, de ne pouvoir point s'assurer sur toute la prudence et toute l'honnêteté dé sa conduite, d'être asservi par les lois de l'honneur au

déréglement de la conduite d'autrui, et de voir sa vie, son repos, et ses biens, dépendre de la fantaisie du premier téméraire qui s'avisera de lui faire une de ces injures pour qui un honnête homme doit pé

rir.

D. JUAN.

On a cet avantage, qu'on fait courir le même risque et passer aussi mal le temps à ceux qui prennent fantaisie de nous venir faire une offense de gaieté de cœur. Mais ne seroit-ce point une indiscrétion que de vous demander quelle peut être votre affaire?

D. CARLOS.

La chose en est aux termes de n'en plus faire de secret; et, lorsque l'injure a une fois éclaté, notre honneur ne va point à vouloir cacher notre honte, mais à faire éclater notre vengeance, et à publier même le dessein que nous en avons. Ainsi, monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l'offense que nous cherchons à venger est une sœur séduite et enlevée d'un couyent, et que l'auteur de cette offense est un don Juan Tenorio, fils de don Louis Tenorio. Nous le cherchons depuis quelques jours, et nous l'avons suivi ce matin sur le rapport d'un valet qui nous a dit qu'il sortoit à cheval, accompagné de quatre ou cinq, et qu'il avoit pris le long de cette côte; mais tous nos soins ont été inutiles, et nous n'avons pu découvrir ce qu'il est devenu.

« PrécédentContinuer »