Le nombre des documents épigraphiques, tant khmers que sanscrits, que M. Aymonier a recueillis jusqu'ici au cours de sa mission archéologique au Cambodge et dont il a envoyé les estampages1 en France, s'élève dès maintenant à plus de trois cents numéros, dont la moitié environ est formée de textes sanscrits, et la moisson n'est pas près d'être finie. Après le Cambodge proprement dit et les anciennes provinces cambodgiennes aujourd'hui détenues par Siam, viendront le Laos, que M. Aymonier explore en ce moment même, ainsi que la 1 Ces estampages, exécutés avec beaucoup de soin, sont chaque fois en plusieurs exemplaires. Un des exemplaires est remis à la Société asiatique; les autres sont déposés à la Bibliothèque nationale. Outre TOME XXVII, 1 partie. re les estampages, M. Aymonier a envoyé en 1 MPRIMERIE NATIONALE. INSCRIPTIONS DU CAMBODGE. partie méridionale de l'Annam, où se trouvera peut-être la solution Le hasard d'un premier partage ayant mis entre mes mains les documents les plus anciens, et l'honneur m'étant ainsi échu d'ouvrir la série des « Inscriptions sanscrites du Cambodge », je n'ai à présenter qu'un petit nombre d'observations préliminaires. Le moment, en effet, n'est point encore venu d'écrire une introduction générale. Comme il arrive souvent en pareille matière, la préface ne pourra venir ici qu'à la fin du livre. C'est seulement lorsque la série entière des documents accessibles aura été publiée, que l'un de nous pourra essayer d'en retracer l'ensemble; de résumer l'histoire, hier encore inconnue, qu'ils nous révèlent; d'en coordonner les données parfois si instructives par le jour qu'elles jettent sur le développement social, religieux et littéraire, non seulement de ces contrées lointaines, mais aussi de l'Inde propre; d'apprécier enfin l'étendue et la force de pénétration de cette vieille culture hindoue que, naguère encore, on soupçonnait à peine et qui, pourtant, était ancienne déjà à l'époque de nos premières inscriptions, puisqu'on peut en suivre la trace jusque chez Ptolémée. Pour le moment, il suffira de renvoyer à l'inventaire que M. Bergaigne a dressé de ces inscriptions dans ses rapports insérés au Journal asiatique1. Ce résumé, joint aux éclaircissements particuliers qu'on trouvera sous chacun de nos textes, suffira, je l'espère, au lecteur pour s'y orienter. Les dix-neuf groupes d'inscriptions dont se compose le présent fascicule se partagent en deux séries: I-XIII sont les plus anciennes 1 Journal asiatique, août-septembre 1882, p. 139, et janvier 1884, p. 51. qu'on ait trouvées jusqu'ici. XIV-XIX comptent parmi les plus récentes. Les deux séries, étant séparées par un intervalle de trois siècles, sont naturellement écrites en des alphabets différents. La discussion de ces alphabets est également renvoyée à plus tard. Pour le moment, je me borne à dire que le plus ancien est originaire de l'Inde du Sud, que l'autre dérive du premier, que cette dérivation s'est faite très probablement au Cambodge même et que, malgré des différences d'aspect très considérables, ils n'en sont pas moins au fond identiques. Par contre, je dois indiquer dès maintenant les principales particularités de l'orthographe. Ces inscriptions ne distinguent pas le b du v. Cette confusion, commune à tant d'autres alphabets indiens ou de provenance indienne, et qui est très fréquente dans les textes de la première série, devient constante dans ceux de la deuxième : à partir de XV, le b ne reparaît plus. La répétition d'une consonne précédée der est habituelle, mais non constante : les exceptions, plus fréquentes dans la deuxième série que dans la première, ne se laissent ramener à aucune règle certaine. La même orthographe se rencontre dans les anciennes inscriptions sanscrites de Java et de Bornéo, qui offrent tant de points de ressemblance avec les nôtres. Des exemples d'un redoublement infiniment plus rare et décidément vicieux, celui de dh écrit ddh devant un y, se voient VI, A, 4; XI, 18 et 23; XVIII, B, 121. Par contre, une consonne étymologiquement double est souvent écrite simple, par exemple datvā, patra, satra, chatra, etc. L'usage étendu que font ces textes de la nasale gutturale n en place de l'anusvāra, notamment devant les sifflantes, se retrouve également à Bornéo et en kavi. D'ordinaire une sifflante reste devant une autre sifflante ou s'assimile, si elle est d'organe différent. Le jihvāmūlīya et l'upadhmaniya, que les plus anciennes inscriptions substituent régulièrement au visarga devant les sourdes gutturales et labiales, paraissent être tombés en désuétude de bonne heure: les textes de 1 Cette faute se rencontre souvent dans les manuscrits. Je l'ai trouvée particulièrement fréquente dans l'écriture kashmi rienne, tant devanagari que çarada, où INSCRIPTIONS SANSCRITES DU CAMBODGE. J. INSCRIPTIONS SANSCRITES DU CAMBODGE. 2 la première série semblent en accuser la disparition graduelle, et ils ne reparaissent dans aucune des inscriptions plus récentes. De même à Java, où ces signes étaient jadis en usage, ils se sont perdus de bonne heure et n'ont pas passé dans l'écriture kavi1. A de très rares exceptions près, il y a sandhi du premier pada2 au deuxième et du troisième au quatrième, tandis que le deuxième est suivi d'une pause 3. Il n'y a point de signe pour marquer l'élision. Les voyelles longues sont d'ordinaire correctement indiquées et la notation en est suffisamment distincte, excepté pour l'u dans l'alphabet ancien, où cette voyelle est représentée par plusieurs signes, parmi lesquels un, du moins, peut être pris indifféremment pour la brève ou pour la longue. Pour le cas spécial de ru et rũ, quand ces groupes ne sont pas souscrits, la confusion est commune à la plupart de nos textes. Il n'y en tout que sept endroits (V, 1; XVII, A, 5, 13, 21; XVIII, A, 18; D, 21; XIX, 5) où la longue soit correctement marquée. Parmi les consonnes, ce sont, comme partout, les cérébrales dont l'orthographe laisse le plus à désirer. Dans XVIII, la dentale est même employéc d'une façon constante dans certains mots, tels que sphuța et bhata. Le th que les anciennes inscriptions (excepté VIII) distinguent du th, ne reparaît plus à partir de XV. Quant au ḍ, il semble manquer abso 1 Ils ont de même disparu de bonne heure des textes épigraphiques de l'Inde propre. Dans les manuscrits, ils se sont maintenus plus longtemps. Dans l'écriture çārada du Kashmir, par exemple, ils ont subsisté jusqu'à nos jours. -Pour les rapprochements avec les inscriptions de l'Archipel, voir H. Kern, Over het Opschrift van Djamboe, 1877, et Over de Opschriften uit Koetei in Verband met de Geschiedenis van het Schrift in den Indischen Archipel, 1882. Ces deux mémoires sont extraits des Transactions de l'Académie des sciences d'Amsterdam. On peut aussi consulter K. F. Holle, Tabel van Oud- en Nieuw-Indische Alphabetten. Bijdrage tot de Palaeographie van Nederlandsch-Indië, Batavia et la Haye, 1882; mais en ayant soin de se défier des transcriptions, qui sont très souvent inexactes. 2 Toutes ces inscriptions sont en vers. 3 Il en est de même dans l'inscription de Pūrṇnavarman, à Djamboc (Java). Dans celles de Koetei (Bornéo), au contraire, il y a pause après chaque pada. Ces inscriptions, comme les nôtres, divisent les stances en leurs pādas. A toutes ces ressemblances avec l'ancienne épigraphic de l'Archipel, on peut en ajouter une autre, de nature différente, la finale en varman qui termine invariablement les noms royaux sanscrits. |