Ces deux inscriptions sont gravées sur le roc appelé Cho Dinh, dans la province annamite de Phu Yen. Elles se trouvent dans une partie creusée naturellement au pied d'une colline haute de 50 mètres environ, située au nord du cap Varella ou Varela. Cette colline, très visible de la mer, porte à son sommet une. tour tchame en briques, aujourd'hui ruinée. La plus petite des deux inscriptions est située un peu à gauche de la grande, et à la même hauteur. La grande, A, ne comprend d'ailleurs que deux lignes et demie de prose, mais en gros caractères dont le corps, abstraction faite des appendices supérieurs ou inférieurs, a 6 centimètres de haut. La petite, B, n'a qu'une courte ligne et le corps des caractères n'a que 2 centimètres environ de hauteur à cela près, ils paraissent aussi semblables que possible à ceux de A1. Ces deux inscriptions sont fort curieuses. La petite est malheureusement assez énigmatique à cause de son extrême brièveté. La grande, au contraire, est parfaitement claire dans son texte, quoiqu'il soit difficile de déterminer l'objet précis qu'on s'est proposé en la gravant sur ce roc de Cho Dinh. Toutes nos inscriptions, sans en excepter le numéro précédent, sont destinées à perpétuer le souvenir de donations faites, le plus souvent par des rois, à des temples, à des couvents, etc. Celle-ci renferme bien le nom d'un roi, Bhadravarman, 1 Voir ci-après, p. 202, l'analyse des signes distinctifs de cette écriture; sur la double forme de l'o, voir p. 201. INSCRIPTIONS SANSCRITES DE CAMPĂ. INSCRIPTIONS SANSCRITES DE CAMPA. qui prend le titre de dharmamahārāja1 « grand roi de la loi», mais On pourrait plutôt être tenté d'attribuer une origine de ce genre à Tout d'abord il n'est pas impossible que A et B aient été gravés en même temps. J'ai déjà constaté que les caractères sont aussi semblables qu'on peut l'attendre dans deux inscriptions graphiquement indépendantes. La petite fût-elle même une sorte de glose, cette glose serait sans doute à peu près contemporaine du texte auquel elle se rapporterait. Or, malgré l'éraflure qu'ont subie les deux derniers groupes dans leur partie supérieure, on ne peut guère hésiter qu'entre Quand on se reporte à la formule déjà citée de la grande inscrip- 1 Mème dans le numéro précédent, XX. Voir le groupe lo, A, 11, et le groupe ko, A, 13. Voir ci-dessus, p. 195, note 2. 2 INSCRIPTIONS SANSCRITES DE CAMPĂ. INSCRIPTIONS SANSCRITES DE CAMPA. ou, en souvenir de la terminologie védique, celui de « membre de la quatrième caste», ou qu'on doive lire un nom propre tel que civadāsa, il s'agit en tout cas d'un homme et notre texte, « le Dasa propitiatoire' (ou Çivadasa) est attaché » semble faire allusion, comme formule additionnelle ou comme glose, à un sacrifice humain. En fait, rien n'empêche d'admettre, entre le purushamedha purement védique et le culte sanglant de Kāli, la pratique de sacrifices humains offerts à Çiva. Çiva est déjà dans l'Atharva-Veda2 le dieu auquel on offre les cinq victimes, c'est-à-dire le chevreau, le mouton, le bœuf, le cheval et l'homme, et une légende du Mahabharata est consacrée au sacrifice que le roi Jarasandha voulut offrir à Mahadeva Paçupati, en prenant pour victimes les rois qu'il avait vaincus. L'interprétation proposée ne semble donc pas impossible. Mais elle est si grave, qu'il faut y regarder à deux fois avant de l'admettre, d'autant plus qu'après tout le fragment B peut être un graffito dénué de sens, j'entends une énigme inintelligible pour tout autre que celui qui a tracé ces mots, et ceux à qui il voulait les faire lire. En tout cas, les deux inscriptions sont certainement, après la précédente, les plus anciennes de celles qui ont été recueillies jusqu'à présent à Campā, et, selon toute vraisemblance, elles sont également plus anciennes qu'aucune des inscriptions connues du Cambodge. La seconde n'ayant que quelques caractères, nous raisonnerons sur la première, en rappelant une fois encore que l'autre lui est aussi semblable que possible. Tout d'abord, l'inscription A est plus moderne que XX. Elle a le t,. le n et par suite le n bouclés, et le y souscrit y a perdu sa forme pri mitive. D'autre part, elle paraît antérieure aux plus anciennes inscriptions du Cambodge, antérieures elles-mêmes au no XXII ci-après. Je n'insisterai pas sur la queue prolongée, simple et rectiligne du k et du r. 1 Cf. par exemple, dans le sacrifice d'un bœuf à Rudra, l'exclamation çivam çivam (Çankhayana-Çrautasūtra, IV, 17, 13). XI, 2, 9. Sabhāparvan, vers 626 - 3 el suivants. Cette particularité, que j'aurais pu relever également dans l'inscription précédente, peut paraître sans importance, puisque ces traits sont recourbés déjà dans l'inscription de Rudradāman à Girnar; que le double trait du r, régulier dans les plus anciennes inscriptions du Cambodge, y est plus tard remplacé par un trait simple; enfin que le k et le r, alignés dans l'inscription de Bhavavarman', dépassent la ligne dans plusieurs des inscriptions suivantes. La forme des voyelles me paraît plus significative. Nulle part au Cambodge nous ne les trouvons à un état aussi rudimentaire, l'i encore aussi éloigné du cercle auquel il doit aboutir, l'a et l'e formés d'un trait aussi court. L'o, qui prendra plus tard les mêmes formes à Campã qu'au Cambodge, est encore absolument semblable à celui de l'inscription précédente, excepté dans certains groupes dont B offre seul les exemples2. Il faut signaler surtout l'absence du virāma, dont l'usage est général au Cambodge dès les plus anciennes inscriptions. Ici, comme dans l'inscription précédente d'ailleurs, la consonne finale non rattachée au groupe suivant est écrite, avec des dimensions moindres, au-dessous de la ligne. C'est l'usage ancien, qui paraît s'être modifié dans l'Inde du sud à partir des Calukyas, mais qui est général encore au ve siècle dans les inscriptions des Pallavas3, des Vākāṭakas et des Kadambas. Un autre trait de ressemblance entre ces inscriptions et les nôtres (il n'y a plus ici de distinction à faire entre A et B) permet de les attribuer avec une grande probabilité au mème siècle. Je veux parler du petit carré creusé à la tète des lettres. Cet ornement qui, selon M. Bühler est « caractéristique de l'alphabet des Vākāṭakas et de ceux employés dans d'autres parties des provinces centrales », se retrouve INSCRIPTIONS SANSCRITES DE CAMPA. |