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ment de l'âge kali dans l'Inde propre, sur des données astronomiques. Elles auraient correspondu par exemple à quelque conjonction approximative de plusieurs planètes, calculée par des astronomes différents, d'où l'écart constaté entre elles.

Le linga érigé par Vicitrasagara était un mukhalinga, littéralement un «linga à visage ». On peut croire qu'il répondait à peu près à la description donnée par M. Aymonier d'un linga encore existant dans la tour de Po Klong Garai, sur une petite colline dominant la vallée de Phanrang1 : « A l'intérieur de la tour..., l'idole est un linga sur un socle creusé en bassin avec rigole d'écoulement. Sur ce linga est sculptée en demi-bosse une fine tête de divinité mâle, de grandeur naturelle, portant de fines moustaches. C'est certainement Çiva. »

Passons aux évènements historiques. En l'an 6962 de l'ère çaka, c'est-à-dire vers l'an 774 de notre ère, le mukhalinga fut visité par des ennemis. De la comparaison des récits contenus dans les deux inscriptions successives, il résulte que le temple fut brûlé, et les trésors enlevés ainsi que le linga, ou tout au moins la tête de Çiva dont il était orné. Satyavarman aurait poursuivi les ravisseurs et les aurait battus dans un combat naval. Mais, en tout cas, il ne recouvra ni les trésors ni la tète de Çiva, qui furent submergés.

Quels étaient ces ravisseurs? Il n'est pas question ici, comme dans notre n° XXII, des armées de Java. Les destructeurs de l'œuvre de Vicitrasagara venaient bien aussi d'un autre pays, sur des navires, mais leur pays n'est pas nommé. A défaut de noms, nous trouvons une description effrayante de ces pirates. Il faut en retenir trois traits: ils étaient très noirs, très maigres, et mangeurs d'hommes ». Reste à savoir s'il faut prendre la dernière expression à la lettre. Le degré de

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«

koça, sans en bien comprendre l'origine,
m'a paru indiquée par une succession de
dates relevée dans l'inscription tchame
n° 401. Voir Journal asiatique, janvier
1888, p. 81, note 6. Cf. plus haut,

p. 232, note 1, et plus loin, p. 253, note 3.

A. B.

32

IMPRIMERIE NATIONALE.

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civilisation que suppose une expédition lointaine en mer ne s'accorde guère avec les mœurs des anthropophages. Peut-être ne doit-on voir là qu'une injure. Il est curieux cependant que l'accusation revienne dans les deux récits, et il n'est pas impossible après tout que de vrais sauvages aient été embarqués par des pirates malais.

Le temple détruit fut relevé par Satyavarman pour un nouveau mukhalinga de Çiva qu'il érigea sous le vocable de Çri-Satyamukhalinga1, emprunté en partie, selon un usage déjà signalé, à son propre nom. A l'image de Çiva était jointe celle de son épouse, et aussi, semble-t-il2, celle de Ganeça. C'est cette œuvre qui fait l'objet de la première inscription. La date en est le septième jour de la quinzaine claire du mois de Vaiçakha ou Madhava (le second du printemps), un jeudi, l'an 706 de l'ère çāka, juste dix ans après la ruine de l'ancien temple3. L'édifice nouveau a probablement subsisté jusqu'à nos jours. Ce doit être au moins l'une des parties du monument de Po Nagar où la stèle a été trouvée, et dont les tours portent des inscriptions dont l'une, notre n° XXVIII, remonte à Harivarman, père de Vikrānta

varman.

Le n° 2 de notre stèle, le premier des trois qui appartiennent à Vikrantavarman, rappelle d'abord l'œuvre de Satyavarman et le malheur qu'elle était destinée à réparer, en remontant jusqu'à la légende de Vicitrasagara. Il décrit même longuement la statue de l'épouse de Çiva, dont il était à peine fait mention dans le no 1, et donne à la déesse, avec le nom de Bhagavati, celui de Kautharadevi, emprunté au pays de Kauṭhāra, en ajoutant qu'elle habite là près de la mer, sāgara; non sans allusion peut-être au fameux Vicitrasagara on sait que les fils du Sagara des légendes indiennes ont creusé le lit de la

mer.

:

L'objet propre du n° 2 est l'érection d'une nouvelle image de Çiva avec un sanctuaire pour la recevoir, sous le vocable de Cri-Mahadeva. La date de cette fondation n'est pas donnée. Après les deux çlokas 1 Ce nom n'est donné dans le n° 2, stance 1. que Voir no 1, st. tv, et p. 253, Cf. plus loin, p. 253, note 3. A. B.

note 1.

2

consacrés à l'œuvre de Vikrantavarman, et avant l'imprécation finale, l'inscription mentionne encore des donations faites par Satyavarman au sanctuaire qu'il avait lui-même érigé. C'est un singulier défaut d'ordre, et il est difficile d'en rendre compte. Ajoutons que, dans la première partie, les stances concernant la Kauṭhāradevi se rattachent mal à ce qui précède. Enfin la stance I, qui est en caractères plus petits, quoique de la même écriture, semble avoir été ajoutée après coup. Bref, tout ce n° 2 paraît mal rédigé, comme si les différentes parties en avaient été composées successivement, au fur et à mesure de la gravure, et de façon à couvrir finalement la face entière.

Les nos 3 et 4 ont pour objet des donations faites par Vikrantavarman, tant à son Çri-Mahādeva, qu'il appelle aussi Çri-Mahādeveçvara, qu'au Çri-Satyamukhalinga-deva de Satyavarman. Ni l'un ni l'autre ne contiennent de date.

Au contraire, les nos 5 et 6 sont datés tous les deux : ils sont très postérieurs.

Le n° 5 est d'un roi de « Campā» nommé Çri-Indravarman (Indravarman II), fils du roi Çri-Haravarman. L'objet en est l'érection par ce prince d'une statue d'or de Bhagavati, le onzième jour de la quinzaine claire de Çuci (l'un des mois d'été), un dimanche, en l'an 840 de l'ère çaka, par conséquent vers l'an 918 de notre ère.

L'intérêt de cette cinquième inscription est dans les données littéraires qu'elle contient. Le roi était, paraît-il, très lettré, et, dans l'énumération de ses connaissances, la stance III comprend, avec les six systèmes philosophiques, la doctrine de Buddha et les légendes, ākhyāna, la grammaire accompagnée de la Kāçikā, d'une part, et l'Uttarakalpa des çivaïtes de l'autre. Ce dernier ouvrage est probablement le même qui, d'après le catalogue des manuscrits d'Oxford dressé par M. Aufrecht', est cité dans la compilation tantrique intitulée Çaktānandatarangini. Il est intéressant d'en trouver déjà la mention dans une inscription du xe siècle.

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DE CAMPÅ.

'P. 103 b.

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Quant à la grammaire vyākaraṇa, c'est évidemment celle de Panini, avec son commentaire, la Kāçikāvṛitti. La mention de ce dernier ouvrage a une réelle importance pour l'histoire littéraire de l'Inde. On a beaucoup disputé sur sa date1, que les uns font remonter au VIIe siècle, tandis que d'autres la font descendre jusqu'au xire, ou même, comme l'éditeur du texte, Balaçãstrin, au xire, et l'on ne peut dire que la question soit encore définitivement résolue. Du moins, sera-t-il désormais impossible de supposer la Kaçikā postérieure au IXe siècle, puisque au commencement du xe, elle était connue sur la côte orientale de l'Indo-Chine.

Le n° 6 présente un intérêt d'un autre ordre. Il s'agit ici d'une concordance avec l'histoire du Cambodge. L'objet de l'inscription est l'érection en 887 de l'ère çaka (965 de notre ère), par un roi nommé Çri-Jaya-Indravarman, d'une statue de Bhagavati en pierre, pour remplacer la statue d'or d'Indravarman II. Celle-ci, de l'aveu de l'inscription elle-même, avait été enlevée par les Cambodgiens. Le texte ajoute, il est vrai, que les ravisseurs en sont morts, donnant à entendre peut-être qu'ils ont été châtiés par les Tchams. Mais en tout cas le fait d'un premier succès subsiste. La date n'en peut être cherchée qu'entre 840 çaka, date de l'érection de la première statue, et 887, date de l'érection de la seconde. Or, de 866 à 890 çaka, régnait au Cambodge un prince nommé Rajendravarman, qui, sur l'une de ses inscriptions, trouvée à Prasat Bat Chum, est comparé « au feu de la destruction universelle qui brûlait les royaumes ennemis à commencer par celui de Campa2 ». Cette formule peut faire allusion, soit au pillage du temple de Po Nagar, soit à quelque autre fait du même

genre.

Dans le nom de Cri-Jaya-Indravarman, nous venons de voir apparaître pour la première fois le terme jaya (sans samdhi), comme par

1

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Voir un résumé de ces discussions dans Max Müller, India, what can it teach us? p. 338-347. L'auteur se prononce pour le vir siècle. — Voir Journal asiatique, aoûtseptembre 1882, p. 164.

ticule honorifique, à la suite de çri. Cette particule est devenue plus
tard d'un usage régulier à Campā. Pour ne pas trop multiplier des
numéros d'ordre nécessairement provisoires en raison des lacunes qui
subsistent dans notre liste de rois, j'ai pris le parti de joindre cette
particule au nom, et d'appeler l'auteur de notre no 6,
non pas
varman III, mais Jaya-Indravarman Ier.

Indra

Entre six inscriptions dont la première est de 706, et la dernière de 887 çaka, il y a naturellement des diversités d'écriture notables. Le n° 1, émanant de Satyavarman, diffère peu des inscriptions d'Indravarman Ier. Si nous ne connaissions l'ordre de succession de ces rois et les dates de leurs inscriptions, l'écriture de Satyavarman pourrait mème sembler un peu plus moderne. Non seulement le k et le r n'y sont pas prolongés au-dessous de la ligne, mais le t y montre déjà une tendance à se désarticuler par l'inachèvement de la boucle de gauche et le détachement du trait de droite : c'est là un trait caractéristique des écritures postérieures de Campā.

Dans le n° 2, on remarque une imitation voulue de l'écriture du no 1. Ce qui met la chose hors de doute, c'est qu'au milieu de la ligne 15, après un signe de ponctuation d'ailleurs plus caractérisé1, le style de l'écriture change pour le çloka contenant le nom de Vikrāntavarman. On y reconnaît les caractères fleuris et penchés en arrière du no XXIV. Puis l'écriture propre du règne fait de nouveau place à une imitation de l'écriture de Satyavarman.

Elle reparaît au contraire dans les nos 3 et 4. Le k et le r y sont prolongés au-dessous de la ligne comme dans les écritures d'Indravarman. Il en est de même du signe de l'a et de la partie identique du signe de l'o. Ces prolongements sont exagérés dans le n° 3, et cette particularité, jointe à l'étroitesse des caractères, donne à l'ensemble un aspect singulièrement grêle, tout en lui laissant l'élégance et en accusant encore la régularité déjà signalée dans le n° XXIV.

1

1 Les deux traits verticaux marquant la fin de la stance sont entourés d'un rond. Plus fleuris encore dans ce passage, qui est en quelque sorte souligné.

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