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Tirésias de douleur en mourut;

Et ses enfans, dont sa douce sagesse
Avec bonté dirigea la jeunesse,

Ces cœurs ingrats, loin de donner des pleurs
A ce vieillard qui, par trop de tendresse,
Finit ses jours en pleurant leurs malheurs,
L'abandonnant à son heure dernière,
Le laissent seul achever sa carrière;
Ne songent plus, le jour de son trépas,
Qu'à se parer de guirlandes nouvelles,
Qu'à relever avec soin leurs appas
Des ornemens, des secours délicats
Que prête l'art aux grâces naturelles.
Ce même esprit, cet insipide goût,
Par qui chacun, devenu son idole,
Et se compare et se préfère à tout,
Régna depuis dans cette île frivole;
Et c'est de là (si l'on croit nos aïeux)
Que nos Français virent fondre chez eux
Ce tourbillon de ridicules êtres

Qu'on a nommés coquettes, petits-maîtres,
Narcisses vains, pour eux seuls prévenus,
Paons orgueilleux qui se rendent hommage
Insolemment étalent leur plumage,
Et font la guerre aux oiseaux de Vénus.

Qui que tu sois, amant de ton image, Toi qui, pour elle animé d'un beau feu, La suis de l'œil, et la vois en tout lieu,

Caresse en paix cette image chérie,

Passe à ses pieds ta glorieuse vie ;

Dans les miroirs, dans le plus fin cristal
Cherche les traits qui ravissent ton âme,
Et ne crains pas qu'on traverse ta flamme :
Ce n'est pas moi qui serai ton rival.

Nous croyons servir nos lecteurs en ajoutant quelques détails sur le personnage de Narcisse, auxquels le traducteur ne pouvait se livrer que par le moyen des notes.

Narcisse, né à Thespies, ville de Béotie, était d'une grande beauté ; il passait pour le fils du fleuve Céphise. Selon Pausanias, Narcisse avait une sœur qui lui ressemblait parfaitement; souvent même ils s'habillaient l'un comme l'autre, et chassaient ensemble. Narcisse devint amoureux de sa sœur ; mais, il eut le malheur de la perdre. Après s'être livré à la douleur, il venait sur le bord d'une fontaine ; il prenait plaisir à s'y contempler. En se voyant, il croyait voir sa sœur, et c'était une consolation pour lui Si cette version était vraie, le motif sur lequel Ovide a bâti sa fable, deviendrait nul, puisque, au lieu de se laisser consumer d'amour et de désirs pour lui-même, Narcisse serait mort victime de l'amour fraternel.

La version employée par Ovide, paraît être la plus accréditée; et, en la traduisant, Malfilâtre a prouvé qu'il était digne de faire passer dans notre langue les beautés de la langue latine.

Ce poème, et son ode intitulée le Soleil fixe au milieu

des planètes, que nous avons placée au tome IX, sont ce que Malfilâtre a produit de mieux. Il fût devenu, sans doute, l'un de nos meilleurs poëtes, si la mort l'eût ar rêté moins jeune dans sa carrière, et si la fortune l'eût un peu plus favorisé. Il était né à Caën le 8 octobre 1732, et mourut à Paris le 6 mars 1767, dans un état voisin de la misère. Gilbert, qui ne mourut guère plus heureux, a dit, en parlant de ce poëte :

La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré
S'il n'eût été qu'un sot, il aurait prospéré.j

PHROSINE

ET

MÉLIDORE;

PAR BERNARD.

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