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Et lever le rideau qui la couvré à mes yeux.
Tandis que le sommeil engourdit tous les êtres,
Ma muse, au point du jour, errante sur des fleurs,
Chanterait des bergers les innocentes mœurs,
Et frapperait l'écho de ses pipeaux champêtres.
Coulez avec lenteur, délicieux instans!

Oh! quel ravissement égale

Celui qu'un ciel serein fait naître dans nos sens!
Quel charme prête à nos accens
L'éclat majestueux de l'aube matinale!

Quel plaisir sous des cintres verts,

De respirer le baume et la fraîcheur des airs,
D'entendre bouillonner une source qui tombe,
Là les hôtes des bois préluder leurs concerts,
Ici sur des rameaux soupirer la colombe !

Souvent la douce paix qui règne dans les bois,
Eleyerait ma muse à des objets sublimes :
J'oserais consacrer mes rimes

A chanter les héros, les vertus et les lois.
De la nuit des tombeaux, écartant les ténèbres,
Souvent j'évoquerais ces oracles célèbres,
A qui l'Enthousiasme a dressé des autels,
Ces esprits créateurs, ces bienfaiteurs du monde,
Qui, par des écrits immortels,

Ont chassé loin de nous l'ignorance profonde.
Rassemblés devant moi, les grands législateurs
Offriraient à mes yeux leur code politique,

Précieux monument de la sagesse antique;
Ceux à qui la nature ouvrit ses profondeurs,
Me feraient pénétrer dans leur laboratoire;
D'autres des nations me décriraient les mœurs
Et les faits éclatans consignés dans l'histoire,
Et l'affligeant tableau des humaines erreurs.
Combien je bénirais Titus et sa mémoire !
Que Socrate mourant me coûterait de pleurs !
Mais puissé-je oublier les héros destructeurs,
Dont le malheur public a fait toute la gloire!

La nuit me surprendrait assis dans un festin,
Auprès d'une troupe choisie,
Conversant de philosophie,

Et raisonnant, le verre en main,
Sur le vain songe de la vie.

Pour sauver de l'oubli ses écrits et son nom,
Qu'un autre se consume en de pénibles veilles :
Si je cueillais, Zirphé, sur tes lèvres vermeilles
Le prix flatteur d'une chanson,

A mes vers négligés si tu daignais sourire,
Serait-il pour mon cœur un suffrage plus doux ?
T'intéresser, te plaire, est le but où j'aspire :
De l'immortalité je serais moins jaloux.
Que me fait, près de toi, l'opinion des hommes ?
Que me fait l'avenir? le présent est à nous;
Notre univers est où nous sommes.

Déjà je vois le temps précipiter son cours,
Et faner sur mon front la brillante couronne
Dont je suis décoré par la main des Amours,
Comme on voit se faner le feuillage d'automne :
O nœuds de l'amitié que je portai toujours,
Réparez dans mon cœur ces douloureuses pertes:
Les sources du plaisir me sont encore ouvertes,
Si vous me consolez au déclin de mes jours!

Félicité du sage! ô sort digne d'envie!
C'est à te posséder que je borne mes vœux.
Eh! que me faudrait-il pour être plus heureux ?
J'aurai, dans cette courte vie,

Joui de tous les biens répandus sous les cieux;
Chéri de toi, ma douce amie,

Et des cœurs droits qui m'ont connu,
D'un riant avenir égayant ma pensée,

Adorateur de la vertu,

N'ayant point à gémir de l'avoir embrassée,
Libre des passions dont l'homme est combattu,
Je verrai sans effroi se briser mon argile.
Qu'a-t-on à redouter quand on a bien vécu?
Un jour pur est suivi par une nuit tranquille.

Pleurez, ô mes amis, quand mon luth sous mes doigts
Cessera de se faire entendre;

Et si vous marchez quelquefois
Sur la terre où sera ma cendre,

Poëmes philosoph.

27

Dites-vous l'un à l'autre : « Il avait un cœur tendre;
» L'amitié lui fut chère, il respecta ses lois. »
Et toi, qui réunis les talens et les charmes,
Tu laisseras peut-être échapper quelques larmes,
Quand près de mon tombeau tu porteras tes pas.
Oh! si je puis briser les chaînes du trépas,
Pour visiter encor ces retraites fleuries,

Ces bois, ces coteaux, ces prairies,

Où tu daignas souvent me serrer dans tes bras;
Si mon âme vers toi peut descendre ici bas,
Qu'un doux frémissement t'annonce sa présence;
Quand, l'esprit pénétré des célestes objets,
Tu viendras méditer dans l'ombre des bosquets,
Crois qu'alors sur ta tête elle plane en silence.

LÉONARD.

OU

L'EMBLEME DE LA VIE HUMAINE.

ASSEMBLAGE Confus d'une arène mobile,
Que l'art sut enfermer dans ce vase fragile ;
Image de ma vie, horloge dont le cours

Règle tous mes devoirs, en mesurant mes jours;
Puisqu'à te célébrer ma muse est destinée,
Fais couler, pour mes vers, une heure fortunée !
Et vous, pour qui le monde a de si doux appas,
Qui souffrez à regret ceux qui ne l'aiment pas,
Mortels, venez ici: je veux, dans cet ouvrage,
Du monde, tel qu'il est, vous tracer une image.

Qu'est le monde en effet? c'est un verre qui luit, Qu'un souffle peut détruire, et qu'un souffle a produit. Que sont tous les mortels? Autant de grains de sable, Qu'anime cependant une âme raisonnable;

Mais qui du sable seul occupés ardemment,
Font leur unique emploi de leur accroissement:
On l'échange, on le vend; on l'achète, on l'amasse ;
Et, morceaux sur morceaux, l'avarice l'entasse.
Le marchand qui ne craint ni les vents, ni les eaux,
Confiant sa fortune à de frêles vaisseaux,
Court aux extrémités de la plaine liquide,
Vendre un sable brillant pour un sable solide.

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