Après ces préliminaires indispensables, il est temps de faire connaître la nature de ce document et de dire ce que nous pouvons savoir de son auteur. C'est le débris d'un registre commercial, en forme de livre-journal, tenu par un marchand drapier de Forcalquier, appelé Ugo Teralh. Ce marchand était en même temps notaire. Il est du moins qualifié ainsi en deux endroits (art. 50, 79); ailleurs il est désigné simplement par son nom, sans qualification aucune (art. 11, 67, 77, 80, etc.). Existe-t-il d'autres écritures de maître Ugo Teralh? Je l'ignore; peut-être une recherche chez les notaires de Forcalquier donnerait-elle quelques résultats. Car, dans les Basses-Alpes, beaucoup de notaires possèdent encore des séries de registres remontant au XIVe siècle. Je l'ai constaté, sinon à Forcalquier, du moins à Manosque qui n'est pas loin. Ce qui est certain, c'est que deux des membres de la famille Teralh ont exercé la profession de notaire. Dans l'obituaire du chapitre de Saint-Mary de Forcalquier figurent,.à la date du 28 avril, un Petrus Terralhi, notarius, qui laissa, en 1320, cinq sous à l'église de Saint-Mary pour son anniversaire, et à la date du 1er mai, un G. Teralli, notarius, mort en 1303. Il est encore question, dans le même obituaire, d'un Johannes Terralhi, presbiter de Forcalquerio, qui testa en 1380 (1). Venons-en maintenant à la disposition matérielle du registre. Chaque page est divisée en trois colonnes. Celle de gauche ne contient qu'un mot : le nom du lieu que l'acheteur habitait; ainsi, à la première page, nous lisons Labrillane, Oraison, Forcalquier, localités où résidaient les clients de maître Ugo Teralh. Cette colonne manque au verso de tous les feuillets, sauf aux feuillets xxvij et xxviij, qui sont à peu près entiers. La perte est peu importante. La colonne du milieu, qui est la plus large des trois, contient le détail des opérations commerciales, qui sont toutes datées des années 1330 à 133 2 (2). D'abord le nom de l'acheteur, puis la description de l'objet acheté, la date à laquelle le payement sera effectué, et la date de la livraison, sous cette forme : Doit N... tant de sous et de deniers pour tant de cannes ou d'empans (palms) de telle étoffe. Payer à telle date (d'autres fois « à ma requête », ou « maintenant »). A cela se borne ordinairement l'énoncé de la vente, mais parfois on ajoute le nom de personnes qui se portent comme caution (fermansa...); d'autres fois, probablement quand la solvabilité de l'acheteur ne paraissait pas suffisamment établie, on mentionne que note de l'obligation a été prise par un notaire dont on donne le nom. Dans la plupart des cas, l'article est rédigé par le commerçant; nous verrons plus loin que ces articles sont de deux mains différentes. Mais, en certains cas, l'article est rédigé par la partie prenante. Si l'acheteur est un notaire, il ne manquera pas d'écrire lui-même son obligation, en latin, avec les formules habituelles, terminant son acte par son seing manuel: in cujus rei testimonium, hec (ou presens instrumentum) scripsi et signo meo signavi (art. 47, 50, 79, 152, 184). Souvent l'acheteur est juif. En ce cas, il arrive très fréquemment qu'il écrit son obligation en hébreu (art. 11, 67, 77, 80, 123, 129, 158, 163), et le commerçant écrit à la suite, en provençal, les conditions de la vente, ajoutant que l'acheteur juif a écrit de sa main la mention de sa dette. Deux fois seulement nous voyons le client écrire son obligation en provençal (art. 165, 175). La différence de l'écriture et certains détails de la rédaction montrent que, dans ces deux cas, c'est bien l'acheteur qui a tenu la plume. En tout cas, ce n'est pas le vendeur. Nous arrivons maintenant à la troisième colonne, qui occupe la droite de chaque page. Cette colonne est coupée entièrement ou partiellement au recto de tous les feuillets, abstraction faite des feuillets xxvij et xxviij, les seuls complets. Elle est consacrée à la mention des payements, qui ont lieu soit en une fois, soit en plusieurs. Le payement fait, l'article de la colonne centrale est cancellé; si l'indication du payement fait défaut, ce qui est rare, l'article n'est point cancellé. J'ai dit plus haut que certains articles étaient écrits de la main même des acheteurs, constituant ainsi de leur part une obligation légale. Les autres, de beaucoup les plus nombreux, émanent du marchand drapier Ugo Terath, qui était en même temps notaire. Assurément le livre-journal dont nous avons ici un fragment pouvait faire foi en justice. Les articles rédigés par le vendeur sont de deux écritures dont la différence se reconnaît à première vue. La rédaction et la langue se distinguent aussi par certaines particularités. L'un des écrivains, que j'appellerai A, date comme suit les opérations : d'abord le quantième du mois, puis le millésime: ainsi, à l'article 5 : E pres [o] lo xv jorn de novembre м ccc xxx. C'est bien ainsi que nous datons. L'écrivain B commence par le millésime; art. 2: E pres o м ccc xxx, lo xj jorn de novembre. Une autre différence est l'écrivain A trace en toutes lettres le mot pagar, que tandis que B met en abrégé pa. Il est certain que l'écrivain A est maître Ugo Teralh lui-même; l'autre doit avoir été son associé ou son commis, qui n'est nommé nulle part. Ce qui me fait supposer que l'écriture A est celle de Teralh, c'est d'abord la variété qu'on observe dans la rédaction d'une formule qui reparaît plusieurs fois. Cette formule est tantôt pagar a ma requista, et tantôt pagar a sa requista. La première de ces deux rédactions semble bien être celle que devait employer le chef de la maison, Ugo Teralh; l'autre convient plutôt à un employé. Or pagar a ma requista est toujours de l'écriture A (art. 160, 174), tandis que pagar a sa requista est de l'écriture B (art. 88). Ailleurs on trouve pagar a nostra requista, soit de l'écriture A (art. 156, 158, 166), soit de l'écriture B (art. 92). Enfin -et ceci est décisif c'est de la main que je désigne par A que sont écrits deux articles où Ugo Teralh se nomme : A pagat Berenguiara sa molher a mi Hugo (art. 125), et plus loin, Pagar a ma requista. E fesem aquest comte [ieu] Ugo Teralh el dit: Raymon (art. 160). Le fac-similé joint au présent mémoire permet de se rendre compte, à première vue, de la disposition du registre et de la différence des deux écritures (1). Les deux pages ici reproduites contiennent les articles 123 à 131 de l'édition. Les numéros 123 et 130 sont de la main d'Ugo Teralh; le reste est de B. Il est à propos de noter ici quelques-unes des différences phonétiques ou simplement graphiques qui existent entre A et B. La diphtongue provençale ie provenant du latin ě tonique suivi d'une (1) Le fac-similé a les dimensions de l'original. Seulement, afin qu'il fût possible de le placer sans repli dans les Notices, j'ai fait supprimer quatre centimètres de la marge infé rieure, où il n'y avait rien d'écrit, sinon des chiffres que je n'ai pas reproduits dans l'édition, et qui paraissent être la somme des créances restant à recouvrer. |