mouillure, ou de la finale latine -arius, passe à ia dans A et reste ie dans Ces formes, où ia remplace ie, sont fréquentes dans la plus grande partie des Basses-Alpes, principalement à l'ouest et au sud du département. Je les ai rencontrées non seulement à Forcalquier, mais à Sisteron, à Digne, et plus au sud, en des cas exceptionnels, à Berre, dans les Bouches-du-Rhône. Elles s'observent aussi sporadiquement en Languedoc (1), mais plus tard. Dans A, Ŏ tonique, influencé par la mouillure de la posttonique, se diphtongue en ua : Puay (Podium), 9, 106; dans B, en ue: Puey, 147, uey (hodie), 140. Dans A, la dentale intervocale est conservée, sauf modification du t en det du d en z, dans B elle disparaît: A Bezes, Beses, 73, 166, 176, 179. redon, 16, 61, 72, 73, 77, 89, 145. Redortiar, 136. B Bees, 12, 15, 17, 127. reon, 70, 71, 103, 151, 153, 155. Cette différence est particulièrement caractéristique. Elle me porte à croire que l'écrivain B appartenait à une région un peu plus septentrionale que Forcalquier, soit Sisteron ou Seyne. J'indiquerai enfin quelques différences moins sensibles : A écrit toujours jor, Bjorn; — A Pandecosta, 61, 68, 172, 173; B Pande (1) Voir, entre autres, un texte de Gignac (arr. de Lodève) dans la Revue des langues romanes, J, 295. quosta, 52, 62, 65, 71; A Joan, 60, 63, 76, 97, 106, 120; B Jhoan, 51, 81, 101, 104, 105, 139, 157, ou Jhuan, 82, 86, 104, 107, 128, Juan, 84. Il me semble superflu de poursuivre la comparaison. Afin de mettre le lecteur à même de pousser plus loin la recherche des nuances qui séparent les deux écrivains, je donnerai ici l'indication des articles qui ont été écrits par chacun. Il ne s'agit que des articles de la colonne médiane. Les payements marqués à la troisième colonne sont écrits tantôt par A, tantôt par B, mais, comme les mentions de cette colonne sont fort brèves et n'ont aucune importance linguistique, je crois inutile de spécifier l'auteur de chacune d'elles. A 5-7, 9-11, 16, 29, 55-61, 63, 67-69, 72, 73, 77, 80, 83, 89, 96, 106, 108, 110, 111, 117-123, 125, 130, 132136, 141, 143-145, 156, 158-160, 163, 166-174, 176-181, 183, 185-187. B 1-4, 8, 13-15, 17-28, 30-45, 48, 49, 51-54, 62, 64-66, 70, 71, 74-76, 78, 81, 82, 84-88, 90-95, 97-105, 107, 109, 112-116, 124, 126-129, 131, 137-140, 142, 146-151, 153-155, 157, 161, 162, 164, 182. Il est clair que c'est seulement dans les articles écrits par Ugo Teralh (écriture A) qu'il faudra chercher l'idiome parlé à Forcalquier vers le premier tiers du xive siècle. Au point de vue linguistique, ces articles sont un document d'une valeur d'autant plus grande qu'il n'existe point, à ma connaissance, pour Forcalquier, de textes de langue aussi anciens (1). Quelquesuns des faits qui caractérisent la langue de Teralh ont été relevés plus haut. J'ajouterai ici une remarque sur un point particulier qui a son importance, ne voulant pas d'ailleurs introduire ici une étude linguistique qui exigerait des comparaisons avec d'autres documents et, par conséquent, demanderait beaucoup d'espace. Il s'agit du c initial (ou dernière consonne d'un groupe de consonnes) devant a. Dans les parties écrites par Ugo Teralh, ce c devient régulièrement ch. Sans doute le même fait s'observe aussi dans les articles écrits par B, mais nous avons vu que l'associé de Teralh laissait tomber la dentale placée entre deux voyelles, ce qui indique une région un peu moins méridionale que Forcalquier. Ugo Teralh écrit chalenas (10), toutefois calenas (133), chapion (1) Les textes de Forcalquier, que j'imprime en ce moment dans la Romania (t. XXVII), ne sont que du xv siècle. (108, 122), chausas (12, 77, 80, etc.); de même les noms propres Chamin (177), (Chastol 72,111), Blanchart (10), Rabastencha (63, 64), etc. Certains mots font exception. Les uns sont des termes en quelque sorte techniques étrangers par leur origine à la région où est situé Forcalquier, tels que cadis, camelin, cavellat ou canellat, escacat (1); d'autres comme capellans (132) ont pu subir une influence savante. Or il est remarquable qu'actuellement Forcalquier est dans la région où la prononciation ca prédomine, à l'exclusion de la prononciation cha, qui pourtant est conservée dans quelques mots; cha est considéré comme l'une des caractéristiques de la prononciation des montagnards, des gavots. Il est donc évident qu'à Forcalquier, comme à Digne (2), l'usage méridional (ca) a gagné du terrain depuis le xive siècle. Remarquons en passant que les deux écrivains ont encore une vague connaissance de la déclinaison. Beaucoup de mots, surtout parmi les noms propres, ont une s au cas sujet. Mais, quelle que soit la valeur linguistique du document que j'ai trouvé à Forcalquier, ce qui doit ici être mis surtout en relief, c'est l'intérêt que présente ce livre-journal pour l'histoire du commerce et de l'industrie dans le Midi. On ne connaît pas en France, si je suis bien informé, de registre commercial aussi ancien que celui d'Ugo Teralh. Les livres qui s'en rapprochent le plus par la date sont les comptes des frères Bonis, marchands montalbanais, publiés récemment (3), qui s'étendent de 1339 à 1368. Mais il n'y a aucun rapport entre le commerce des frères Bonis, qui vendaient de tout, et celui de notre Forcalquerois, qui vendait uniquement des étoffes de laine. La façon dont les livres sont tenus diffère également du tout au tout. Ugo Teralh ne vend que de la draperie, et il la vend à la canne (environ 2 mètres) et à l'empan (25 centim.). Il vend aussi quelques vêtements confectionnés des chausses, des capuchons (chapions), des manches (manegas). Les étoffes sont généralement désignées par leur couleur et par leur : provenance. y a du blanquet de Béziers et de Limoux; du bleu (blau) de Béziers, de Carcassonne, de Limoux, de Saint-Pons (Hérault); du jaune (cruec) de Car (1) Ces mots sont enregistrés à la table avec renvois. (2) Pour Digne, voir ce que je dis dans Romania, XXIV, 553. (3) Par M. Edouard Forestié, en 2 vol. in-8° (1890-1894), pour la Société des Archives historiques de la Gascogne. cassonne; de l'échiqueté (escacat, eyschaquat) de Carcassonne, de Lodève, de Toulouse; de la roussette (rosseta) de Limoux; du vair de Carcassonne, de Rouen, de Toulouse; du rouge (vermelh) de Carcassonne, de Narbonne; du vert de Limoux; du violet (violeta) de Carcassonne (1). Tout cela est assez clair, et d'ailleurs on trouve en d'autres documents, notamment dans les comptes des frères Bonis, des mentions analogues, quoique non identiques (2). Nous savons aussi à peu près ce qu'on entendait par mesclat; c'était le « drap meslé » des documents du Nord (3). Il en venait de Montolieu, petite ville de l'arrondissement de Carcassonne où il y avait, récemment encore(4), des fabriques de drap; il en venait aussi de Toulouse. Mais le mesclat est-il identique au meschat des articles 134, 150 et 159? Je ne le crois pas, d'autant plus que les articles 134 et 159 sont de l'écriture A, tandis que l'article 150 est de l'écriture B, ce qui exclut l'hypothèse d'une erreur ou d'une simple variante de forme. Il est notable que, sauf trois exceptions qui seront spécifiées plus loin, toutes les fois que la provenance d'une étoffe est indiquée, cette provenance est une localité du Languedoc. Nous ne nous en étonnons pas. Nous savions, d'une manière générale, que cette province était renommée pour la fabrication des draps (5). Le pannus Sancti Pontii vel Narbone, qui était considéré comme un drap à bon marché (vilis), est cité dans un acte de 1218 imprimé dans le Cartulaire de Saint-Victor de Marseille (II, 275); les panni Narbone figurent dans le tarif du péage de Tarascon (ibid., I, LXXXIV) (6); les gros draps de Narbonne, de Montolieu, de Toulouse, de Rodez, dans celui de Cordes, en (1) Voir pour les références, qui permettront d'apprécier la fréquence relative de ces mentions, la table, aux formes provençales placées ici entre parenthèses. (2) Voir le « Glossaire et table des matières de l'édition, au mot DRAP. Mais les provenances manquent ou sont autres que dans le registre d'Ugo Teralh. (3) Voir Du Cange, sous PANNUS MIXTUS; cf. Bourquelot, Études sur les foires de Champagne, 1, 238 (extrait du tome V des Mém. présentés à l'Académie des inscr.). Bourquelot ne cite XXXVI. que ་ les « mêlés » de Provins, d'après Pegolotti, Practica della mercatura. (1) Le Dictionnaire des postes les indique dans l'édition de 1876. (5) On peut voir à ce sujet Vaissète, Hist. de Languedoc, éd. Privat, IX, 377 (*) Il y a une sentence arbitrale (1274), concernant un différend entre les pareurs et les tisseurs de Narbonne dans le thalamus de cette ville (Mouynès, Arch. de Narbonne, I, Annexes de la série AA, n° LXXVII, p. 126 et suiv.). On n'y trouve rien qui puisse servir à élucider notre texte. 18 IMPRIMERIE NATIONALE. 1278(1). Les panni de Langadoc sont mentionnés dans un règlement du Conseil de Nice, en 1402 (2), et, en 1483, il est question de drap de Lodève dans une sentence arbitrale rendue dans la même ville au sujet d'un différend entre deux marchands drapiers (3). Mais le livre d'Ugo Teralh nous donne une idée bien autrement précise de l'importance de l'industrie de la laine en Languedoc. Malheureusement les noms d'étoffes qu'il nous fait connaître ne sont pas toujours très clairs. Quelle sorte d'étoffe était l'arangilat, mentionné sans indication de provenance (art. 66, 71, 154, 160), ou l'esquiat de Toulouse (art. 52, 56)? Et la palmella blaua de Carcassonne? Je lis dans Du Cange (Carpentier) PANNUS DE PAUMELA « granis hordaceis, ut videtur intertinctus », mais cette explication est fort douteuse. Voici deux passages, tirés d'un règlement des tisseurs de La Grasse (arrond. de Carcassonne), promulgué le 24 avril 1360, d'où il résulte qu'il existait un certain rapport, que je ne suis pas en état de déterminer, entre la palmella et le mesclat : [III] E que lo dich cap) se pusque far als draps tretzes apelats mesclats, tenches de tenche de payrols aysi que desus es dich. E si tan sera que degus volgues far draps de palmela tretzes ou de mens de moyso de penche, non y auso far degun cap ni aureyra (5). [V] Encara mays que degus no ause tenher ni far tenher troquas ni madaychas (6) ni deguna filadura blancha no (ne?) burela per far ou per contrafar palmelas ou mesclats, exceptat madaychas tostas per aurieras (7). Il est certain qu'il reste bien des recherches à faire sur la fabrication des étoffes de laine en Languedoc (8). Trois étoffes étrangères au Languedoc sont indiquées : le vayr de Rouen (art. 28), le blou de Saint-Denis (art. 172), et un drap de Provins (art. 112) qui, par suite d'une lacune du manuscrit, n'est pas déterminé. Nous sommes (1) Rossignol, Monographies communales du Tarn, III, 168. (2) Cais de Pierlas, La ville de Nice pendant la domination des princes de Savoie (Turin, 1898), p. 391. (3) Ibid., p. 486. (4) Sorte de bordure, en tête de la pièce, où était placée la marque de fabrique. (*) Le bord, la lisière du drap, Mistral, óu RIERO. () a Trochets ni écheveaux », Raynouard; cet exemple est, en effet, cité dans le Lexique roman, (IV, 113) d'après Doat, t. LXVII, d'où est tiré le texte de Mahul. Cf. Mistral, MADAISSO et TRACHEU. (7) Mahul, Cartulaire et archives des communes de l'ancien diocèse et de l'arrondissement de Carcassonne, II, 500. (8) Les recherches de M. C. Port (Essai sur l'histoire du commerce de Narbonne, Paris, 1854, p. 56 et suiv.), concernent le commerce plutôt que la fabrication des draps. |