Après ces observations générales sur nos trois recueils, je vais procéder à la description et à l'analyse de chacun d'eux, dans l'ordre suivant : A, LONDRES, Musée brit., Addit. 17275; B, PARIS, B. N. fr. 185; C, PARIS, B. N. fr. 183. Cet ordre est déterminé par le nombre des légendes que renferme chaque recueil, en commençant par celui qui en a le plus. Dans le cas très fréquent où un même morceau est commun aux trois recueils, je donnerai une seule fois, dans la notice du recueil A, les indications bibliographiques que je juge nécessaires. Les morceaux étant numérotés, j'établirai pour chaque recueil la concordance avec les deux autres, ce qui, d'une part, facilitera la comparaison des trois manuscrits, et d'autre part me permettra de rédiger, sous une forme brève, la notice de B et de C. Dans la notice de ces deux recueils, il ne sera donné d'indications bibliographiques que pour les morceaux qui ne se trouvent pas dans A. 1 A. MUSÉE BRITANNIQUE, ADDIT. 17275. Livre en parchemin, écrit à trois colonnes par page et réglé à 48 lignes par colonne. Hauteur 404 millim., largeur 303. Nombreuses miniatures, écriture du milieu du xive siècle (1). C'est, comme B et C, un livre de luxe qui doit avoir été fait pour une bibliothèque princière. En tête du ms. on a ajouté, au xvIe siècle, un feuillet de parchemin où est peint un écu armorié dans lequel les fonctionnaires du Musée britannique ont reconnu les armes de cité par Jacques de Varazze. On pourrait supposer qu'un copiste, trompé par les citations, lui aurait attribué la Légende dorée. Mais une telle erreur est peu probable. Je n'oserais affirmer que cette écriture soit toute de la même main. Non pas que j'aie remarqué des différences sensibles: l'écriture de forme du XIV' siècle est toujours à peu près la même dans des livres écrits avec soin à la même époque et au même lieu, mais on observe dans le ms. de Londres des notations particulières qui sembleraient indiquer que la copie a été faite par deux écrivains. Ainsi, jusqu'au folio 47, le copiste écrit régulièrement conme, conment, conmencer, sonme, etc., et de même à partir du folio 104. Mais entre ces deux feuillets on trouve constamment la notation comme, comment, etc. Châteauvillain associées à celles de Coucy et d'une troisième famille qui n'a pas été identifiée. Ces armoiries sont accompagnées de cette devise: Espoir de mieuls. Comme ce feuillet est très postérieur à l'exécution du ms., on n'en saurait tirer aucune conclusion quant au premier possesseur. En face de ces armoiries se lit, sur un feuillet de garde, une note en anglais écrite vers le commencement de ce siècle, selon laquelle le manuscrit viendrait de la bibliothèque des Condé. J'ignore sur quel fondement s'appuie cette assertion, qui ne paraît pas exacte. Ce beau livre a été acquis par le Musée britannique, le 13 novembre 1847, du libraire H. Bohn. Il a été relié au Musée britannique, non sans quelques interversions de feuillets qui ont été rectifiées récemment sur mes indications. Les cahiers sont de huit feuillets: ils sont numérotés en chiffres romains au verso du huitième feuillet. Le classement adopté dans ce recueil est sommairement indiqué dans une longue rubrique placée en tète de la table des chapitres. Mais il n'est pas rigoureusement observé. La compilation commence par une dissertation sur l'Avent, traduite de la Legenda aurea. Suit une série de récits relatifs à l'histoire du Christ depuis sa naissance jusqu'à son ascension (art. 2-9); puis viennent quelques morceaux sur la Pentecôte, la Nativité de la Vierge, la Purification, l'Invention de la Croix, l'Assomption (art. 10-14). Ici (art. 15) est placée la légende de Marie-Madeleine, qui, ailleurs, est ordinairement rangée avec les vierges. Les numéros suivants (16-32) sont occupés par les vies des apôtres, de saint Étienne le protomartyr et de saint Jean-Baptiste. Après viennent les martyrs, qui se présentent pêle-mêle, sans ordre apparent (art. 33 à 70). Il s'est glissé parmi eux un certain nombre de simples confesseurs, qui toutefois, pour la plupart, reparaissent plus loin, à leur place. Le groupe des confesseurs (art. 71-124) n'est pas non plus parfaitement ordonné. Quelques martyrs s'y sont égarés (art. 106-108). Suivent quelques récits ou sermons concernant saint Michel archange, la Toussaint, la commémoration des Morts, et enfin une légende en vers, la seule que renferme le manuscrit, celle de saint Mathurin (art. 125-128). La fin du recueil (art. 129 à 154) est consacrée aux Vierges, terme qu'il faut entendre en un sens un peu large, puisqu'on y voit figurer sainte Marie l'Égyptienne et sainte Thaïs. L'ordre selon lequel les légendes se présentent dans chacun de ces groupes est certainement déterminé, en une grande mesure, par l'usage que le compilateur a fait des diverses sources où il a puisé les éléments de son recueil. Ainsi les légendes empruntées à Jacques de Varazze sont assez régulièrement groupées ensemble: nous en trouvons une série parmi les martyrs (art. 52 à 62), une autre parmi les confesseurs (92 à 102); de même, ou à peu près, pour les Vierges (129-133, 137, 138, 140-143). D'autre part, comme je l'ai remarqué en son lieu (p. 455, note), les articles 115 à 120 présentent la même succession que dans le légendier français d'Arras, qui compte parmi les plus anciens. Le ms. du Musée britannique a plus de valeur, au point de vue de l'histoire de notre littérature, que les deux mss. de la Bibliothèque nationale. Ce n'est pas seulement parce qu'il contient plus de légendes, c'est surtout parce que, entre les morceaux qui lui sont propres, il en est au moins deux qui offrent un intérêt tout particulier. Ces deux morceaux sont la vie de saint Teliau (art. 90) et la vie de saint Mathurin (art. 128). Pourquoi le compilateur a-t-il introduit ici la vie de saint Teliau, saint peu connu en dehors du pays de Galles (comme aussi celle de saint David, art. 91)? je ne saurais le deviner; mais ce qui est intéressant, c'est que la traduction de cette légende est datée et accompagnée du nom du traducteur. Elle a été faite en 1325 par un certain «Guillaume des Nés» qui paraît devoir être, on le verra plus loin, identifié avec Geffroi des Nés, connu comme traducteur de vies de saints. Quoi qu'il en soit, il est évident que la compilation, dans l'état où la présente le manuscrit de Londres, est postérieure au premier quart du xive siècle. La vie de saint Mathurin est curieuse à un autre point de vue elle est en vers, et c'est la seule légende versifiée que contienne le manuscrit. Pourquoi cette exception? Peut-être faut-il supposer que le compilateur était originaire d'un lieu voisin de Larchant (près de Fontainebleau), où les reliques de saint Mathurin attiraient de nombreux pèlerins. En tout cas, c'est un document important pour l'histoire de ce pèlerinage. Cette légende en vers n'est pas datée, mais on peut affirmer qu'elle n'est pas antérieure au commencement du XIVe siècle. Maintenant passons à l'analyse du manuscrit. La table occupe les feuillets 3 à 6. En tète se trouve cette rubrique qui, en raison de sa longueur, pourrait presque passer pour un prologue, et qui indique avec précision le plan de la compilation. (Fol. 3.) Ci conmencent les chapistres (sic) de la vie des sains et des saintes. Ci (1) conmencent les rebriches de la vie des sains, laquele maistre Jehan Beleth translata de latin en ronmans, et parle premierement des .iiij. temps et qui (lire que) senefient, et puis après de l'avenement Nostre Seingneur et du finement du monde; et après en suivant de la nativité Nostre Seingneur, et après des pastouriaus, et après de la circoncision et de l'offrende des .iij. rois, et après des Innocens et de l'offrende du Temple, et après de la chandeleur et que senefie, et après de la septuagiesime et de la quinquagiesime, et après de quaresme, et après de la sexagiesime, et après de la passion Nostre Seingneur, et après de sa resurrection et de l'ascencion et de la penthecouste, et tout par ordre. Et puis après ensuivant des apostres et des martirs et des confessors et des virges. Suivent les rubriques. A la fin on lit: Ci fenissent les chapistres de la Legende des sains, si conme elle s'ensuit par ordre; tout premierement des .iij. temps (2), et ce qui s'ensuit après, des apostres, des martirs, des confessors et des vierges. 1. L'Avent. B 2, C 2. Traduit de la Légende dorée, chap. 1. (Fol. 7.) L'avenement nostre seingneur Jhesu Crist est contenus en .iiij. semainnes, a senefier que .iiij. avenemens sont: ce est a savoir en char, en pensée, a la mort et au jugement. La derreniere sema[i]nne pou avient que elle soit complecte (3), car la gloire des sains qui sera donnée ou derrenier avent ne prendra ja fin; et de ce est que le responsoire du premier dymenche de son avenement que Gloria patri i soit conté, et contient .iiij. vers pour ce qu'il senefient les .iiij. avens... 2. La Nativité de Jésus-Christ. B 3, C 3. Morceau par lequel commencent plusieurs de nos légendiers français. Fr. 6447, art. 1. (Fol. 9 v b.) Ci devise la nativité nostre seingneur Jhesucrist; et devise conment Joseph enmena Nostre Dame avec lui em Belleem. Et quant il furent la, ils ne porent trouver qui les herberjast; si s'en alerent herbergier la ou l'en metoit les bestes resconser. Quant li temps fu raemplis que Jhesucrist volt nestre de la benoite Virge Marie, il ho[no]ra moult sa nativité, non pas pour soi, mès pour nous a lui atraire. Il volt nestre pour ce que il aportoit au pueple pès de cuer et pès de ciel. Il fu au temps de sa nativité si grant pès au monde, car, si com sains Ysaïes le prophete nous dit que l'emperiere qui lors estoit a Romme fu a cel temps sires... 3. Les Innocents. Traduit de la Légende dorée, chap. x. (Fol. 10 ro c.) Ci devise conment li roys Herodes fist decoler les Innocens, et après devise de quele mort il morut, car lui meïsmes s'ocist du coustel de coi il paroit sa pomme. Li Innocent furent decolez et ocis par le conmandement de Herode Ascalonite. La sainte Escripture dist que .iij. Herodes furent, liquel furent diffamé au monde par leur cruauté. Li premiers fu apelez Herodes Ascalonite, ou temps duquel fu nés Nostre Sires ; li secons fu apelez Herodes Antipas, qui fist decoler saint Jehan Baptiste; li tiers fu appelez Herodes Agrippes, qui ocist saint Jaque et fist mettre saint Pere en la chartre, dont vez ci les vers: Ascalonita necat pueros, Antipha Johannem, Mès or verrons briefment l'estoire du premier Herode. Antipater Ydumeus espousa a fame la niece du roy Arrabi, ainsi conme l'istoire des sains le dist (1), de laquele il ot j. filz qu'il apela Herode, liquelz fu apelez Escalonite; et cestui ot primes le royaume des Juys de Cesar Auguste.... 4. La Circoncision; l'Apparition. B 4, C 4. Ces deux mss. ont chacun un commencement autre que dans A. J'ignore la source de ce morceau qui n'est pas la traduction du chapitre XIII de la Légende dorée. (Fol. 11 v° a.) Ci devise conment Nostre Sire fut circoncis, et après conment les .iij. roys vindrent a offrende a Jhesucrist en la cresche ou sa mere le tenoit. Veritez est que quant Nostre Sires fu nés en Bellem de la Vierge Marie, et ce vint as huitieves après, li parent a l'enfant et Joseph distrent qu'il convenoit qu'il fust circoncis a la loy des Juys et que on li meïst non. Lors le pristrent et l'estendirent et li couperent le bouteron de la pel de son membre, si conme il est escript en l'ancienne loy.... (Fol. 11 v b.) Et après ce que l'estoille qui estoit demoustremens de sa nessance appa (1) Le texte de la Légende dorée porte : «ut in Historia scholastica legitur ». |