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Eugène je reçusse la meilleure éducation qui fût donnée au village (peut-être même la mienne valait-elle mieux que la sienne), je me perdais sans cette habitude du travail qui est devenue pour moi une nécessité salutaire et qui a fait le bonheur de ma vie, et sans les circonstances qui bientôt me surchargèrent d'occupations, à un âge où d'ordinaire on ne fait qu'apprendre.

Comparez, dans la Galerie biographique des instituteurs, par M. Spindler, la vie de Cardon et celle de Dinter.

Comparez aussi, dans l'ouvrage de M. Van Nerum, De l'organisation de l'enseignement primaire en Belgique, le § III, p. 4, qui commence par ces mots : Parcourez aujourd'hui nos villages, etc.

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Je fus jeté jeune encore dans les occupations les plus sérieuses. Je m'y suis peut-être fatigué un peu, mais le travail utile auquel je me suis livré de bonne heure a singulièrement assuré le développement de mes facultés; il a surtout favorisé mon éducation morale, et il m'a donné ce calme que seul il peut donner à l'âme.

Mon vieux maître mourut subitement, et il fut remplacé par un autre instituteur sorti de la plus ancienne de nos Écoles normales primaires. C'était un homme d'une trentaine d'années, car plein du désir de s'instruire, il avait sollicité et obtenu, par une exception alors possible, son entrée à l'École normale dans un âge un peu avancé. Déjà il avait une famille assez nombreuse, et, doué d'une étonnante activité, il chercha avant tout à se procurer les moyens de l'entretenir. A peine installé au village, il se lia avec le principal notaire du canton, et en devint une sorte de clerc, ou de fondé de procuration pour certains actes, et le copiste pour les autres.

Cela se passa en automne, et cela alla d'autant mieux qu'il n'y avait pas d'école ouverte. L'hiver étant survenu et l'école ayant repris, un desservant sévère, un maire intelligent, un comité zélé pour

l'instruction primaire eût, d'un mot, rappelé à son devoir notre notaire au petit pied. Mais les comités dormaient, les prêtres n'aimaient pas à se faire des affaires, et le maire qui avait besoin de greffier, loin d'arrêter l'activité de notre nouvel instituteur, lui ouvrit une carrière de plus. Il le chargea du secrétariat de la mairie, et le fit appeler à tous les travaux d'arpentage et d'arbitrage qui eurent lieu dans la commune.

Je dois le dire, toutes ces fonctions furent remplies par M. Palle avec une intelligence, une probité et un dévouement qui le firent estimer de tout le monde, y compris ceux-mêmes dont la jalousie s'affligeait de ses succès. Cependant, quelque habile que l'on soit et quelque activité que l'on ait, on ne saurait être partout. M. Palle fut souvent absent de son école, et, de toutes ses fonctions, les seules pour lesquelles il conçut l'idée de se faire remplacer, ce furent celles de l'enseignement. Il m'en chargea souvent. J'étais plus jeune que plusieurs de ses écoliers; mais j'étais un enfant célèbre au village. On m'obéit d'ailleurs, grâce au sceptre de discipline que tenait la main de l'institutrice. Le fait est que nous tinmes souvent classe, et je crois même que nous ne fimes pas trop mal. Personne n'y trouva à redire. Quant à moi, je pris pour ces fonctions provisoires un goût si prononcé qu'il décida de ma carrière. Si notre instituteur était l'objet d'une vénération générale, de ma part ce sentiment devint de l'enthousiasme, et cet enthousiasme s'étendit naturellement à ses travaux. Rendre comme lui service à tous, instruire les jeunes, servir

d'exemple aux vieux, partager avec le prêtre la célébration du culte, avec le maire l'administration de la commune, présider aux transactions des habitants, régler leurs finances, mesurer leurs champs, prévenir ou vider leurs discussions, et enfin concourir, par des leçons ou des exemples, à quelques améliorations essentielles dans la culture: telle était l'œuvre que je brûlai d'accomplir. Elle me parut admirable, et je voulus marcher en tout sur les traces d'un homme dont la conduite méritait tant d'éloges.

Déjà j'enseignais avec passion, et je suivais avec une sincère piété les actes du culte auxquels concourait le sacristain. Il me semblait que par mon recueillement je parviendrais à mieux comprendre le sens, pour moi si profond et si mystérieux, des enseignements de notre sainte religion, et j'attribue à ce recueillement l'influence si salutaire que la piété a exercée sur tous les jours de ma vie.

Mais il me restait à étudier beaucoup, car je devais entrer à l'École normale, et je voulais y entrer en bon rang. Le programme d'examen était alors un peu moins élevé et embrassait moins de matières que celui d'aujourd'hui, qui est si complet: il offrait cependant une grande analogie avec celui qui a été arrêté en exécution de la loi de 1855.

Le réglement du 14 décembre 1832 portait ce qui suit: « Nul n'est admis comme élève-maître, soit interne, soit externe, s'il ne remplit les conditions suivantes :

2 Voir à l'Appendice n. I.

« Il doit, 1o Être âgé de seize ans au moins. Il doit, 2o Produire des certificats attestant sa bonne conduite, et en outre un certificat de médecin constatant qu'il n'est sujet à aucune infirmité incompatible avec les fonctions d'instituteur, et qu'il a été vacciné ou qu'il a eu la petite vérole. Il doit, 5° Prouver par le résultat d'un examen ou d'un concours qu'il sait lire et écrire correctement; qu'il possède les premières notions de la grammaire française et du calcul; et qu'il a une connaissance suffisante de la religion qu'il professe.» Enfin venait cette note: Les examinateurs et les juges ne se bornent pas à constater jusqu'à quel point les candidats possèdent les connaissances exigées; ils s'attachent aussi à connaître les dispositions des candidats, leur caractère, leur degré d'intelligence et d'aptitude.

Mon maître m'avait donné ce réglement. J'en étais vivement saisi. Je savais lire et écrire, mais je ne savais ni l'un ni l'autre correctement et sans faire de fautes. Or je désirais d'autant plus arriver à ce résultat, que je comprenais peu le texte de la grammaire, que je n'avais encore de ma religion qu'une connaissance très insuffisante, et que je bronchais beaucoup sur le calcul décimal.

Quant à mes dispositions morales, elles étaient parfaites, mais je tremblais sur mon aptitude.

Je m'appliquai d'abord à une lecture nette et pure, tâchant de bien comprendre quand je lisais pour moi, et de bien me faire entendre quand je lisais devant les autres.

Je m'efforçai, en même temps, de donner à mon

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