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gers cessèrent d'être assiégées, les subsistances excédèrent les besoins des consommateurs, et les crédules Parisiens attribuèrent au 6 octobre cette abondance momentanée. Une foule immense, aussi avide de satisfaire sa curiosité qu'empressée de bénir un prince qu'elle regardait comme le gardien de ses libertés, se portait aux Tuileries pour y contempler ses traits et applaudir à sa présence. La municipalité, les tribunaux, le Parlement vinrent exprimer au roi leur satisfaction de le voir au milieu du peuple et à l'abri des funestes projets de ses plus grands ennemis. Tous ces corps civils et judiciaires furent reçus avec bonté; ils s'y montrèrent sensibles, et l'on put facilement remarquer en ce jour la pente naturelle qui tend à rapprocher les Français de leurs rois. Louis XVI recevait avec attendrissement ces marques touchantes d'amour de la nation et les faisait partager à la

reine.

Bientôt après, cette princesse admit dans ses salons les dames de la halle qui la veille l'avaient accablée d'injures. « Je veux, leur dit-elle, être votre << bonne mère et vous faire autant de bien que vous << avez dit de mal de moi'. » Elles lui demandent les fleurs et les rubans de son chapeau; MarieAntoinette les détache et les donne elle-même à ces femmes, qui en les recevant crient: Vive notre bonne reine ! C'est ainsi que la fille des Césars reçut

Hist. des Causes secrètes de la Révolution, Ire part., p. 98.

l'humiliant pardon de ces abjectes créatures. Puis se montrant au balcon les yeux humides de larmes, elle tendit les bras au peuple et lui présenta son jeune enfant, le fils aîné de la patrie, dont elle se flattait, hélas! qu'il serait un jour le père. Toute la journée de nombreuses députations se succédèrent aux Tuileries.

Le premier soin du roi fut de s'entendre avec le comité des subsistances, afin d'enlever aux factieux le prétexte de la disette pour exciter le peuple à la révolte. Séduit par les témoignages d'affection qu'il recevait et par l'assurance que le maire et le commandant de la garde nationale ne cessaient de lui donner, Louis XVI promit de faire de Paris son séjour habituel. «Je dois le préférer, dit-il, << comme le lieu où mes enfans sont rassemblés en << plus grand nombre. » Il invita ensuite l'Assemblée à envoyer des députés pour choisir dans cette ville un local convenable à ses séances.

Cependant il fallait rassurer les provinces sur les derniers événemens, et faire croire à l'Europe étonnée que le monarque était aussi insensible aux dangers qu'avait courus sa famille qu'indifférent aux droits de sa couronne. Dans ce dessein, on lui fit publier une proclamation (9 octobre) dans laquelle, dissimulant les outrages dont lui et les siens avaient été abreuvés, il annonçait que pour ramener la paix, et se reposant sur les sentimens qui

Moniteur du 12 au 13 oct., p. 291, art. Paris, col. 1re.

devaient animer ses sujets, il s'était déterminé à venir avec confiance habiter sa capitale; mais pour prouver à tous les Français un égal amour, il promettait, lorsque l'Assemblée aurait terminé le grand ouvrage de la restauration du bonheur public, de réaliser le projet qu'il avait formé d'aller, sans aucun faste, visiter ses provinces pour connaître le bien qu'il pourrait y faire.

Depuis que le roi et sa famille étaient établis aux Tuileries, au sein d'une ville immense qui n'obéissait plus à aucune espèce d'autorité, ces augustes personnages continuaient à être l'objet d'un empressement indiscret. De moment en moment on les forçait à paraître aux fenêtres, pour satisfaire la curiosité du peuple, et surtout de ces femmes sans pudeur qui sans cesse étaient employées à provo. quer de nouvelles émeutes. Lorsqu'on les laissait approcher, l'insolence et l'outrage perçaient jusque dans les témoignages de leur affection. « Nous << vous aimons bien, disaient-elles à la reine, mais <<< ne nous trahissez plus. » Pendant que des journaux anarchistes osaient lui adresser d'audacieux manifestes, ces femmes lui demandèrent de leur racheter tous les effets engagés au Mont-de-Piété pour une somme somme au-dessous de vingt-quatre

francs.

Quoique la reine se fût bornée à répondre avec bienveillance à une demande que l'état du trésor de la couronne ne permettait pas d'accorder, ses paroles, interprétées avec artifice, furent regardées

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et publiées comme une promesse positive1. Aussitôt la populace accourt en foule pour en demander l'accomplissement; on veut la désabuser; alors elle se plaint, murmure, et donne les signes manifestes d'un violent mécontentement. Pour calmer les esprits, on se hâta de vérifier ce que coûterait la remise de ces effets; on en porta le prix à trois millions, somme énorme pour la pénurie où se trouvait la cassette du roi. Néanmoins Louis XVI ne voulut pas que les espérances fondées sur les bontés de la reine fussent illusoires pour les pauvres, il fit annoncer qu'il accorderait la remise gratuite du linge de corps et des vêtemens d'hiver engagés. pour la somme fixée, Les fonds consacrés à cet acte charitable furent pris sur l'argent réservé aux besoins de la famille royale '. C'est ainsi que des malheureux, exaltés par la misère et poussés par des gens plus coupables qu'eux, reçurent des secours et des soulagemens du prince généreux, qu'ils avaient arraché par violence du palais de ses ancêtres.

et

Cet événement fit bénir pendant quelques jours le nom de la reine, et le roi se livrait à la trompeuse espérance que les Parisiens, en le voyant de plus près, rendraient enfin justice à ses sentimens et à ceux de sa compagne. Le peuple semblait prendre part à ses infortunes. Les fidèles gardes du corps qui l'avaient défendu, quoique licenciés, devinrent

I PRUDHOMME, Révolutions de Paris, t. II, no xiv, p. 24. 2 Bertrand de MOLLEVILLE ( Hist. de la Révol. de France ), t. II, p. 283.-Moniteur du 12 au 13 oct. 1789, p. 297, art. Paris, col, 3.

l'objet de l'estime publique; on se pressait sur leur passage pour les voir et les applaudir. On exigea qu'ils allassent au Palais-Royal; ils parurent dans ces lieux où l'on avait conspiré contre eux, pâles, défaits, et portant l'empreinte de la douleur qu'ils ressentaient encore du massacre de leurs camarades. A cette vue, tous les cœurs furent émus, et le noble caractère français se plut, malgré la diversité d'opinion, à rendre un juste hommage au courage malheureux. Cette preuve de la sage direction que prenait l'opinion publique toucha vivement le roi, car de tous les sacrifices qu'on lui imposa, le renvoi de ces gardes, auxquels il devait le salut de la reine et peut-être le sien, fut un des plus tyranniques et des plus douloureux.

La municipalité, n'étant pas encore subjuguée par la populace, sentit toute la rigueur de cette exigence; elle vint conjurer le roi de reprendre ses gardes, éprouvés par le danger et par l'adversité. Le monarque se flatta un instant que ce vœu était l'expression d'un sentiment sincère et durable; il se hâta de rappeler ceux qu'il put retrouver : bientôt après, on lui en fit un crime. On voulut que les gardes françaises reprissent les postes qu'ils occupaient avant leur défection, et que le service intérieur des Tuileries fût confié à la milice parisienne; les gardes du corps, victimes de l'acharnement qu'on mettait à les poursuivre, pour la plupart quittèrent la France; la reine pleura en leur disant adieu, et ses larmes furent l'unique prix de leur héroïque dévouement.

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