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sur une feuille volante que je recueillis; mais cette démarche n'eut aucune suite: ce qui fit plaisir à bon nombre de ces signataires qui, voyant le parti de Robespierre prendre chaque jour plus de consistance et de force, me prièrent de brûler la feuille où étaient leurs signatures. Ce que j'avais bien prévu, comme je prévis le danger de la protestation souscrite par soixante-treize députés, et que l'on trouva dans les poches de Lauze-Duperret lors de son arrestation.

CHAPITRE VII.

Triomphe de Robespierre après les violences du 31 mai et du 2 juin. - Vaines coalitions du Calvados, des départemens du midi et de Lyon contre Paris et la montagne. Constitution de 1793.

- Vengeances exercées dans les départemens insurgés. — La constitution de 1793 est acceptée par les commissaires des municipalités et des départemens de la république.

APRÈS les violences du 31 mai et du 2 juin, Robespierre, au comble de ses vœux et de sa puissance, vainqueur de Pétion et des girondins, devint maître de la Convention, comme d'abord de la société-mère des jacobins, ensuite du collége électoral de Paris, où il avait fait nommer pour ses collègues ceux qu'il avait désignés.

Après le 10 août, dans la confusion de l'interrègne, dans les désordres d'une sanglante anarchie, un projet de dictature fut mis en avant. Le dictateur désigné, c'était Robespierre. Son parti l'avait émporté sur celui qui voulait un triumvirat composé de Marat, Robespierre et Danton. Quelque exagérés que fussent ces deux derniers, ils ne voulaient cependant pas de Marat pour collègue. Loin de s'indigner d'un projet si contradictoire avec ses opinions publiquement manifestées, Robespierre y souriait. Ses affidés le colportaient et cherchaient à lui faire des prosélytes aux Jacobins, dans les sociétés populaires, dans les assemblées

T. I.

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de sections. Ne s'était-il pas précédemment établi le défenseur de la constitution de 1791, qu'il a mal défendue, puisque son lourd et ennuyeux jour*nal ne put réunir assez d'abonnés pour se soutenir?

Cette conduite, si opposée à la réputation de vertu et de patriotisme qu'il devait à un prestige auquel l'absurde crédulité des hommes peut faire croire, lui fut sévèrement reprochée dans la Convention. Il ne put détourner l'effet d'une accusation imminente dont le décret eût été enlevé avec facilité, si le parti de la Gironde eût offert plus d'ensemble et de fermeté, que par les fureurs et les vociférations, les machinations de ses complices.

Mais cette dictature, impossible à établir législativement, exista de fait. Robespierre l'a puissamment exercée. Comme Marius et Sylla, et plus sanguinaire, il a proscrit des deux côtés; pendant deux ans entiers sa volonté seule tint en France lieu de lois. A sa voix, et devant les statues de la république, de la liberté et de l'égalité, hypocritement invoquées par ce scélérat, étaient indistinctement égorgés et ses partisans, qui finissaient par lui porter ombrage, et ceux qu'il appelait les ennemis de la nation. Or, dans ce temps de désastre, la nation c'était lui, rien que lui. Les apparences de la justice ne furent point même conservées, et l'honneur de la Convention fut totalement,flétri.

Sa toute-puissance parut quelques jours après

la séance du 2 juin, et l'arrestation des députés. La commune de Paris eile-même, leur dénonciatrice, et après elle le comité de salut public, propo sèrent d'envoyer dans les départemens respectifs de ces députés, des membres de la Convention en ôtage. Danton fut de cet avis; Couthon, le cul-de-jatte Couthon s'offrit lui-même pour ôtage des girondins à Bordeaux; mais Robespierre, que cette proposition contrariait, s'opposa à l'envoi de tous les ôtages, et son avis prévalut. Barrère, le rapporteur du comité de salut public, dont les talens ont beaucoup perdu dans l'opinion à raison de sa lâcheté, avait déjà parlé sur ces ôtages de la manière la plus noble et la plus sage :

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<< Hommes de la montagne, dit-il dans la séance » du 7 juin, vous ne vous êtes pas placés sans doute » sur ce point élevé pour vous mettre au-dessus » de la vérité. Entendez donc la vérité que le co» mité m'a chargé de vous présenter. L'opinion >> que la France prendra, le jugement que les lois >> de la France porteront sur les inculpations politiques qui pèsent sur les membres qui sont ar» rêtés, sont des choses encore incertaines, C'est » à la France, c'est à la république tout entière » qu'appartient un tel jugement. Eh bien! Repré>> sentans, le comité vous déclare qu'en attendant >> que la France prononce dans un si grand procès, » il est digne de votre dévouement de lui donner, » de lui offrir une espèce de garantie personnelle >> en ôtages. Quelque persuadés que vous soyez que

» la France, juge unique et souverain de cette >> grande cause, ne désavouera pas votre jugement, >>*vous n'en devez pas moins, pour vous-mêmes et » pour le salut de la patrie, prendre cette mesure; » elle est juste, elle est donc nécessaire; elle a de » la grandeur, elle doit donc vous plaire. Cette » mesure est généreuse; elle est donc propre à >> toucher une nation qui peut se croire outragée, » mais qui est magnanime. Députés, citoyens, >> hommes, votre comité de salut public ne dé>> couvre pas d'autres moyens de sauver la France. »

Cette dernière phrase se rapporte à d'autres mesures concernant les étrangers, la force armée et les comités révolutionnaires qui précédaient la mesure des ôtages dans le projet de décret du comité de salut public. Celle qui mettait la force armée dans la main de la Convention, en ordonnant que toute autre réquisition céderait à la sienne, était de la plus grande nécessité pour prévenir l'abus qu'on venait d'en faire contre la Convention ellemême. Mais cette disposition, comme celle des ôtages en faveur des députés, ne pouvait que déplaire à Robespierre. Il parvint, avec quelques paroles artificieuses, à faire rejeter tout ce que le comité de salut public venait de proposer de juste, d'utile et de sage.

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L'intérêt, dit-il, qu'on paraît attacher au pro» jet du comité, la sensation qu'il produit, et l'a>> charnement que l'on met à prolonger la durée >> des séances, tout annonce que ce projet a réveillé

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