Images de page
PDF
ePub

temps de paix comme en temps de guerre; c'est ainsi également qu'un état neutre pendant la guerre, en exigeant le respect de son territoire maritime de la part des belligérants, a le devoir de s'opposer aux hostilités qu'ils y commettraient (voir § 39).

§ 6. Souveraineté passagère sur des parties de la haute mer.

1. On se fonde sur la fiction d'après laquelle les navires, quel que soit le lieu où ils se trouvent, pourvu que ce soit sur la haute mer, sont des fractions de l'état auquel ils appartiennent, et forment des portions ambulantes du territoire, qui emportent partout leur nationalité attestée extérieurement par le pavillon, et qui sont soumises aux lois du pays comme le territoire continental. Cette fiction s'applique tout particulièrement aux navires de guerre, parce qu'ils constituent une partie de la force armée de l'état, jouissant de toutes ses prérogatives, et particulièrement des droits de souveraineté.

II. Dans un but difficile à comprendre, des publicistes récents ont voulu rattacher à ce principe un haut domaine temporaire non pas seulement sur la partie de la pleine mer où se trouve soit la flotte, soit le navire de guerre isolé, mais encore sur une distance égale à la portée de canon autour de la flotte ou du navire'. Cette théorie est absolument arbitraire; elle n'est pas compatible avec la liberté de la circulation sur la pleine mer, et ses conséquences mènent à des conflits insolubles.

Bluntschli' prétend définir la règle suivante comme un principe du droit des gens positif: Lorsque les navires se trou« vent en pleine mer, la souveraineté de l'état dont ils portent

De Cussy (I, p. 147) est le plus hardi de tous quand il déclaré que : « Un vaissean de guerre en pleine mer emporte avec lui sur l'Océan une souveraineté ambulatoire incontestable; dans cette situation, il a même une sorte de territoire autour de lui, une atmosphère propre qui a pour mesure la portée de ses canons, et si un navire se réfugie dans ce rayon, il sera à l'abri des poursuites de l'apresseur comme s'il était dans une rade ou dans un port neutre. » Voir aussi ibid., p. 250, où sont tirées les conséquences de cette opinion insoutenable. 2 Art. 318.

« le pavillon s'étend au navire tout entier et à la partie de la << mer sur laquelle se trouve actuellement le navire. »

Il nous paraît que c'est aller trop loin; la souveraineté territoriale ne peut pas raisonnablement s'étendre au delà du navire lui-même et des embarcations qu'il emmène avec lui; toutefois Phillimore', s'appuyant sur Grotius 2 et sur Bynkershoek dit que « the portion of the sea actually occupied by << a fleet riding at anchors is within the dominion of the nation to which the fleet belongs, so long as it remains there. » En réalité, il n'y a aucun motif pour établir la fiction de ce dominium ou imperium temporaire, qui, dans les endroits visités fréquemment par des navires de guerre, aurait pour résultat un changement continuel de juridiction. Il est complètement inutile pour justifier juridiquement le libre usage de la pleine mer, parce que cet usage paisible est une conséquence nécessaire du principe de la liberté de la mer. Tout navire en mer doit pouvoir manoeuvrer librement, et il ne doit observer que les règles en vigueur pour le croisement des navires; règles qui, sans faire jusqu'à présent formellement partie du droit des gens, sont identiques dans les législations maritimes de tous les peuples civilisés (voir plus bas, § 20). La création d'un territoire spécial pour les navires, territoire ou domaine naval, qui est proposée par Hautefeuilles pour l'espace de la mer qu'un navire occupe et dont il a besoin pour manœuvrer, ne nous paraît pas justifiée. Elle pourrait avoir de graves conséquences, car il est évident qu'en l'admettant, on ne saurait éviter la confusion des territoires navals des diverses nations, comme cela arriverait également si l'on y ajoutait, avec de Cussy, l'espace de la mer qu'atteint la portée des canons de chaque navire. Les collisions des droits qui en résulteraient inévitablement seraient insolubles, et si la pratique suivait en ceci la théorie, elle conduirait certainement à de regrettables conflits. En

↑ 1, 203, II,

303.

2 De jure belli ac pacis, lib. II, c. III, 3 13. Contrà, Wheaton, El. 11, p. 101 ; Gessner, loc. cit., p. 167.

Histoire, p. 23.

résumé, tout ce système, qui n'est ni fondé en théorie ni en pratique, paraît devoir être repoussé. La règle posée par Bluntschli, en apparence inattaquable, ne peut être défendue davantage; en effet, si elle était adoptée, les droits les plus certains des belligérants sur mer ne pourraient être maintenus vis-àvis des neutres. Il faudrait admettre cette conséquence, contraire aux principes élémentaires de la neutralité, que les belligérants ont un droit de visite et de saisie sur le territoire. neutre; car, en suivant Bluntschli, Phillimore, etc., il faudrait considérer comme tel l'espace de la mer sur lequel se trouve temporairement un vaisseau de guerre ou un navire marchand. En admettant seulement une souveraineté temporaire sur l'espace environnant les navires de guerre, ou n'en devrait pas. moins se demander comment cette souveraineté serait conciliable avec le droit des belligérants d'arrêter des navires convoyés et de les visiter sous certaines conditions (voir § 56).

Pour justifier la fiction d'un territoire naval, le terme est assez séduisant on pourrait faire valoir peut-être les prescriptions et les usages qui existent au sujet de la distance. qu'un croiseur ou un corsaire doit observer en s'approchant d'un navire de commerce qu'il veut soumettre à la visite. Cette distance, en effet, est fixée ordinairement, comme pour la mer territoriale, à une portée de canon. Toutefois l'argument ne serait pas décisif, parce que la distance dont il s'agit limite le droit d'approche du croiseur et du corsaire, et non pas celui de ses embarcations, ensuite parce que la portée de canon n'est point la distance généralement fixée en ce cas. On admet plutôt que celle-ci dépendra des circonstances de chaque espèce (voir § 54). En outre, elle est inconciliable avec les exigences de la navigation, et la plupart du temps, surtout pendant la nuit, il est absolument impossible de l'observer; l'intérêt du croiseur et celui du navire de commerce exigent au contraire que les bâtiments se rapprochent autant que possible afin de permettre une rapide justification de la qualité de neutre.

Cette fiction n'est pas davantage nécessaire pour justifier

l'exercice paisible de la pêche. Il est vrai que l'on ne peut interdire à personne le droit de pêcher en pleine mer; mais d'autre part, le besoin de prévenir autant que possible les conflits entre pêcheurs, a fait naître, dans le cours des siècles, outre de nombreuses conventions internationales (trèves pêcheresses), une suite d'usages dont l'observation assure parfaitement l'accomplissement du but à atteindre. Nous mentionnerons ici les traités et coutumes qui tendent à prévenir les collisions des bâtiments de pêche entre eux, ainsi qu'avec d'autres bâtiments, et à interdire tout trouble de la pêche résultant de tentatives violentes d'expulsion ou de l'emploi de certaines espèces de filets, etc.; nous citerons aussi les traités qui déterminent les devoirs d'assistance réciproque et qui règlent l'acquisition de la propriété du poisson, etc. (voir § 22).

SECTION DEUXIÈME

DE LA NATIONALITÉ DES NAVIRES DE MER

§ 7.

Principes généraux.

I. La nature propre des relations maritimes exige que la sécurité de la mer soit garantie d'une manière aussi complète que possible, et ce besoin n'a fait que croître depuis que l'usage de la vapeur a transformé si profondément la navigation. De semblables garanties ne sont pas seulement nécessaires en temps de guerre, lorsque les hostilités portent atteinte au commerce maritime des sujets des belligérants et même dans une certaine mesure à celui des neutres. Il y a des motifs tout aussi graves d'assurer, en temps de paix, l'ordre et la régularité de l'intercourse.

Tout navire a une nationalité, appartient à un pays déterminé. C'est là le fondement de l'intervention de l'état en cette matière, et de la protection légale qu'il assure. Tout navire,

pour ne pas encourir le soupçon de se livrer à la piraterie, doit être en mesure de prouver sa nationalité. Cette preuve est fournie par le pavillon et par les papiers de bord. Le pavillon est le signe distinctif apparent du caractètre national d'un navire. «Chaque état a ses couleurs particulières, sous lesquelles naviguent ses citoyens, et qui ne peuvent être portées sans sa permission quand on en vient aux preuves réelles. Mais ce signe distinctif ne peut être le seul; car s'il en était ainsi, il serait bien facile de déguiser la nationalité d'un bâtiment. C'est dans le but d'une constatation évidente de cette nationalité qu'ont été institués les papiers de bord ou lettres de mer dont tout navire de commerce doit être pourvu. »

« Le nombre, la nature et la formule de ces papiers sont réglés par la loi de chaque pays, fréquemment par les dispositions des codes de commerce maritime'. »

On trouve des détails historiques sur les pavillons dans Cleirac (annexe intitulée: Livrées et couleurs des pavillons des navires, pour la connaissance et distinction de chaque navire qui met à la mer).

II. Le pavillon national est la marque extérieure de la nationalité du navire; c'est le moyen le plus simple d'attester cette qualité, quoique ce ne soit pas en toutes circonstances un moyen suffisant. Le pavillon ne sert pas seulement à indiquer la nationalité; on l'emploie encore pour manifester certains actes ou certains desseins, par exemple, en cas de détresse, dans les fêtes et solennités, etc. Ainsi, le pavillon hissé à mi

'Ortolan, I, p. 174; voir aussi de Martens, Précis, II, 8 317; Cauchy, I, p. 47 et 55, et II, p. 152 et suiv.; Calvo, II, p. 113.

2 « Ce fut jadis un ancien ordre, principalement aux expéditions des guerres saintes et d'outre-mer, que chaque nation portait les estandars, bannières et pavillons de livrée, désignés et variés de certaines couleurs pour les distinguer et faire reconnoistre, lesquelles couleurs et livrées pour la plupart ils ont encore retenues; et furent attribuées, par les généraux des armées avec raison et sens mystique cette matière est autre et outre les armories. D'où procède que les ordonnances de la marine ont conservé le droict aux seigneurs admiraux, de pouvoir donner bannières, couleurs, livrées et devises aux navires, sans qu'il soit permis aux capitaines, maistres ou bourgeois d'en prendre à plaisir ou volonté. Cela estant du droit public et de toute la nation. >>

« PrécédentContinuer »