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Voici donc la différence effentielle qui regne entre les Articles & les Adjectifs, & qui nous décide à leur donner un rang féparé entre les Parties da

Difcours.

C'est que les Articles n'ajoutent à l'idée du Nom apellatif qu'ils accompa gnent, qu'une idée de préfence plus ou moins éloignée: idée qui ne tombe pour ainfi dire que fur l'extérieur de l'objet, & qui eft nulle pour faire connoître fon intérieur ou fa nature.

» Lɛ, la, les : Cɛ, cette, ces, dit un Grammairien célèbre ( 1 ), ne font » que des Adjectifs qui marquent le mouvement de l'efprit qui le tourne vers » l'objet particulier de fon idée.

Quand on dit CET Homme, UN Roi, LE Lion, on défigne ces objets comme préfens d'une maniere plus ou moins fenfible; mais on ne dit rien qui les définiffe, qui faffe connoître leurs qualités.

Les Adjectifs, au contraire, nous font pénétrer dans l'intérieur de ces objets préfentés par les Articles: ils nous en dévelopent la nature & les qualités; ils nous les font connoître par leurs propriétés, par leurs vertus.

Ainfi, lorfqu'après avoir dit cet Homme, un Roi, le Lion, lorsqu'après avoir fait naître l'idée de ces objets dans l'efprit de ceux auxquels nous parJons, & l'avoir déterminée par l'Article, nous ajoutous; CET Homme eft aimable; UN Roi Jage est toujours grand; LE Lion eft fier & généreux : nous dévelopons la nature même de ces objets: nous allons fort au-delà du point cù les Articles nous avoient amenés : c'eft une nouvelle Partie du Difcours que nous mettons en œuvre, non moins effentielle que les autres, & qui en eft abfolument différente.

On ajoute, il eft vrai, que files Articles étoient une Partie différente des autres, elle exifteroit dans toutes les Langues; mais nous difcuterons cet objet un peu plus bas, à l'occafion de la PLACE que doivent occuper les Articles.

Nous nous contenterons de dire ici que, de l'aveu même de ces Perfonnes, ces Langues ont un très-grand nombre d'Articles;& que dans le cas qu'il existât une Langue assez informe pour n'avoir aucun Article de droit ou de fait, cet exemple ne pourroit avoir aucune influence fur une Grammaire générale. Un Peintre ne laiffe pas de repréfenter les hommes avec deux pieds & deux jambes, quoiqu'il n'exifte que trop d'aveugles & de boiteux.

( 1 ) DU MARSAIS, Principes de Gramm. pag. 377,

Malheur

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Malheur aux Langues qui privées d'Articles,ne pourroient jamais représenter des Tableaux déterminés : mais malheur également aux Grammaires générales qui voudroient se régler fur ces modèles informes, négliger en leur faveur des modèles admirables puifés dans la Nature même, que ne peut altérer la dépravation de quelques individus. Les eftropier tous, par égard pour quelquesuns, ce feroit imiter ce Tyran qui mutiloit les Etrangers pour les réduire à fa taille. C'est dans ce qui eft véritablement beau & parfait, que les Arts doivent uniquement puifer leurs Loix & leurs régles.

§. 3.

Idée plus précife des Articles.

Dans nos Langues modernes & dans les Langues les plus intéreffantes de l'Antiquité, il exifte donc des Articles; & ces Articles determinent l'idée vague des Noms apellatifs, en faisant que ces Noms deviennent ceux d'un individu tiré de la grande maffe des Êtres & mis fous les yeux de la perfonne à qui l'on parle dès-lors, le Nom devient l'objet déterminé du Tableau Tels feront ces mots, CE, LE, UN.

En effet, fi nous disions:

Palais eft fuperbe

Façade en eft de la plus belle architecture,

Pavillon donne fur la riviere ;

on fentiroit que ces Tableaux font imparfaits, parce qu'ils ne préfentent aucun objet déterminé. Palais, Façade, Pavillon, étant des Noms qui conviennent à tout ce qui eft Palais, Façade ou Pavillon, on ne fait quel eft le Palais, la Façade, le Pavillon dont on parle.

Il faut donc néceffairement les accompagner d'un mot qui faffe connoître précisément de quel individu on parle, qui le mette fous les yeux de la maniere la plus fenfible. Et tel eft l'effet que produifent ces mots CE, LE, UN. Ils changent ces Tableaux indéterminés, en ceux-ci:

CE Palais eft fuperbe.

LA Façade en eft de la plus belle architecture.

UN des Pavillons donne fur la riviere.

CE, LA, UN font donc autant d'Articles, & ils en ont tous les caractères chacun d'eux donne un fens déterminé à l'objet qu'il accompagne on ne voit plus qu'un Palais, qu'une Façade, qu'un Pavillon; & l'objet qu'on voit, est précisément, entre tous les individus de la même espéce, celui qu'il falloit voir. Mais chacun de ces Articles présente l'objet d'une maniere diffèrente. Gram. Univ.

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CE, amene le mot Palais, & détermine l'individu auquel il faut l'apli en le montrant.

quer,

LA, amene le mot Façade, & détermine de quelle façade il s'agit en l'indiquant, fans la montrer d'une maniere auffi nette, parce qu'il eft affez connu.. UN, amene le mot Pavillon, & détermine l'individu auquel il faut l'apli quer, en l'énonçant par la fimple idée individuelle.

Pour mieux fentir ces différences, apliquons ces Articles à un même mor,, au mot Homme, par exemple:

Apercevez-vous CET Homme qui eft près de ce noyer?:
Voyez-vous L'Homme que j'attends ?

Ne

voyez-vous pas UN Homme dans cette plaine?

Par cette expreffion CET Homme, je le montre : par l'expression L'Homme, jë: l'indique fans le montrer, parce qu'il eft affez connu par l'expreffion UN Homme, je n'en détermine point l'individu en le montrant, ou en l'indi❤quant; mais en l'énonçant fimplement comme individu;, en demandant.fi l'on ne voit pas un objet dont j'énonce le nom, Homme.

Le premier de ces Hommes eft fous les yeux, on le montre.

Le fecond n'eft pas fous les yeux: on ne peur donc pas le montrer; mais on eft plein de fon idée, il en a déjà été parlé : on n'a donc qu'à Lindiquer & on le fait.

Le troifiéme n'eft ni fous les yeux, ni dans l'efprit, on n'en a point en core parlé: il eft fimplement queftion de favoir fi on aperçoit un pareil individu, on l'énonce donc, parce que l'on ne fauroit pas fans cela de quoi l'on parle.

Nous pourrons donc défigner ces Articles par ces Noms:

CE, Article démonstratif.

LE, Article indicatif.

UN, Article énonciatif.

Les voici réunis dans une même phrafe avec le même Nom.

دو

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» CE jour où vous parûtes au milieu des aplaudiffemens du Public fut Le jour le plus brillant de votre vie: il fera pour vous un jour à jamais mémorable ».

UN, énonce finplement l'idée de jour : CE, met cet individu fous les yeux:: LE, indique cet individu comme déjà connu, comme déjà désigné.

&

L'idée préfentée par un us eft la plus fimple des trois. Celles qu'offrent le: font un peu plus compofées : le premier n'indique qu'un individu: less autres l'indiquent comme connu ou comme préfent..

ce,

Ajoutons qu'ici un ne fe prend pas dans le fens relatif de l'un numérique, par oposition à un plus grand nombre; mais dans fon fens abftrait, présentant l'individu confideré feulement en lui-même.

§. 4.

Caractères des Articles.

Les Articles font des mots extrêmement courts, de fimples monofyllabes; Ils ne confiftent qu'en un feul fon, en un feul éclat de voix ; & il falloit qu'ils fuffent ainfi ; car plus longs, ils n'auroient pas été plus utiles; leur but étant déjà rempli par ce simple fon : leur longueur auroit fatigué l'attention en pure perte, & elle les auroit trop éloignés de la valeur du geste qu'ils remplacent & dont ils ont l'énergie.

2°. Ils font très-fonores, & il le falloit, étant fort courts, afin qu'ils puf fent produire leur effet à l'inftant.

3. Afin qu'ils produififfent cet effet plus furement, & qu'on vit mieux l'objet auquel on les raportoit, on leur fait porter la livrée de cet objet : ils font mafculins ou féminins comme eux, au fingulier ou au pluriel avec eux, Ainfi on dit:

CET Homme, CETTE Femme, CES Hommes.

LE Fils, LA Fille, LES Fils.

De cette maniere, ils annoncent en quelque forte les Noms, ils en font les Hérauts, ils préparent à ce qu'on va dire, & ne permettent plus de fe tromper fur l'aplication du Tableau qui va suivre.

4. Ils ne marchent jamais fans un Nom, n'ayant aucune fignification fans eux. C'est un principe que nous aurons occafion de difcuter plus

bas.

§. 5.

Du Nombre des Articles.

Rien n'eft plus propre à prouver combien on avoit des idées peu claires our peu déterminées à l'egard des Articles, que la diverfité étonnante qu'on ob ferve entre les Grammairiens à leur fujet. Les uns n'en comptent qu'un feul dans la Langue Françoife; tel M. DUCLOS. M. BEAUZEE en compte neuf efpéces différentes; en attribuant à la Claffe des Articles,des mots dans lesquels d'autres Grammairiens voyoient en effet mal-à-propos des Pronoms ou des Adjectifs.

O ij

Le feul Article fur lequel ils s'accordent tous, c'eft l'Article LE. Ceux qu'on y ajoute font trois univerfels; dont un collectif, tout; un diftribucif, chaque ; un négatif, nul, nulle.

Ces indéfinis, plufieurs, aucun, quelque, certain, tel.

Les Numériques, un, deux, trois, &c.

Les Poffeffifs pour chaque perfonne, mon, ton, son, &c.
Un Démonftratif pur, ce, cette, ces.

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Un Démonftratif conjonctif, qui, lequel.

Il faut convenir que ces différens mots ont un très-grand raport avec les Articles, qu'ils en tiennent même lieu dans un grand nombre d'occafions; & qu'on a raifon de ne les regarder, ni comme des Pronoms, ni comme des Adjectifs.

Il faut convenir encore que ceux qui ne voyoient dans la Langue Françoife que le mot LE pour tout Article, en bornoient beaucoup trop le nombre donnoient lieu à le faire retrancher du nombre des Parties du Difcours, puif que ce Le manque dans quelques Langues; & qu'ils n'avoient par conféquent aucune idée jufte de l'Article.

N'y auroit-il cependant pas un jufte milieu à tenir entre ces deux extrêmes? entre n'admettre qu'un feul Article, ou étendre ce nom à une auffi grande quantité de mots.

Du premier coup d'œil on aperçoit une difference frapante entre quelques-uns de ces mots : tous fervent en effet à déterminer les Noms apellatifs par l'idée d'une exiftence individuelle qui les rend préfens à ceux auxquels on parle.

Mais les uns n'expriment que cette idée, ils l'expriment purement & fimplement, fans mêlange d'aucune autre idée.

D'autres y ajoutent fenfiblement de nouvelles idées qui n'ont rien de commun avec celle-là: tels font ceux-ci, mon, ma, nos; ton, ta, tes,

&c.

Non-feulement ils fervent d'Articles, mais ils ajoutent à l'idée qu'offre l'Article une autre idée toute différente de celle-là; l'idée de la perfonne à qui apartient l'objet dont on détermine l'individualité.

Reconnoîtrons-nous donc ceux-ci & leurs pareils pour Articles? Non, fans doute nous en parlerons, à la vérité, au fujet des Articles, puifqu'ils les remplacent, mais nous ne les mettrons pas au rang des articles, parce qu'ils n'en font pas, qu'ils en ont pris la place par adretle, par un effet de l'art grammatical qui fe prêtant au défir de rendre le difcours plus coulant, charge un feul mot des fonctions de plufieurs Parties du Difcours; parce qu'en effe

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