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tout, le factice en prenoit la place; & comme on ne raisonnoit que d'après ce factice, il falloit néceffairement qu'on s'égarât; qu'on mâît à la fin ce qui devoit être au commencement, & qu'on regardât comme caufe ce qui n'étoit qu'effer.

Mais lorsqu'on cherche la vérité, & qu'on veut avoir des idées nettes des chofes, il ne faut jamais partir de ce qui s'eft fait ou de ce qui s'eft dit ; mais de ce qui devoit le faire ou fe dire ; & de ce qui a fait qu'on a agi ou dit au

trement.

Si ceux qui les premiers réunirent les Participes aux Verbes & les mirent à la fin de toutes les portions du Verbe, le firent parce qu'ils s'imaginerent que les Participes étoient nés des Verbes & ne les avoient pas formés, ils fe tromperent très-groffiérement ; & leur autorité eft nulle,étant contraire au fait & à la raison.

S'ils les joignirent aux Verbes, parce qu'ils apercevoient entr'eux les plus grands raports, & parce que la connoiffance de l'un conduifoit à la connoiffance de l'autre, ils avoient raison: mais ils auroient dû en avertir & ne pas les rejetter à la fin des Verbes, pour ne pas induire en erreur ceux pour l'inf truction de qui ils écrivoient, & qui en ont toujours conclu, ce qu'on ne pouvoit qu'en conclure, que les Participes étoient nés des Verbes, & que ceux-ci étoient effentiels, tandis que ceux-là n'étoient qu'un acceffoire.

Mais on peut affirmer fans crainte de fe tromper, que les premiers qui raffemblerent ces obfervations fe tromperent eux-mêmes: qu'on avoit déja perdu dès-lors la vraie origine de toutes ces chofes ; & que dans l'impoffibilité où ils étoient de remonter à cette origine, ils ne chercherent qu'à mettre un ordre quelconque dans les faits qui exiftoient, & qui leur fervoient de bafe.

De-là les difficultés dont cet objet eft hériffé, que nos Grammairiens ont tâché d'enlever; qu'ils auroient entièrement diffipées, s'il n'avoir fallu pour cela que de l'efprit & l'intelligence des Langues: tandis que la vraie généalogie de ces espéces de mois pouvoit feule en donner la folution : & cette vraie généalogie étoit in poffible à trouver, fans la comparaifon des Langues les plus anciennes & fans la connoiffance de leurs raports avec leurs idées.

Les difficultés qui regardent les Participes, naiffent fur tout de ce que l'Ellipfe s'eft emparée de cette Partie du Difcours : c'est là en quelque forte qu'elle a établi fon Empire; c'eft-là qu'elle abrége la parole d'une maniere dont nous n'avons point d'exemple dans aucune autre elpéce de mots. L'on auroit donc befoin ici de la métaphyfique la plus dcliée, & de tout ce que P'Art

grammatical a de plus profond, d'un fecours fupér eur pour découvrir es Loures fecrettes que l'ellipte fuivit ici, pour retrouver les longueurs qu'elle franchit, & pour reconnoître les moyens par lefquels l'efprit humain eft parvenu à cette façon de s'exprimer auffi briéve qu'énergique.

§. 8.

"Utilité & beauté des Participes.

Si l'utilité & la beauté d'une Partie du Difcours dépend du rôle que jouent dans le Difcours les mots dont elle eft compofée, il en eft peu qui foit plusutile & plus intéreffante, que les Participes, tels que nous les préfentons ici; défignant les actions & les déterminations de la volonté ; antérieurs aux Verbes; n'en reconnoiffant qu'un feul, le Verbe eft, avec lequel ils puiffent s'affocier; & ame ou bafe fondamentale de tous les autres qui leur doivent tout ce qu'ils font.

&

C'eft par les qualités actives que l'Homme fe diftingue entre tous les Êtres par les actions qui en font la fuite, qu'il exerce & manifefte fes facultés les plus excellentes, fa liberté & fon intelligence: elles font une de fes plus belles. prérogatives. Par leur changement continuel & toujours effet de la volonté qui les commence, les continue, les fufpend ou les reprend fuivant les circonf tances, il fe prête à tous les befoins, il fe porte à tout, il pourvoit à tout; il furvient à tout; il cultive les Arts, il va de connoiffance en connoiffance il fe perfectionne fans ceffe; fes femblables trouvent en lui & il trouve en eux des fecours toujours efficaces.

C'eft par leurs actions que les Peuples, les Sociétés, les Familles, que pachaque individu, s'élevent au-deffus de leur état actuel, bannissent la reffe & l'indolence, améliorent leur fort, & difpofent la Terre à recevoir à entretenir, à rendre heureux un plus grand nombre d'Hôtes.

Par leurs actions, les Hommes fe montrent tels qu'ils font, éclairés, fages, généreux, compâtiffans, pleins de vertu; ou ignorans, làches, rampans, vicieux, corrompus.

C'est par

les actions qu'on s'élève ou qu'on s'abaiffe, qu'on devient digne de louange ou de blâme, qu'on le fait aimer ou détester.

Les actions des hommes ne peuvent jouer un fi grand rôle fur la fcène de ce monde fans en jouer un très-grand dans le difcours : elle y méritent donc une place diftinguée, une place qui foit à elles, & non à aucun autre mot: &

B bij

cette place eft celle des Participes, puifque ceux-ci peignent les Hommes dans tous leurs étars, actifs & paffifs, & qu'il n'eft aucun Tableau d'idée où il faille peindre l'Homme dans l'un ou dans l'autre de ces états, qui ne foit parfaitement exécuté par l'un ou l'autre Participe, comme nous aurons lieu de nous en affurer dans la fuite, & comme l'ont très-bien vu les Grammairiens.

§. 9.

Pour uoi on avoit négligé jufques-ici cette portion du Difcours.

Mais fi les Grammairiens font convenus que tous les états actifs & paflifs pouvoient très-bien fe peindre par les Participes, comment eft-il arrivé qu'il n'en ayent pas fait une des Parties du Difcours; qu'ils les ayent confondus avec le Verbe, dont la fonction eft fi differente; qu'un fait auffi frapant, ait été en pure perte pour eux, & qu'une fi belle Partie du Difcours leur ait échapé d'une manière qui paroît inconcevable, & qui donne un air d'innovation & de paradoxe à celui qui apelle de leur jugement?

Cette meprife eft arrivée tout naturellement, fi naturellement, qu'elle étoit prefqu'impoffible à éviter; & qu'on ne pouvoit pas s'apercevoir que c'en fût une, à moins d'avoir des principes très-différens de ceux dont on par

roit.

L'on avoit mis à la place des Participes, leur équivalent formé par ce qu'on apelle Verbes actifs & paffifs. Ainfi les états actifs & paffifs fe trouvoient en poffeffion d'une place féparée, quoique fous un autre titre. A cet égard, la méprife étoit en quelque forte réparée, quoiqu'il en naquît une de fait, & contraire à toute analogie, qui confiftoit à regarder les Participes comme étant nés des Verbes, tandis que ceux ci,comme nous le verrons au Chapitre fuivant, ne font qu'une formule plus courte qu'on fubftitua aux Participes & au Verbe.

Mais il résulta de cette premiere méprife,une erreur capitale & qui a brouillé toutes les idées grammaticales; c'eft que ces Verbes actifs & paffifs qui devoient former, fous le nom de Participes, une claffe du Difcours féparée de toute autre, & fur-tout de ce qu'on apelle Verbe, furent confondus avec celle-ci enforte que deux Parties du Difcours très diftinctes & dont la définition de l'une ne pouvoit être la définition de l'autre, furent confondues en une feule; & qu'on chercha dès-lors une définition qui convint à ces deux Parties du Difcours, comme fi elles n'en formoient réellement qu'une

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feule ce qui dénaturoit tout, & a jetté les Grammairiens dans des embar ras & des difficultés, dont rien ne pouvoit les tirer qu'en revenant à la Nature & au vrai, qu'en féparant les Participes du Verbe, & en ne voyant dans ce qu'on apelle Verbes actifs & paffifs, qu'une formule abrégée du Verbe & du Participe.

C'étoit ainsi qu'une premiere erreur en entraînoit un grand nombre d'autres; & que celles-ci avoient tellement fait difparoître les traces du vrai, qu'on ne foupçonnoit pas même qu'on le fût égaré,

§. 10.

Formation & Origine des Participes.

Nous avons vu que les Participes étoient divifés en deux Claffes, les uns actifs,tels qu'aimant,qui peignent les hommes dans un état d'action en mêmetems qu'ils défignent le genre d'action dont ils s'occupent. Les autres paffifs, tels qu'aimé, qui les peignent comme éprouvant les effets d'une action étrangere, & qui défignent en même- tens la nature de cette action.

Je fuis aimant, fignifie donc, je fuis dans cet état actif qu'on apelle ai

mer.

Je suis aimé, fignifiera je fuis dans cet état passif qui confiste à éprouver les effets de l'action qu'on apelle aimer.

Ces Tableaux ne fignifient rien,ou ils fignifient tout cela ; & ces dévelopemens font puifés dans l'idée même du Participe, puifqu'ils peignent les états actif & paffif, qui résultent des actions auxquelles on fe porte, ou defquelles on éprouve les effets.

Ils font donc elliptiques, puifqu'ils peignent tant d'idées avec fi peu de traits: mais comment eft-on parvenu à former ces ellipfes & à créer ces mots ? D'une maniere très-Gimple, très-naturelle & qui donne très exactement la définition des Participes.

Ce fut par la réunion de deux mots : l'un qui peignoit l'action qu'on vou loit défigner : l'autre qui peint les Êtres dans un état actif ou paffif, fans déterminer la nature de cette action.

Ce mot eft é pour le paffif, & én ou an pour l'actif: mots qui ne peu vent être plus fimples & qui tirent toute leur force du Verbe E qui peint l'éxistence en elle-même purement & fimplement ; au lieu que en peint un Être dans l'existence active, & que é le peint dans l'existence paffive.

Ainfi, Ai-mant eft compofé de deux mots qui fignifient

ANT, celui qui eft dans un état actif.

AIM, amour, état d'amour.

Aim-é, eft compofé de deux mots qui fignifient:

E, celui qui eft dans un état paffit réfultant de l'action d'un autre.
AIM, amour, état d'amour.

Mot-à-mot, Aim-ant, l'Être actif amour : Aim-é, l'Être passif amour. expreffions qui tirent toute leur force de leur forme elliptique.

Cette formation des Participes n'eft point particuliere à notre Langue: elle nous eft commune avec la plupart; on peut dire, avec toutes, quoique fous diverfes formes.

Ainfi les Latins difoient Leg- ENTE, l'être qui lit.

Leg-E-TO, l'Etre qui eft lu; & par fyncope, legto ou lecto.

Et avec la prononciation forte :

Aman-te, l'Etre qui aime.

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De-là l'ufage des Languedociens de terminer tous ces paffifs en at, difant, amat, aimé ; blessat, blessé; cantat, chanté, &c.

Il en étoit de même des Grecs: ils formoient ce Participe paffif par le moyen d'eis, le même que notre é: & le Participe actif par le moyen d'ón, le même qu'en, avec une légere altération dans la voyelle. Ainfi:

Ti-ôn, fignifie chez eux celui qui honore, l'Être qui honore.

Ti-EIS, honor-é, l'Étre qu'on honore.

Ces formules avoient l'avantage d'abréger fingulierement le difcours & de lui donner plus de force & plus de clarté. Il ne faut donc pas être furpris, fi elles fe trouvent dans toutes les Langues de cette façon ou fous des formes qui l'équivalent.

que

Divers Tems des Participes.

Nous avons dit les Participes étoient relatifs au tems, parce que toute action eft dans un tems. A cet égard, il exifte diverfes efpeces de Participes; ou pour mieux dire, on peut exprimer par la forme du Participe tous les temş poffibles.

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