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» Ce Supin, dans nos Langues modernes comme dans le Latin, eft un » vrai Précéric ( 1 ) & c'eft pour cela qu'il fert à la compofition des prétérits » pofitifs avec les fimples préfens de l'ausilaire avoir, qui ne fervent alors » qu'à caractériser les diverfes époques auxquelles fe raporte l'antériorité d'exif»tence. J'ai LOUÉ, j'avois Lové, j'eus LOUÉ, j'aurai LOVE: comme fi l'on » difoit, j'ai actuellement, j'avois ou j'eus alors, j'aurai alors par-devers moi, » en ma possession, l'ade dépendant de l'action de louer...

» Cette affinité du Supin & du Participe paffif eft d'autant plus remar»quable, qu'elle eft univerfelle, & que par tout, l'un ne differe de l'autre qu'en » ce que le Supin eft abfolument indéclinable par raport aux genres, & que » le participe eft fufceptible de toutes les terminailons génériques autorisées » par l'usage.

»Le Supin n'a point de genre, ou n'a qu'un genre, parce que... c'eft un » Nom : le participe paffif reçoit tous les genres autorisés dans la Langue, parce que c'eft.... un Adjectif. Mais tous deux font au prétérit, par» ce que tous deux prefupolent l'action; l'action précède l'acte marqué par »le Supin ; & l'acte precede l'impreffion défignée par le fens paffif....

» Le matériel de notre Supin eft fi semblable à celui de notre Participe paffif, que quelques uns auront peine à croire que l'usage ait prétendu > les diftinguer. Mais on fait bien que ce n'eft point par la forme extérieure, »ni par le fimple matériel des mots, qu'il faut juger de leur nature: autrement » on rifqueroit de paffer d'erreur en erreur.

» Notre Supin eft employé comme Nom: on dit, j'ai lu, (comme on dit j'ai vos lettres)... Il est évident au contraire que notre Participe paffif est toujours adjectif: ce qui établit une différence bien fenfible.

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L'origine de cette reffemblance univerfelle du Supin & du Participe paffif, vient par-tout de ce que le Participe paflif eft formé du Supin.

6°. M. FRISCH.

Nous pouvons ajouter à toutes ces opinions celle de M. FRISCH, qui a foutenu depuis peu (2),contre Vossius, que les participes paffés du paffif tels

(1) Le Prétérit eft la portion d'un Verbe, qui déligne le tems paffé.

(2) Dans les nouveaux Mélanges de Leipfick, en Latin, T. V. p. 122 & suiv.

Gramm. Univ.

Dd

qu'amatus ou AIMÉ, étoient actifs tout comme paffifs, qu'ils ont le même régime que les Verbes actifs, & qu'ils ne viennent point da Supin, quoiqu'ils foient comme eux actifs & passifs, & qu'ils foutiennent d'autres raports §. 3.

avec eux.

Refumé de ces opinions.

Reprenons ces diverfes opinions, qui ne peuvent être plus différentes. MM. de Port-Royal font d'aimé & de tout mot pareil, deux mots trèsdifférens 1. un GERONDIF quand ils font affociés au Verbe avoir : 2o. un PARTICIPE PASSIF, quand ils font affociés au Verbe être.

M. l'Abbé GIRARD n'y voit qu'un feul mot, actif & paffif, fuivant les circonftances. Et c'eft à-peu-près l'opinion de M. FRISCH.

M. du Marfais fait d'AIME, dans j'ai aimé, un Nom abftrait pris dans un fens actif: & d'AIME, dans cette phrafe, la perfonne que j'ai aimée, un adjectif-participe.

M. DUCLOS voit dans AIMÉ, joint à j'ai, un Supin, & c'est cette opinion qu'embraffe M. Beauzée, tandis qu'il eft participe paffif dans je fuis aimé.

Ainfi ce mot eft tout à la fois Participe, Supin, Gérondif, ou Adjectif; tandis que, felon les uns, il vient du Supin; & que, felon d'autres, il n'en vient pas.

Il ne fauroit être tout cela: comment fe décider entre ces divers Auteurs, fi opoles, & tous diftingués, tous au fait de leur Langue, tous ayant aprofondi les Principes généraux du Langage?

Nous n'avons qu'un moyen pour réuffir dans cette recherche; & c'est celui que nous avons déja employé à l'égard du Participe en ant : c'eft de bannir tout mot qui n'éclaircit point la chofe ; & de remonter à des principes plus généraux encore que ceux que ces Savans ont pris pour guide.

Ils font tous partis de l'idée que les Participes étoient nés des Verbes : comme ils leur font antérieurs, ainfi que nous le démontrerons, on ne pouvoit parvenir à la vraie folution de cette queftion embarraffante.

Effayons de faire mieux.

§. 4.

Obfervations préliminaires.

Mais afin de réuffir dans cette recherche, faifons ici quelques remarques

préliminaires: elles pourront répandre du jour fur cette question, & en amener la folution d'une manière auffi fimple que naturelle.

10. M. BEAUZEE a très-bien prouvé que les Adjectifs-verbaux qui fuivent le Verbe j'ai, comme aimé dans j'ai aimé, ne font pas des Gérondifs, c'est-à-dire, qu'ils ne défignent pas des circonftances de tems: il est, en effet, très-étonnant que MM. de Port-Royal foient tombés dans ne méprife de cette nature. mais la Grammaire Générale n'étoit alors qu'au berceau, & cette méprife prouve combien on étoit encore éloigné dans ce tems-là des vrais principes de la parole.

2o. M. du Marsais, en faifant de ces mots un Nom abftrait pris dans un fens actif, ne nous en donne pas la vraie idée il s'en écarte cependant beaucoup moins: car il en explique le matériel par comparaifon ; parce qu'on peut dire que ces Adjectifs-verbaux défignent une chofe qu'on a, de la même maniere que feroit un Nom; ces phrases j'ai aimé, j'ai fait, paroifant relatives à celle-ci, j'ai un habit,j'ai un fils.

3o. M. Beauzée a donc pu, d'après ce principe, prendre ce Nom abftraitactif pour un Supin,parce que ces adjectifs-verbaux aimé, loué, le rendent en Latin par un mot parfaitement femblable, pour la forme, aux Supins des Latins: car j'ai loué,le difoit en Latin habeo LAUDATUM: j'ai aime,habeo AMATUM: or laudatum, amatum, considérés feuls, font ce que les Latins apellerent Supin.

Malgré cela, je ne puis me réfoudre à regarder ces adjectifs-verbaux ni comme des Noms, même dans le fens le plus abftrait & le moins abfolu; l'idée de Nom étant contradictoire avec celle d'Adjectif: ni comme des Supins; 1o. parce que dans habeo laudatum, habeo amatum; laudatum, amatum peuvent être confidérés comme de vrais adjectifs au genre neutre & qui s'accordent avec le Subftantif negotium, ou avec ID, ce qui eft parfaitement conforme au génie de la Langue Latine: ainfi habeo laudatum eft pour habeo negotium, habeo. id negotium, ou habeo id laudatum, j'ai chofe louée.

2o. Parce que lors même qu'on auroit raifon de voir des Supins dans ces phrafes Latines, il feroit très-inutile de vouloir expliquer par ce Nom les phrafes Françoises dont il s'agit; puifque les Supins font des cas, & que nous n'en avons point en François ; & que leur Nom ayant été inventé pour rendre raifon d'une formule Latine, ne peut fervir à expliquer une formule Françoise.

Ajoutons que le Verbe J'AI n'eft ici que par contre-coup, & comme

formule elliptique, au lieu de je fuis ayant, & qu'il en est de même du mot aimé, qui eft ici au lieu de été aimant; enforte que j'ai aimé correfpond à cette phrase entiere, je fuis ayant été aimant.

Mais il est évident qu'ayant eft dépouillé ici de toute idée de poffeffion, & qu'il eft impoffible de lui fubftituer le mot POSSEDANT. On ne peut dire je fuis poffedant été aimant: tandis que dans ces phrases j'ai une montre, j'ai une maison, ou dans celles-ci, je fuis ayant une montre, une maison, on rendra très-bien ce mot ayant par le Verbe poffèder: en difant je fuis POSSEDANT une montre, une maison.

J'ai, ne défigne donc ici qu'un fimple changement d'état, enforte qu'il occupe la place du Verbe être, le feul qui par lui-même défigne toute idée d'état: en effet, J'AI ÉTÉ, eft pour je fuis été ; l'AI ÉTÉ aimé, pour je fuis été aimé: maniere propre & primitive d'exprimer ces idées, qui fubfifte encore chez les Italiens & les Allemands, & dans diverfes Provinces où l'on parle François : ainfi les Italiens difent:

Io sono ftato, je suis été ; là où nous disons, j'ai été.

Io SARO ftato, je ferai été ; là où nous difons, j'aurai été.

Les Allemands difent tout de même:

Ich BIN gewefen, je fuis été.

Les enfans diront, je fuis été, plutôt que j'ai été.

Nous ne faurions donc expliquer ces formules où l'Adjectif-verbal est employé avec j'ai, fans remonter à leur origine & fans les analyser avec la plus grande exactitude: mais nous parviendrons fûrement par-là à des idées exactes & lumineuses, propres à répandre du jour, non-feulement fur cette portion de notre Langue, mais auffi fur les autres Langues, fans en excepter les Supins des Latins, & le Grec qui ne les connoît pas.

§. 5.

Du Participe ou Adjectif-verbal joint au verbe ÊTRE.

Nous avons vu que les Participes, peignent les divers états dont on eft fufceptible par l'effet des facultés relatives aux actions.

Mais relativement aux actions, on éprouve deux fituations très-diffe rentes: car l'on agit foi-même, ou l'on éprouve les effets de l'action d'un

autre. Dans la premiere de ces fituations l'on eft Acteur, & l'on fait éprouver à un autre les effets de fon action. Dans la feconde, l'on eft l'Objet fur lequel porte l'action d'un autre, & l'on en éprouve les effets.

C'est ce qu'on apelle état ACTIF & état PASSIF.

Ici l'on s'eft partagé : les uns ont cru qu'il n'y avoit point de milieu entre ces deux états; que tout étoit action & paffion: d'autres ont cru qu'il y avoit un état moyen entre ces deux; cet état où l'on fait abftraction de la puissance active & du fujer paffif; l'acte confidéré en lui-même fans aucun raport foit à la puiffance qui l'a produit, foit au sujet fur qui est tombée l'opé ration de cette puissance.

Cette remarque est très-jufte: mais l'acte confidéré fous ce point de vue, ne donne lieu à aucune formule particuliere dans les Langues: ou l'acte n'est point confidéré en lui-même; ou s'il eft confidéré en lui-même fans aucun raport à l'action, il se range dans la claffe des fimples adjectifs : comme lorf qu'on dit un Tableau PEINT, une Fille FAITE, une Maifon BÂTIE.

Auffi verrons-nous que cette obfèrvation eft inutile pour expliquer la formule où l'adjectif verbal eft joint au verbe AVOIR, motif cependant pour lequel on y avoit recours.

En effet, tous les Tableaux de la Parole fe réduisent à ces trois :

Tableau énonciatif, qui défigne les qualités, ou tout ce qui eft indépen

dant des actions & de leurs effets.

Tableau actif, qui peint une action ou des puiffances actives.

Tableau paffif, qui peint les effets d'une action ou l'objet fur lequel la puiffance active fait impreffion.

Il n'y en a pas d'une quatriéme efpéce.

Dans l'état, foit actif, foit paffif, l'action ou fes effets peuvent être préfens, paffés ou futurs. De-là trois efpéces de Participes, les préfens, les paffés & les futurs.

Il ne s'agit ici que des préfens qui s'affocient au Verbe Etre, & des paffés qui s'affocient au Verbe Avoir.

En effet, fi nous nous repréfentons comme agiffant, nous employons le Verbe ETRE.

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