Images de page
PDF
ePub

j'ai écrit, & ces même phrafes fuivies d'un nom, comme j'ai aimé cette perfonne, j'ai écrit cette lettre. Ainfi l'on auroit pu, fans blefler les règles de la Grammaire, dire, j'ai aimée cette perfonne, comme font les Italiens, pour qui il eft indifférent dans ces occafions de faire accorder ou non le Participe avec le nom fuivant, tout comme nous le faifons accorder avec celui qui le précéde: ils difent, par exemple, io ho PERDUTE queste lettere, j'ai PERDUES ces lettres ; & io ho PERDUTO quefte lettere, j'ai perdu ces lettres.

Auffi ferions-nous ces Participes du même genre que leur Nom, fi nous mettions ce Nom avant eux, & après j'ai: j'ai ces lettres PERDUES: j'ai ces perfonnes AIMÉES : j'ai ces robes ACHETÉES.

Mais pourquoi préférons-nous une tournure qui paroît contre toutes les régles, à cette premiere tournure où tout eft dans l'ordre? Par une raison très-fimple: c'est qu'en difant jai ces lettres perdues, on peut croire que je poffède des lettres qui ont été perdues par d'autres: au lieu qu'en difant j'ai PERDU ces lettres, il n'y a plus d'équivoque: c'est moi qui ai perdu, & non qui ai trouvé ce qui avoit été perdu: en vertu de ce que cette ellipse, comme nous l'avons vû, emporte avec foi que ce qui a été fait, a été fait par la perfonne même qui eft le fujet de la phrafe.

Et c'eft une régle conftante, dans toutes les Langues, quoique peu connue cependant, mais qu'il ne faut jamais perdre de vue, qu'un mot placé entre deux autres & qui devroit naturellement s'accorder avec le dernier, s'en détache pour s'incorporer en quelque façon avec le premier, dès qu'il en réfulte plus de clarté, ou fimplement plus de concifion, fans nuire à la clarté nécessaire à la phrase.

§. 9.

Le Participe Paffif employé comme circonftantiel, & comme un fimple

Adjectif.

Nous avons déjà vu que le Participe actif s'employoit non-feulement dans fon fens le plus étroit, mais encore dans deux autres fens analogues à celui-là ; 1o. pour défigner quelque circonftance, & 2°. pour défigner une fimple qualité; fans ceffer d'être le même mot, parce que chacun de ces fens découle nécessairement du fens propre que préfente ce Participe.

Mais fi l'on n'a pas été pleinement convaincu de cette vérité, on le fera fans doute dès qu'on s'apercevra que la même chofe a exactement lieu

pour le Participe Paffif; & qu'outre fon fens propre, il s'employe encore - comme circonftance & comme une qualité pure & fimple.

C'est ainsi que ces formules ce CONSIDÉRÉ, tout mûrement PESÉ, ces chofes DITES, expriment de fimples circonftances, ou font autant de circonftanticls, & n'en font pas moins des participes; puifque c'est comme fi l'on difoit, cela ayant été confidéré; tout étant murement pefé; ces chofes ayant été dites.

C'est ainsi qu'on dit encore; un homme CHÉRI, un Roi Adoré, une chose IMPRÉVUE, une Fille FAITE; qui font autant de Participes: mais qui paroiffent ici dénués de toute valeur de participe, pour ne revêtir que celle du simple adjectif.

CHAPITRE VII.

DES PARTICIPES ELLIPTIQUES,

OU

DES VERBES DIFFÉRENS DU VERBE ÉTRE

SUITE DE LA SIXIEME PARTIE DU DISCOURS

ARTICLE PREMIER.

Néceffité de cette espéce de mots; & comment ils ont lieu.

§. 1.

Difficultés qu'offre cet objet, & leur fource.

De même qu'une perspective eft plus difficile à faifir, à proportion que Phorifon devient plus vafte, & préfente un plus grand nombre d'objets, ainfi à meture que nous avançons dans la carriere, nous voyons les difficultés. augmenter les objets, plus nombreux & plus compliqués, donnent plus de peine à claffer; il eft beaucoup moins aifé de faifir leur ensemble.

Déjà, les Articles & les Pronoms avoient préfenté plus d'épines que les Noms: les Participes ont renchéri fur tous: & nous n'en fommes délivrés, que pour retomber dans cette immenfité de difcuffions minucieufes & abftraites que traîne à fa fuite cette efpèce de mots qu'on a apellés jufques-ici VERBES; qu'on a réuni ainfi fous une même dénomination avec ETRE, let feul Verbe qui puiffe exifter; & que nous n'envifageons que comme des Participes elliptiques, parce qu'ils tirent toute leur énergie de la réunion du Participe avec le Verbe Être, dont ils ne font que l'abrégé.

Les difficultés en font d'autant plus grandes, que l'origine de cette espèce de mots femble fe perdre dans la nuit des tems; que leur influence eft immenfe ; que leurs effets fe font fentir avec la plus grande force; que. leurs dévelopemens font très-nombreux,

En confidérant la place diftinguée que ces mots occupent dans le Difcours, on a cru qu'ils en étoient une Partie distincte de toute autre ; mais on fe trompoit : & en s'égarant dès le premier pas, on dut néceffairement s'en former de fauffes idées; car on étoit entre ce qu'on croyoit évident, & la Nature qui faifoit fentir le contraire; tandis que les détails, effrayans par leur complication & par leur obfcurité, n'offroient qu'une Nomenclature féche & rebutante, d'autant plus pénible, qu'elle varie dans chaque Langue, & semble n'être qu'une fuite de l'ufage. Or rien de moins fatisfaifant & de plus difficile à retenir, que ce dont on ne fauroit fe rendre raison.

Il eft cependant très-fâcheux que cette portion de la Grammaire renferme tant de difficultés: car elle produit les plus grands effets par fa beile fécondité, & par l'art avec lequel elle le prête à tous les beloins de la Parole, pour peindre les parties fucceffives dont eft compofée l'exif

tence.

L'on peut dire qu'elle eft le plus noble effort du langage, comme elle en eft l'objet le plus compliqué.

Il n'eft plus queftion ici de fimples Noms, de fimples actions, ou de la peinture d'un objet qu'on a fous les yeux: il s'agit de mefurer l'existence, de peindre les diverfes Parties de la durée des Etres, de parcourir la fucceffion des Tems, de les comparer entr'eux comme s'ils étoient préfens, de les rapeller tous fans en confondre aucun, en obfervant leurs distances avec la même exactitude qu'on connoît celles des Étres qui tombent fous les fens de fe dédommager par la contemplation des fiécles, de ce qu'on ne vit que dans un feul, comme on fe dédommage par la vue de ce qu'on n'eft que dans un point.

Nous en avons déja vû, à la vérité, quelques traits en parlant du Verbe ÊTRE; mais on peut dire que par fa réunion avec les Participes, il a acquis à cet égard un dégré de force, & une étendue qu'il n'auroit jamais eue feul, en même tems que le Langage acquiert par-là une harmonie & une variété auffi agréable qu'énergique ; & qui augmentent infiniment l'éclat & la rapidité des Tableaux de nos idées.

Ainfi, deux forces réunies produifent des effets étonnans, dont elles auroient été incapables à elles euffent agi féparément. Ceux qui les premiers unirent les Participes & le Verbe Etre, n'agirent peut-être pas précisément par une fuite de cette confidération; mais ils fuivirent en cela la Nature, qui les portoit d'elle-même à l'obfervation de ce principe, comme elle les y

avoit déjà portés l'égard de quelques autres Parties du Discours, mais avec bien moins d'appareil & de magnificence.

[ocr errors]

Ce font en effet de vraies richeffes pour les Hommes, que les Tableaux qui résultent de cette facilité avec laquelle ils peignent tous les "Tems, ceux qui ne font pas encore,comme ceux qui n'exiftent plus que dans leur fouvenir, & par lefquels ils peuvent rendre compte de tous leurs procédés paffés & régler l'ordre de tous ceux dont ils ont à s'occuper..

Tâchons donc de nous former de ce beau méchanifme, des idées auffi nettes & auffi exactes qu'il nous fera poffible; c'eft alors que nous connoîtrons tour le fecret du Langage, & que nous pourrons juger du génie des Nations, par la maniere dont elles auront le plus aproché de la perfection à ces égard.

§. 2.

Néceffité de réunir en un feul Nom les Participes & le Verbe.

Nous avons déjà vu dans notre Chapitre cinquième que le Verbe eft cette Partie du Difcours, qui fert à unir entr'eux les Mots qui défignent un objet, & ceux qui défignent fes qualités; que ce Verbe s'apelle EST; que celui-ci rempliffant tout l'objet de cette Partie du Difcours, il devoit être unique, & qu'il ne pouvoit pas même y en avoir d'autres, celui-là étant donné par

la Nature elle-même.

Toutes les Langues cependant font remplies de Verbes de toutes efpéces ; Verbes actifs, Verbes paffifs, Verbes neutres, Verbes déponens, Verbes réguliers, Verbes irréguliers, Verbes défectueux, &c.

Serions-nous donc en contradiction avec toutes les Langues ou ceux qui ont donné le nom de Verbes aux mots dont il s'agit, & qui ont été auffi-tôt obligés de faire du Verbe Etre une Claffe abfolument féparée des autres, ne nous induiroient-ils pas en erreur, en mettant au rang des Verbes, des mots qui ne le font point eux-mêmes, & qui ne le devinrent que par leur réunion avec le Verbe Etre?

C'est ce dont nous n'aurons pas de peine à nous affurer en remontant à l'origine des mots que nous avons apellés Elliptiques, c'est-àdire, mots qui réuniffent en eux la valeur de plusieurs Parties du Dif

cours.

Nous en avons déjà vu fur presque toutes ces efpéces de mots, principale ment au fujet des Articles & des Pronoms

« PrécédentContinuer »