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Leur objet eft de rendre le Difcours plus concis, plus nerveux, moins monotone; en faisant difparoître dans un grand nombre d'occafions des mots qui reviennent fans ceffe dans le Langage, & dont la répétition trop fréquente, produiroit nécessairement de très-mauvais effets & allongeroit inutilement le Difcours.

Mais fi l'on dut recourir dans quelqu'occafion à des expreffions elliptiques, ce fut très-certainement par raport au Verbe.

Il revenoit continuellement dans le Difcours, & à chaque pensée, à chaque phrase, à chaque Tableau, aux Actifs & Paffifs, comme aux énonciatifs.

Rien ne pouvoit être plus infipide que ces EST, perpétuellement répetés; fur-tout quand ils étoient joints aux Participes, comme dans ces Phrafes, il EST dormant, il EST agiffant, &c. Combien de fois ne revient-il pas dans le difcours fuivant ?

» O mon fils! de ce nom, je suis encore ofant ÊTRE Vous nommant ; » SOYEZ fouffrant cette tendreffe, & SOYEZ pardonnant aux larmes que SONT » m'arrachant pour vous des allarmes qui soNT trop juftes. Loin du Trône » nourri, de ce fatal honneur hélas! vous ÊTES ignorant le charme empoi» fonneur..... SOYEZ promettant, fur ce livre & devant ces témoins, que Dieu SERA toujours le premier de vos foins ; que fevere aux méchans, & des bons » le réfuge, entre le pauvre & vous, VOUS SEREZ prenant Dieu pour Juge; » ÉTANT souvenant, mon fils, que caché fous le lin, comme eux, vous FUTES » pauvre, & comme eux vous FUTES orphelin ».

"

Ce langage nous choque,fans doute, il nous paroît fouverainement ridicule: il eft du moins trop long & trop monotone; on chercha donc un moyen propre à rendre à cet égard le Difcours plus coulant & plus concis, en faisant difparoître le Verbe dans la plupart de ces occafions; mais en le faifant difparoître à propos, & fans que fa fupreffion troublât le fens du Difcours & la beauté du Tableau.

On y parvint à l'égard de ces Tableaux actifs d'une maniere très-simple; en fubftituant au Verbe & au Participe le nom même de l'action qu'il indique, & en plaçant ce nom à la fuite du Pronom, comme fi nous difions; vous, marche ; vous, offre ; vous, montre: pour dire, vous êtes dans cet état qu'on apelle offre, dans celui qu'on apelle montre.

C'est ainsi que nous difons: Je marche, il marche ; j'offre, il offre; je montre, il montre : comme nous disons, une marche, une offre, une

montre.

De

De cette maniere, les Noms,ces Noms racines de tous les mots, & d'oû nous avons déjà vu que vinrent les Adjectifs & les Pronoms, devinrent également des Verbes actifs en s'affociant avec les Pronoms.

Ils furent des VERBES, parce qu'ils repréfentoient le Verbe Étre; ils furent actifs, parce qu'ils peignoient un Être agiffant, ou fon action.

Cette elliple étoit très-naturelle, & ne donnoit point de peine à faifir; on voyoit fans effort que la perfonne défignée, n'étoit pas l'action même par laquelle on la qualifioit; qu'on vouloit donc fimplement la représenter comme existant actuellement dans l'état actif dont réfultoit cette action.

Cette ellipte étoit belle & hardie, quoiqu'elle fût d'une fimplicité extrême: mais plus elle étoit fimple, & plus elle ennobliffoit le Discours, & le rendoit énergique.

Telle fut l'origine des Verbes actifs; de ces Verbes qui occupent un rang fi diftingué & fi important dans les Tableaux des idées, qui donnent une fi grande peine à retenir lorsqu'on ne peut pas les raporter à quelque nom connu, & dont la fource perdue dans la nuit des tems, faifoit croire qu'ils étoient ablolument l'effet du hafard.

Par leur moyen, le Difcours purgé de fes EST trop fréquens & de ces
Participes qui y répandoient une langueur infuportable, acquiert un éclat
très-fupérieur à celui qu'il offroit : les tableaux de nos idées en font plus nets,
& infiniment plus vifs. Qu'on en juge par le Difcours que nous avons donné
plus haut
pour exemple, & qui fe change auffi-tôt en ces beaux vers:

"O mon fils! de ce nom j'ose encor vous NOMMER;
» SOUFFREZ cette tendreffe, & PARDONNEZ aux larmes
» Que M'ARRACHENT pour vous de trop juftes allarmes.
Loin du Trône nourri, de ce fatal honneur
Hélas! vous IGNOREZ le charme empoifonneur...
» PROMETTEZ fur ce livre & devant ces témoins,
Que Dieu fera toujours le premier de vos foins;
» Que févere aux méchans, & des bons le réfuge,
"Entre le Pauvre & vous, vous PRENDREZ Dieu pour Juge;

» Vous fouvenant, mon Fils, que caché fous le lin,

» Comme eux vous fûtes pauvre, & comme eux orphelin (1).

(1) Athalie, Trag. A&. IV. Sc. III.

Gram, Univ.

Ff

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§. 3.

Tout Verbe actif eft elliptique & vient d'un Nom.

Il n'existe aucun Verbe elliptique qui ne dérive d'un Nom ; & il n'exifte peut-être aucune racine primitive qui n'ait fervi à figurer comme Verbe, ainsi qu'elle figuroit déja comme Nom. Tels font ces mots Orientaux :

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Il en eft de même dans les Langues de l'Occident, anciennes & mo dernes. La Langue Angloife qui a fuprimé prefque toujours les terminaisons des Verbes, eft admirable pour fournir des exemples à cet égard. Tout Nom y devient Verbe: tels font ceux-ci :

SORROW, Trifteffe & être trifte.

RED, Rouge; & REDDEN, rougir.

LIGHT,

DOG,

HAND,

НАР,

MAIM,

TAX,

Lumiere & éclairer.

Chien, & épier ou fuivre à la piste comme le chien.
La main, & donner de main en main.

Accident, hafard, & arriver par hafard.
Mutilation & mutiler.

Taxe & taxer.

Toutes les Langues qui defcendent,comme l'Anglois, de l'ancien Theuton, ou du Celto-Scythe, telles que la Langue des Goths, le Suédois,le Belge ou Flamand & Hollandois,& le Germain ou Allemand haut & bas, forment également leurs Verbes fur les Noms. Il eft vrai que la plupart de celles-ci diftinguent les premiers par la terminaifon ain, ein, en, qui leur eft commune avec les Grecs: mais c'eft une preuve qu'ils viennent des Noms, puifqu'ils font plus compofés.

Nous avons auffi en François un grand nombre de Verbes parfaitement femblables aux Noms dont ils dérivent: tels ceux-ci:

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Ces raports ont quelquefois éprouvé, à la vérité, des altérations trèsconfidérables, tels que ceux-ci :

Saveur & favoir.

Vue & voir.

Premier & primer.

Prix & aprécier.

Sel & faler.

Main & manier.

Habit & habiller.

Faim & affamer.

Plus fouvent encore, le Verbe n'a plus de Nom qui y correfponde, du moins dans le même sens, dans notre Langue, comme dans les autres.

Effuyer & tabler font déjà bien éloignés de fueur & de table. Frotter & habiter, d'où viennent frottement & habitation, ne viennent d'aucun Nom connu dans notre Langue.

S. 4.

Erreurs dans lesquelles on eft tombé à cet égard.

Ceux qui fe font imaginés que les Langues Orientales, & fur-tout l'Hébreu, étoient fort pauvres, puifqu'elles étoient obligées d'employer le même mot, tantôt comme Nom, tantôt comme Verbe, n'avoient donc pas réfléchi fur la vraie origine du Langage: ils ne s'apercevoient pas qu'ils alloient déclarer pauvres toutes les Langues de l'Univers; & que ce qu'il leur plaifoit d'apeller difette, étoient de vraies richelles; les tréfors du Langage philofophique, du fentiment & du goût; ceux de la Nature qui, avec le plus petit nombre d'élémens poffibles, opere les effets les plus vaftes & les plus variés: fans compter qu'il étoit infiniment plus avantageux de déduire tous les mots poffibles d'un petit nombre de racines, que s'il avoit fallu impofer des noms différens à chaque objet, à chaque action, à chaque état.

pour

On voit encore par-là combien on eut tort, lorfque claffant par racines les mots des anciennes Langues, on mit les Verbes à la tête, dans la fupofition que ces Verbes étoient nés avant les Noms: ce qui étoit contraire au fait & à toute raifon. C'étoit prendre la caufe pour l'effet, & l'effet la caufe; ou pour mieux dire, c'étoit agir à l'aventure, comme des gens qui croyoient que les mots s'étoient formés par hafard & fans autre caufe déterminante que la néceffité de parler. En effet, l'ufage d'une chose ne fauroit précéder fon existence; on défigna donc cette chofe avant que d'en faire ufage. Vouloir donner un nom à une action, fans en avoir donné aux organes qui l'exécutent, & aux objets fur lesquels elle fe porte, ce feroit tenter l'impoffible, ou vouloir inventer des mots vuides de fens.

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Les Verbes qui paroiffent ne tenir à aucun Nom radical, viennent égalemeng d'un Nom: exemple tiré des Verbes BEL ou VEL aller vite; & HUNT, chaffer.

Il eft vrai qu'on trouve fouvent dans ces anciennes Langues, des Verbes auxquels ne répondent aucun nom: ce qui viendroit à l'apui de l'idée que cette claffe de mots eft antérieure aux Noms. Mais outre qu'on y trouve. auffi des Noms fans aucun Verbe qui y correfponde, on peut être assuré que ces Verbes tirent leur origine des Noms qui exiftoient réellement dans la Langue même qui nous offre ces Verbes, au moment qu'ils s'y formerent ; mais qu'elle les laiffa perdre; ou plutôt, que les Auteurs qui ont écrit dans cette Langue, n'ayant pas eu occafion de nous les tranfmettre, ils femblent n'avoir jamais exiflé: & l'on peut être affuré de les trouver infailliblement dans les Langues analogues à celle-là, & encore fubfiftantes.

Il n'eft en effet aucun Verbe Hébreu, dénué de fon Nom primitif, dont on ne trouve la racine dans d'autres Langues, telles que l'Arabe ou les Lan gues Celtiques.

Il existe, par exemple, un Verbe Hébreu qui n'est lié à aucun Nom Hébreu auffi fimple que lui, & dont il puiffe être defcendu; enforte qu'il paroît être fa propre racine; & ce qui eft plus fingulier, c'eft qu'il réunit deux fignifications très-différentes, qui ne paroiffent point faites pour exifter dans le même mot, qui fupoferoient ainfi deux racines très-differentes, & qui fortifieroient dans l'idée que les Mots Hébreux réuniffent en eux les fignifications les moins analogues; & qu'on peut ainfi faire dire aux phrafes qu'ils forment, tour ce qu'on veut.

Ce mot, c'eft le Verbe 2 BEL, qu'on prononcera bel, vel, fel, comme on voudra, peu importe, & qui fignifie ::

10. Troubler, effrayer, répandre la confternation.

2o. Se hâter, fe précipiter, s'avancer avec la plus grande viteffe.

Affurément, il n'eft perfonne qui ne foit étonné de voir ces deux fignifi-cations réunies fur un même mot; & aucun Lettré expert dans les Langues, qui ne foit prêt d'affirmer que ce Verbe eft pur Hébreu; qu'il n'exifte qu'en Cette Langue; qu'il lui est tout au plus commun avec la Chaldéenne ou

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