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queftion; mais on pourra en étendre le nombre & enrichir par ce moyen nos Langues, déja fupéricures à cet égard aux anciennes.

Il ne faut pas aller bien loin pour trouver des Langues qui ayent admis d'après ces principes, des Tems differens des nôtres.

Les Anglois ne fe contentent pas de dire au préfent I LOVE, j'aime, ils difent encore I do love, je fais amour, je fuis exiftant avec l'action d'aimer.

S'ils difent, I SHALL LOVE, je dois ou je devrai aimer, ils difent encore I will love, je veux aimer, je fuis exiftant avec la difpofition d'aimer. Et I can love, je fuis exiftant avec la PUISSANCE d'aimer.

Tems parfaitement analogues à ceux-ci, je dois aimer, c'est-à-dire je suis exiftant avec l'OBLIGATION d'aimer: & je vais aimer, c'est-à-dire, je suis exiftant avec la DISPOSITION d'aimer dans l'inftant.

L'on peut dire qu'il y a ce raport entre je vais aimer, je veux aimer & je dois aimer, que ces trois Tems défignent également le futur; mais que je dois le défigne d'une maniere très-indéfinie & dans toute l'étendue du futur : que le fecond, je veux,défigne cet événement comme plus prochain, & nous-mêmes comme difpofés actuellement à exécuter l'action qu'il préfente; & que le premier, je vais, défigne cet événement comme au point d'arriver, & nousmêmes comme nous mettant à même d'exécuter ce que nous devons & voulons.

Je veux faire feroit ainfi du nombre des futurs prochains.

Par cet arrangement des Tems, la Langue Françoise en particulier fe préfente fous un point de vue plus régulier, plus étendu, plus fatisfaisant: on fe demandera moins comment ane Langue dans laquelle avoient paru des Ouvrages fi admirables à tous égards, pouvoit avoir une Grammaire auffi peu intéressante, & auffi défavantageuse (†).

" (*) En lifant nos Grammaires, difeit un Journaliste (a), il eft fâcheux de fentir » malgré soi, diminuer fon eftime pour la Langue Françoise, où l'on ne voit presque ➜ aucune analogie; où tout eft bifarre pour l'expreffion comme pour la prononciation, & fans caufe; où l'on n'apperçoit, ni principes, ni régles, ni uniformité, où enfin tout paroît avoir été dicé par un capricieux génie. En vérité, dit-il encore ailleurs (5), l'étude de la Grammaire Françoife infpire un peu la tentation de méprifer notre Langue. Les DU MARSAIS & les BEAUZEE n'avoient pas encore paru.

(a) Jugemens fur quelques Ouvrages nouveaux, Tom. IX. p. 73.

(b) Racine vengé, Irнie, 11, 46,

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N'omettons pas que ce nouvel arrangement des Tems s'accorde fort bien avec la Langue Latine.

Les trois Préfens y font exprimés par la même voyelle; FAC-iebam, FAC io, FAC-iam.

Les trois Paffés, par la voyelle e ; FEC-eram,

la voyelle e; FEC-eram, FEC-i, FEC-ero.

Et les trois Futurs, par le Verbe Être ; FAC-turus eram, fum, ero.

Ce qui fait voir que ces Tems s'étoient formés, fuivant la même analogie d'après laquelle on les a difpofés ici.

Lorfque les Grammairiens Latins donnent le nom de Prétérits imparfaits au Présent antérieur je faifois, & celui de plusque parfait au Paffé antérieur, c'est qu'ils les regarderent, celui-ci comme un Paffe abfolument paffé, & celui-là comme un Paffé qui n'eft pas encore abfolument paffé,qui a encore quelque chofe du Préfent.

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Et fi en François, l'autre Préfent antérieur JE FIS a été appellé Prétérit fimple par quelques-uns & Passé défini par quelques autres (1), c'est que les premiers ne faifoient attention qu'à ce qu'il eft formé fimplement de la racine du Verbe; & que les feconds ont très-bien vu qu'il étoit borné à un tems précis, tandis que j'ai fait eft indéfini.

Toutes ces dénominations étoient vraies d'après le point de vue d'où l'on partoit: mais n'étant pas déterminées par un raport commun, elles donnoient trop lieu à l'arbitraire, & ne fe faifoient pas fentir avec affez de promptitude & d'évidence.

(1) C'est le nom que leur donne entr'autres M. PALOMBA dans fon abrégé de la Langue Toscane, dont il a déja paru; trois vol. in 8o:

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$1 I les Parties du Difcours dont nous venons de traiter, joutent un grand rôle par leurs dévelopemens & par les formes diverfes que prennent les mots qui les conftituent, celles qui nous restent à examiner fe diftingueront par des qualités contraires. Les mots dont nous allons nous occuper, n'ont qu'une maniere d'être : cependant leur énergie eft telle, qu'ils operent les plus grands effets dans les Tableaux de nos idées, auxquels ils font abfolument néceffaires pour la liaison de leurs divers objets.

Mais tel fut le fort de ces mots, qui ne tiennent à aucun autre, d'être employés, fans que leur origine en fût mieux connue; au point que jufqu'à préfent, on ne pouvoit se rendre raison du choix qu'on en avoit fait, & des caufes de leur énergie.

De ce nombre font ceux qu'on apelle PREPOSITIONS. Tels font les mots écrits en lettres majufcules qu'offrent les tableaux fuivans. Le premier contient l'aveu que l'époufe de Théfée fait de fa funefte paffion : le fecond peint les effets des larmes d'Armide fur les Guerriers de Godefroy.

L'emploi que RACINE & LE TASSE font de ces mots fi fimples & fi peu faillans, auxquels on ne fait prefque nulle attention, en fera fentir encore mieux la néceffité, & l'on n'en fera que plus difpofé à nous fuivre dans l'examen que nous allons en faire.

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» Les larmes qui coulent en abondance & qui relevent la beauté de fes belles joues, & DE fon fein, produifent DES effets pareils à ceux Du feu: elles pénétrent le cœur de mille & mille Guerriers; elles s'en emparent. O »prodige de l'Amour, qui fe fert des pleurs pour faire naître des flammes, & qui change en feux brûlans un élément humide! Seul, il domine fur la Nature: dès que leurs forces font réunies, il s'éleve au-deffus de lui-même ». Ces Tableaux font certainement d'une grande beauté, pleins de force & d'harmonie. Cependant fi l'on en fuprime ces mots A, DE, SOUS, DANS, SUR, &c. qui excitent peu d'attention, on ne voit plus de fens : l'harmonie et détruite, il ne refte qu'un amas de mots fans liaifon.

Ainfi des mots qui femblent ne rien peindre,ne rien dire, dont l'origine eft inconnue, & qui ne tiennent en apparence à aucune famille, amenent l'harmonie & la clarté dans les Tableaux de la parole: ils y deviennent fi nécef

(1) Phédre, A&. I. Sc. III.

a) Jérufalem délivrée, Chant IV. Strophe 76

faires, que fans eux, le langage n'offriroit que des peintures imparfaites. C'est ainfi que dans la fociété,tous les individus ne font pas également dif tingués: mais tous y jouent leur rôle; & le rôle de ceux qui font moins élevés, contribue à la perfection du Tout.

Comment ces mots obfcurs peuvent-ils produire de fi grands effets, & répandre à la fois dans le Difcours tant de chaleur & de finesse ? Par quel accord tous les Peuples ont-ils adopté ces mots, dont l'origine leur étoit inconnue ? D'où provint leur énergie? Quelle place occupent-ils dans les diverfes Parties du Difcours? Questions intéreffantes & dont nous allons nous occuper.

Leur difcuffion fera d'autant plus fatisfaifante, que tout ce que nous avons dit jufqu'ici répandra de la lumiere fur ce qui nous refte à dire; & qu'à mefure que ce vafte enfemble s'aggrandit, nous apercevons mieux les objets néceffaires pour le rendre parfait.

§. z.

Les Objets de la Nature font liés entr'eux par des raports.

Nous n'avons jufqu'ici confideré les Objets qu'en eux-mêmes, ou dans les qualités qu'on y apperçoit: mais il n'en eft aucun qui ne fasse partie d'un enfemble, & qui ne fupofe l'existence de plufieurs autres Objets.

L'univers fupofe un Créateur; & un Créateur, des Êtres qu'il forma. Un fleuve fupofe un rivage; & un rivage, un fleuve. Une vallée fupofe des montagnes ; & des montagnes, des terreins moins élevés. Point de fumée fans feu, point de rofes fans épines.

Une Mere de famille réveille l'idée d'un grand nombre d'Étres: celles d'époux, d'enfans, de maison; de grands moyens de fubfiftance, d'éducation, de charmes, &c.

Avec l'idée des Rois fe préfentent celles de Sujets, de Souveraineté, de foins paternels, de revenus, de Seigneurs, de troupes, &c.

L'Ombre fupofe un corps qui la produit, & un corps qui la reçoit ; une lumiere interceptée, des couleurs tranchantes, &c.

Une action fupole un Agent qui la produit, un motif qui la détermine un objet fur lequel elle influe, des moyens qui l'operent, des circonftances qui l'accompagnent, &c.

L'article fupofe un Nom; l'Adjectif, un Sujet; le Pronom,un Verbe, &c. Il est aisé de remarquer que ces Objets correfpondent les uns aux autres

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