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CHAPITRE II.

Etymologie ou Origine du mot GRAMMAIRE.

MAIS comme ce mot GRAMMAIRE eft barbare pour nous & ne présente par lui-même aucune idée à notre efprit, remontons à fon origine; nous verrons combien on eut raifon de le choifir; & il nous préparera en quel que forte lui-même à tout ce que nous aurons à dire.

Car telle eft l'utilité de l'Etymologie, qu'elle rétablit l'énergie de cha que mot & en fait voir à l'inftant la valeur, qu'avoient obfcurcie la longueur des fiécles & les altérations fucceffives des Langues.

Ce mot qui paroît avoir été inventé par hazard, parce qu'il n'offre dans nos Langues modernes, & même dans celle des Latins, aucun rapport avec f'Art qu'il défigne, étoit cependant très - expreffif dans la Langue de ceux qui le confacrerent à cet usage.

Il vient du Grec GRAMMA, qui fignifie une Peinture, un Tableau, & qui, prononcé GRAB, GRAV ou GRAF, fit dans la même Langue les mots GRAPH-eus, un Peintre ; & GRAPH-ein, peindre.

De cette racine, fe forma en Grec & en Latin l'adjectif Grammatica, qui défignoit manifeftement chez eux l'Art de peindre; mot que nous avons adopté & altéré enfuite en celui de GRAMMAIRE, qui ne peint plus rien à l'esprit.

Ce mot n'eft pas même d'origine grecque : il leur étoit commun avec les Celtes & les Orientaux qui le prononçoient; ceux-ci, GRAB ]`]; ceux-là, CRAFF & GRABH; & chez qui il fignifioit dans fon fens propre & univerfel, INCISION; & enfuite les SILLONS d'un champ, qui en font les incifions; enforte qu'il fignifia au fens figuré, le LABOURAGE lui même, qui confifte à tracer des fillons. Il exifte encore avec ces divers fens chez les Arabes, qui le tiennent de la plus haute antiquité.

Ce mot devenu GREC, fignifia chez eux tout ce que peut désigner un Trait : mais en le partageant en deux mots, Graptys & Gramma.

Celui de Graptys, offroit ces fens:

1o. Une Incision en général.

2°. Une Incifion fur le corps humain,une déchiquetture, ou scarification.

3°. Ces caracteres ou figures qu'on traçoit fur le corps humain en faifant des incifions fur la peau, & qu'on rempliffoit de couleurs, comme chez les Sauvages,

Celui de Gramma, offroit ceux-ci :

4°. Un Trait.

s. Une Ligne.

6°. Une Lettre, parce qu'elles étoient fillonnées ou gravées profondément fur le marbre, &c.

7°. Un Tableau, une Peinture quelconque, qui font

formés de traits.

C'eft de-là que nous font venus nos mots GRAVER, avec toute fa famille ; GRAMMAIRE, ORTHOGRAPHE GREFFIER, GREFFER, MONO

GRAMME.

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D'un autre côté, le verbe GRAPH-ein, fignifiant écrire, s'altéra en passant chez les Latins: il fe chargea de la fiflante s: A s'adoucit en ai & puis en is Pн, en b: ainfi les Latins le prononcerent SCRAIB-ere, comme les Allemans, qui le prononçant encore de même, difent SCHREIB-en, pour écrire; & puis SCRIB-ere dont nous fîmes fcribe, & efcribre, eferire, & enfin ÉCRIRE, qu'on ne croiroit jamais être frere de graver; & defcendu d'un même pere.

Ce mot GRAB ou GRAPH tenoit lui-même à un mot plus ancien & primitif qui fubfifte encore dans les Langues Orientales, le mot GRA, en Hébreu & en Arabe 3 KRAH ou Krha, qui fignifie incifion; faire une incifion; & qui eft lui-même une onomatopée, l'imitation du bruit que l'on fait en déchirant, en fendant, en faisant une entaillade; que nous peignons par notre Cri-Cra; & qui a formé un grand nombre d'autres familles.

C'est ainsi qu'en remontant à l'origine des mots, on voit qu'ils porterent toujours leur fignification avec eux; & que puifés dans la Nature, ils en eurens toujours l'énergie.

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CHAPITRE III.

Définition de la GRAMMAIRE, & fa divifion en deux Classes.
LA GRAMMAIRE eft donc le développement des régles que l'Homme eft

obligé de fuivre pour peindre les idées.

Dans ce genre de peinture, l'on eft dirigé néceffairement par deux points de vue différens : il faut premierement, fe conformer au modèle de cette peinture: il faut fecondement, le tracer d'une maniere qui foit intelligible à ceux dont on veut être entendu.

De là résultent deux fortes de Grammaires: l'une UNIVERSELLE; l'autre, PARTICULIERE. L'une qui nous fait connoître tout ce qui doit entrer dans la peinture que nous failons de nos idées, afin qu'elle foit conforme à son original : l'autre qui nous apprend les diverles couleurs que nous devons employer, afin de nous mettre à la portée de ceux dont nous voulons être entendus. Celle-là qui s'occupe du FOND du Tableau, ou des objets qui doivent y entrer : celle-ci qui traite des FORMES qu'on doit donner à ces objers: celle-là immuable comme la Nature dont elle cft la copie, commune à tous les fiècles, & à tous les Peuples; celle-ci variable à l'infini, & fe prêtant au génie inconftant de chaque Peuple, de chaque fiécle; parce que la Nature qui oblige néceffairement les Peuples à fe conformer à elle lorfqu'ils veulent l'imiter, fans quoi ils ne feroient plus que des portraits de fantaisie, les abandonne à leur propre génie dans la maniere d'exprimer cette imitation,

Ainfi, un même Tableau eft exécuté de différentes manieres dans les diverfes Écoles de Peinture, fans ceffer d'être le même; le fond eft femblable mais les formes varient fans ceffe & portent toujours avec elles l'empreinte particuliere du Peuple pour qui & chez qui ce Tableau fut exécuté.

Mais les Grammaires particulieres, effet de l'Univerfelle, ne doivent rien avoir de contraire à celle-ci; aucun procédé chez elles dont on ne puiffe rendre raison & dont on n'apperçoive la caufe de la maniere la plus fenfible, dès qu'on le combine avec les régles de la Grammaire Univerfelle, déterminées par le Génie particulier du Peuple chez lequel exifte ce procédé.

CHAPITRE IV.

Existence néceffaire de la Grammaire Univerfelle.

EUX qui font dans le cas d'étudier un grand nombre de Langues, ne tardent pas à s'appercevoir que les Grammaires particulieres de toutes ces Langues, ont un fonds commun par lequel elles fe reffemblent; & que lorfqu'on en a appris une, on a beaucoup moins de peine à apprendre les

autres.

C'est ce fonds commun qui forme la Grammaire Universelle, qui la conf titue.

Antérieure à toute Grammaire particuliere, elle les anime toutes, toutes, eft le fondement néceffaire de toutes.

les dirige

C'est qu'elle n'est point l'effet du hazard, ni du caprice, & de la fantaifie des Peuples: comment tous les Peuples fe feroient-ils accordés dans une chofe arbitraire? Comment un même hazard le feroit-il répeté conf tamment ?

Puifée dans la Nature, toujours la même, toujours invariable, & modéle de tout ce que les Hommes exécutént, cette Grammaire Univerfelle exifte indifpenfablement pour eux, dès qu'ils veulent peindre leurs idées : elle leur dicte impérieufement fes loix ; & tandis qu'ils le croyent libres à cet égard, qu'ils s'imaginent être les Créateurs de l'art de peindre leurs idées, ils obéif fent aux régles invariables que leur preferit la Nature.

En effet, tout modèle de peinture, dirige néceffairement dans le choix des moyens propres à le peindre: fans cela, on ne peindroit pas, ou l'on ne feroit qu'un portrait de fantaisie qui ne représenteroit rien de réel. Le but pour lequel on peint fes idées, feroit totalement manqué, puifqu'on peindroit toute autre chofe, que ce qu'on auroit deffein de peindre.

Pour peindre les idées, l'Homme n'eut qu'à fe rendre attentif à ce qui étoit néceffaire pour remplir ce but, & la Grammaire exifta; & elle exifta invariablement & pour tous les Peuples.

Quoiqu'elle ne fût point écrite, quoiqu'on n'en fit point d'étude, on obfervoit fes régles, fans s'en écarter jamais dans l'étendue des fiécles, fans les oublier, fans les violer, parce que la Nature toujours la même, les faifoit toujours connoître avec la même promptitude, & avec cette affurance

qu'elle met dans toutes fes opérations: enforte qu'on ne fauroit s'en écarter fans être mauvais peintre, ou fans fe rendre inintelligible.

D'ailleurs, dès qu'on fçut peindre une idée, on fçut les peindre toutes: la même méthode qui avoit préfidé à l'expreffion de la premiere, présida également à l'expreffion de toutes les autres : ainfi les préceptes de la Grammaire devenoient univerfels & invariables: on ne pouvoit plus s'en écarfans être en contradiction avec foi-même & avec la Société en

tiere.

CHAPITRE

V.

Quels font les Modèles qu'elle nous apprend à peindre. TOUTE peinture eft l'imitation d'un modéle, & l'art du Peintre consiste à

rendre cette imitation auffi exacte qu'il lui eft poffible.

La Grammaire nous offre également des modèles à imiter, par cela même qu'elle eft un art de peindre, & ces modéles font les IDÉES.

Mais en quoi confifte une idée, & comment peut-on imiter des objets intellectuels tels que les idées qui n'ont point de corps, qui ne tombent pas fous les fens, dont on ne peut imiter les traits? Questions importantes & fans la folution defquelles, la Grammaire ne pourroit avoir ni clarté ni précifion.

Le mot IDÉE que les Latins & nous, avons emprunté des Grecs, fignife mot à mot une image, une figure, les formes d'un objet: 2°. la connoiffance ou la vue de ces formes, de ces images: 3°. tout ce qui fe peint dans notre efprit, tout ce qu'il confidere, tout ce qu'il fe dit:

Soit qu'il fe peigne un objet qu'il a fous les yeux.

Soit qu'il s'en rappelle le fouvenir.

Soit qu'il s'occupe de quelqu'objet qui n'a aucun modéle hors de lui.

Ce mot s'eft formé du mot ID, qui fignifia image, vue, connoissance; d'op vinrent les mots Grecs,

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